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Prévenir les inondations, un serpent de mer en Gironde

Depuis la tempête de 1999, aucune solution d’ensemble n’a émergé pour mieux protéger des inondations les communes menacées par la Garonne et l’estuaire. La Cub a donc décidé de présenter son propre plan de protection.

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Prévenir les inondations, un serpent de mer en Gironde

La Dordogne à Ambès (MO/Rue89 Bordeaux)
La Dordogne à Ambès (MO/Rue89 Bordeaux)

A Saint-Louis-de-Monferrand sur la presqu’île d’Ambès, 15 maisons vont ou ont été détruites. Elles font toutes parties d’une ZED (zone d’extrême danger) délimitée par l’Etat suite à la tempête Xynthia de février 2010.

Parmi ces maisons vouées à la destruction, il y a celle de Jeanne Broyelle, qui prépare à contrecœur son déménagement :

« Moi je ne voulais pas partir mais je n’ai pas eu le choix. Je vais être obligé de déménager à Nice où j’ai déjà un logement parce qu’ici je n’ai pas trouvé de solution qui me convienne ».

La maison de l’octogénaire répondait aux critères ayant présidé au choix des logements à raser : être situé à moins de 100 mètres d’une digue, et avoir subi une inondation à hauteur de 70 cm à l’intérieur du bâtiment, et de un mètre à l’extérieur lors de la tempête de 2010.

Dominique Claderes, qui habite depuis 40 ans à Saint-Louis-de-Monferrand, a quant à lui eu plus de chance. Sa maison est située à quelques 45 mètres de la digue mais elle comprend une surface surélevée. Lors de Xynthia, elle n’a subi une montée des eaux « que » de 40 cm.

« De toutes manières, je n’ai pas vraiment l’intention de déménager, juste de partir momentanément en cas de risque ponctuel, explique-t-il. Mon frère, lui, a carrément changé de ville, mais c’est parce qu’il a une fille handicapée et ne veut pas prendre de risque ».

Les propriétaires vont être indemnisés par l’Etat et selon Josianne Zambon, le maire de la ville, à hauteur des prix du marché. 13 maisons ont déjà été acquises par l’Etat, deux sont en cours d’acquisitions.

Un impact sur l’urbanisme

Sur ce programme de destruction, 4 maisons ont déjà été détruites. Autant de « trous dans le décor », estime Dominique Claredes, où la nature va reprendre ses droits. C’est l’un des effets de la prise de conscience du risque inondation : les élus comme l’Etat n’excluent plus de « désurbaniser » certaines zones.

La Garonne à Saint-Louis de- Monferrand
La Garonne à Saint-Louis de- Monferrand

A Ambès, la deuxième phase d’un projet immobilier comprenant 200 appartements a carrément été gelée dans le cadre du PPRI (plan de protection contre les risques d’inondation), document élaboré par l’Etat qui délimite des zones dangereuses. Seule la construction de 50 logements qui faisait partie de la première phase de ce projet – pour lequel 350 logements ont déjà été construits -, sera prochainement effective.

Dans cette même commune, l’ancien maire socialiste Maurice Pierre avait été vivement critiqué au sujet du lotissement Clairsienne. Il se défend :

« Le promoteur n’avait pas respecté les normes mais aujourd’hui le lotissement est conforme ».

Des bassins artificiels ont été créés dans les jardins pour recueillir les surplus d’eau, des drains y ont également été posé pour évacuer plus facilement l’eau et le niveau de la route qui dessert le lotissement abaissé à certains endroits.

Et suite à ces travaux, le lotissement – propriété aujourd’hui du bailleur social Domofrance -, s’est depuis repeuplé.

« Les inondations, ça n’arrive pas souvent, quand même »

Certains habitants comme Claire Bachet, originaire d’Ambarès et locataire depuis juin 2013, sont peu inquiets face au risque d’inondation :

« C’est écrit sur le bail qu’on est en zone inondable. Moi, ça ne pose pas de souci particulier, les inondations ça n’arrive pas souvent quand même ».

Selon Josianne Zambon, également présidente du Spipa, le syndicat qui gère les ouvrages de protections  sur la presqu’île, les tempêtes qui se sont succédées entraînent néanmoins « une restriction des PPRI et du PLU-Plan local d’urbanisme », donc une réduction des surfaces constructibles.

Or la délivrance de permis de construire est importante pour une commune dans la mesure où la taxe d’aménagement qui lui est lié permet des rentrées fiscales.

