Le 31 décembre à minuit, le logo de Bordeaux Métropole sera projeté sur la façade de l’Hôtel de CUB. Le feu d’artifice visuel marquera un changement de nom loin d’être purement cosmétique. Avec l’entrée en vigueur de la loi « métropoles » du 27 janvier 2014, les pouvoirs de la communauté urbaine vont en effet être renforcés par le transfert de nouvelles compétences de ses 28 communes membres. Et ce n’est qu’un début : la métropole lance un processus de mutualisation, c’est-à-dire de fusion des services.
Mais si la métropolisation est bel et bien lancée, elle se fait encore dans un certain flou, suscitant des craintes chez les premiers concernés, les agents territoriaux. Leurs syndicats, très soudés pour le coup, ont tracté à l’entrée du dernier conseil de CUB de l’année.
Ils s’interrogent notamment sur l’avenir des emplois et de leurs régimes, sur la permanence des services au public, ou sur le poids de Bordeaux face aux petites communes. « La bourgeoisie bordelaise va dominer la banlieue, comme elle rêve de le faire depuis le Moyen-Âge », lâche ce jour là un syndicaliste.
Les doutes subsistent aussi chez les élus. Quatre maires – Alain Anziani (Mérignac), Franck Raynal (Pessac), Alain David (Cenon) et Patrick Pujol (Villenave d’Ornon) font ainsi part à Rue89 Bordeaux de leurs analyses – divergentes – en la matière.
Bordeaux devient Métropole : que se passe-t-il le 1er janvier ?
A part le nouveau logo, pas grand-chose de visible pour le citoyen lambda.
« Nous aurons de gros efforts de communication à faire pour montrer que le passage de la CUB à Bordeaux Métropole n’est pas seulement un changement de nom, mais aussi de fonctionnement », a d’ailleurs prévenu Alain Juppé.
La métropolisation recouvre en fait trois chantiers, comme l’explique à Rue89 Bordeaux Alain Anziani, maire de Mérignac et vice-président de la Communauté urbaine de Bordeaux (CUB), en charge de ce dossier :
« Au premier janvier, la communauté urbaine gagne de nouvelles compétences, celles que la loi du 27 janvier 2014 prévoit de transférer des communes aux métropoles, principalement la politique de la ville, l’accueil des gens du voyage, l’énergie, le tourisme, ce qui concernera quelques dizaines d’agents.
Le deuxième chantier, c’est le transfert des équipements d’intérêt métropolitain, que nous avons deux ans pour mener à bien. Il est évident que le Grand stade et le Grand théâtre de Bordeaux, la grande salle de spectacle à Floirac ou le Pin Galant de Mérignac seront gérés par la métropole. Il y aura une concertation sur la programmation, mais celle-ci restera de la compétence des communes.
Le troisième point, c’est la mutualisation. Alors que l’argent public se fait rare, l’objectif est de rassembler nos forces : au lieu d’avoir 28 services de paye, de contentieux ou de gestion des contrats d’assurances, nous n’en aurons qu’un seul pour les 28 communes. »
Selon le premier vice-président socialiste de la CUB, plus de 170 fonctions des communes peuvent être mutualisées.
« Cela se fera à la carte, avec un premier round jusqu’au 31 mars : après délibération en conseil municipal, chaque commune devra alors annoncer quelles fonctions elle souhaite mutualiser pour commencer. C’est un système très souple, avec une seule contrainte : une fois un service transféré à la métropole, il sera impossible de revenir en arrière. »
Combien d’agents seront concernés ?
Aussi, les communes de la CUB abordent ce virage en ordre dispersé. Les plus enthousiastes sont, selon Alain Anziani, la Ville de Bordeaux, qui pourrait mutualiser pratiquement tous ses services, et une majorité de ses 4500 agents ; ou encore sa propre commune, Mérignac, dont une bonne partie des 1500 agents pourraient changer de crémerie. Ou plus précisément de régime, car tous les postes ne seront pas localisés à Mériadeck : certains resteront dans la commune – espaces verts, propreté… –, d’autres rejoindront l’une des quatre directions territoriales de Bordeaux Métropole.
« Nous sommes en train de faire les comptes, mais nous avons une clé : tous les services qui sont en relation avec l’usager restent à la mairie et toutes les fonctions supports vont à la métropole (gestion de la dette, comptabilité…). Car le risque avec la métropole c’est l’éloignement : les habitants ne doivent pas être obligés d’aller à Mériadeck pour leurs démarches administratives, mais puissent aller à l’endroit le plus proche. »
Franck Raynal, maire (UMP) de Pessac, est sur la même ligne :
« Un des enjeux essentiels est de pouvoir assurer un service de proximité. Il s’agira dans un premier temps de mutualiser les compétences que les citoyens ne voient pas, comme les commandes publiques ou les ressources humaines. Nous n’en avons pas encore débattu avec les agents, mais cela devrait concerner dans un premier temps entre 150 et 200 personnes, sur les 1100 employés de la mairie. »
Les nouvelles affectations connues fin juin
L’objectif : que les agents concernés – sur un total de 16000 dans les 28 communes, pour 3075 actuellement en service à la CUB – entrent dans leurs nouvelles affectations à partir du mois de juin.
« Il nous faut avancer à la vitesse d’un cheval au galop, mais comme on pourra plus faire de pas en arrière, la prudence consiste à attendre », estime Patrick Pujol, maire (UMP) de Villenave d’Ornon.
Pourtant membre de Communauté d’avenir, la majorité juppéiste à la CUB, l’édile est l’un des plus réticents à la métropolisation, tout comme son collègue socialiste de Cenon, Alain David. Les deux élus évoquent le besoin des citoyens de régler leurs problèmes avec le maire plutôt que le président de la Métropole, la nécessité pour certains services d’être proche du terrain, ou la difficulté qu’il y aura à loger les agents dans les directions territoriales…
Cenon et Villenave d’Ornon passeront donc probablement leur tour pour ce premier round de mutualisation. Patrick Pujol met en avant l’argument financier :
« Que soient affectées à la métropole des compétences lourdes, nécessitant une vision plus globale du territoire, comme la gestion du risque inondation, c’est une bonne chose. Mais ce n’est peut-être pas le bon moment d’imposer des dépenses supplémentaires au budget de la CUB alors que les dotations de l’Etat chutent, et qu’elle n’a déjà pas la capacité de remplir correctement l’intégralité de ses compétences, les voiries ou la gestion des eaux, par exemple. »
La mutualisation va-t-elle sauver des deniers publics ?
Au contraire : les nouvelles dépenses de la communauté urbaine seront d’autant plus importantes, assure le maire de Villenave d’Ornon, Patrick Pujol, que « la métropole s’est engagée à absorber l’évolution des charges liées à la mutualisation. Si demain les salaires des fonctionnaires territoriaux augmentent, cela va changer son budget de fonctionnement. Les transferts de recettes ne couvriront pas les charges de demain. »
C’est en effet un « paradoxe », reconnaît Alain Anziani : censée générer des économies d’échelles, la mutualisation va coûter cher…
« Dans un premier temps, il n’y aura pas d’économies. Les agents communaux seront sous une double tutelle, de la ville et de la métropole, et bénéficieront du régime indemnitaire de la métropole, plus favorable. C’est un acquis mais il sera lissé dans le temps, car si on alignait tous les agents potentiellement concernés sur le régime de la métropole, cela nous coûterait plus de 20 millions d’euros. »
Des économies dans 10 ans ?
Mais le sénateur-maire de Mérignac se veut optimiste :
« On pense que dans un deuxième temps, d’ici 5 ou 10 ans, on fera sûrement des économies si on regroupe tous nos achats au niveau de la Métropole, et si on a un service contentieux plus performant. »
Surtout, s’il n’est pas question de supprimer des postes dans l’immédiat, comme s’y est engagé Alain Juppé, « des emplois ne seront pas remplacés dans les 10 ans », poursuit Alain Anziani.
Les communes qui trainent sur la mutualisation des services pourraient en revanche être mises à l’amende. Alain David, maire (PS) de Cenon, redoute qu’à partir de 2016, Bordeaux Métropole perçoive directement la dotation générale de fonctionnement (DGF) de l’Etat versée aux communes, et la redistribue au prorata de leurs efforts :
« Dans l’état actuel des choses, la Métropole n’arrivera pas à faire face à ses charges sans recours à la DGF des communes. Si Bordeaux mute ses 2000 salariés ou la gestion de son Grand Théâtre, c’est la ville centre qui provoquera le plus de surcoûts ! »
Les maires vont-ils inaugurer les chrysanthèmes ?
Le maire de Cenon craint par ailleurs que cette métropolisation, dont il dit « ne pas comprendre le sens de la démarche », « amène à la suppression progressive des communes, qu’elles deviennent des arrondissements de la métropole ».
« La liberté de gestion des communes disparaît avec ce système, renchérit Patrick Pujol, le maire de Villenave d’Ornon. Si en 2020 le président de Bordeaux Métropole est élu au suffrage universel direct, les maires, élus de proximité, ne seront plus là que pour inaugurer les chrysanthèmes. »
C’est un peu exagéré, considère Alain Anziani :
« Il y a une vraie crainte des 27 villes que le grand – Bordeaux – mange le petit. Chacun doit être vigilant mais le principe demeure que c’est le bureau de la CUB, où chaque maire est représenté, qui continuera à prendre les décisions. »
Métropolisation à plusieurs vitesses
Et puis, poursuit le vice-président de la CUB, si la mutualisation peut nous faire peur quant à l’avenir de la commune, « elle est déjà à l’œuvre à Strasbourg ou à Nantes, et la CUB ne fait que rattraper son retard ». Selon Alain Anziani, Bordeaux Métropole va même être « innovante car la mutualisation concernera toutes les communes, et pas seulement la ville centre et la métropole, comme on peut le voir à Toulouse ou à Rennes ».
Reste que la démarche, fondée sur le volontariat et la mutualisation à la carte, promet de ne pas être « un long fleuve tranquille », pronostique le maire de Pessac, Franck Raynal :
« L’homogénéité et la convergence des politiques sont de vraies questions. On peut difficilement envisager d’avoir des services rendus différemment selon que l’on se trouve dans différentes villes de la métropole. Quand on a un seul PLU (plan local d’urbanisme) mais plusieurs modes d’autorisation d’occupation des sols, selon que les communes auront mutualisé ou non leurs services de délivrance des permis de construire, cela peut poser un problème d’équité. »
Si la première pierre de Bordeaux Métropole vient d’être posée, le chantier s’annonce long et animé.
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