Une autre manière de s’adapter au risque d’inondation consiste à construire différemment. A Lormont et à la Bastide, à Bordeaux, par exemple, des résidences ont récemment été bâties en bord de fleuve, mais le rez-de-chaussée n’est pas habité, il est réservé aux voitures.

La Garonne à Saint-Louis-de-Montferrrand
Près du fleuve, la résidence les yoles à Lormont

Résilience

Laisser la nature reprendre ses droits dans certains endroits et faire preuve de « résilience », estime la directrice du Spipa Florence Youbi :

« Les habitants de la presqu’île doivent apprendre ou réapprendre à vivre avec ce risque. Avant la construction des digues dans les années 70, les gens avaient l’habitude de voir l’eau entrer puis sortir ».

Surélever les digues n’est donc selon elle pas la solution miracle puisque qu’ « il n’y pas de risque zéro et que de toutes façons, il y a un problème de coût ».

Et en effet, l’addition pourrait être salée. A titre d’exemple, une étude diligentée par le Spird (syndicat de protection contre les inondations sur la Rive droite de Bordeaux) chiffre à 29,1 millions d’euros le coût de réhabilitation-confortement des 9, 3 km digues présents sur son territoire. Sur l’ensemble de la Cub, les digues ont une longueur de 80km, 350 sur le périmètre du Papi (plan d’action et de prévention des inondations) de l’estuaire…

Plusieurs tempêtes mais toujours pas de solution globale

Ces Papi ont été lancés par l’Etat en 2002. De l’eau a depuis coulé sous les ponts, et pourtant l’estuaire de la Gironde n’est toujours pas dotée d’un plan global qui gère tous les aspects du risque inondation.

Si certains Papi ont déjà été labellisés, celui de l’Estuaire Gironde n’a toujours pas abouti. Il est porté par un syndicat mixte, le Smiddest, qui réunit Etat, conseils généraux( Gironde et Charente-Maritime) régions (Aquitaine et Poitou-Charente), 86 communes, des communautés de communes, la Cub, une communauté d’agglomération (Royan) et des syndicats.

En cause; la multiplicité des acteurs concernées et des vues divergentes sur la manière de gérer la question que les dernières élections ont encore compliqué.

Dans ce projet estuairien, plusieurs scénarii ont été élaborés depuis plusieurs années sans qu’aucun ne soit adopté à l’unanimité. Récemment le nouveau maire d’Ambès, Kévin Subrenat, a refusé le dernier scénario en date que son prédécesseur socialiste Maurice Pierre avait pourtant accepté.

Il prévoyait en cas de débordement de sur-inonder certaines zones de la commune, une proposition à laquelle était vivement opposée une partie de la population ambésienne.

Multiplicité des enjeux et des acteurs et des visions

Les territoires étant interdépendants, agir sur une zone revient à en fragiliser une autre. Or le projet métropolitain qui vise une augmentation de la population tout en évitant l’étalement urbain se heurte à l’existence de zones inondables et à un regard moins permissif porté sur ces zones depuis Xynthia en particulier.

Ainsi pour la géographe Sandrinne Vaucelle et alors que « l’agglomération bordelaise a bénéficié d’un statut dérogatoire pour construire en zone inondable », il faut aujourd’hui faire « un choix de société, un choix politique pour savoir ce que l’on protège».

A ce titre, la presqu’île d’Ambès- située dans l’estuaire le plus grand d’Europe et où le risque est de type fluvio-maritime, c’est-à-dire lié à la confrontation des fleuves Garonne et Dordogne et de l’estuaire de la Gironde  -, est représentative des difficultés pour les différentes parties à trouver un consensus.

A elle seule, elle concentre de nombreux conflits d’intérêts et d’usages,  entre les entreprises classées Sévéso, les zones écologiques protégées, les zones plus densément habitées que d’autres, les agriculteurs et les chasseurs.

La gestion des digues est elle aussi compliquée. Elles  appartiennent en grande partie au Conseil général de la Gironde mais aussi à des propriétaires privés. Idem pour le système hydraulique : par exemple, certaines jalles (petits cours d’eau se jetant dans le fleuve) sont situées sur des terrains privés, et le coût d’entretien rebute ses propriétaires. A titre d’exemple, le curage de quatre jalles à Saint-Louis de Monferrand et Saint-Vincent-de-Paul coûte 1,5 millions d’euros.

La CUB veut son Papi

Face à ce qu’il analyse comme des atermoiements quand d’autres y voient une complexité due à la multiplicité des acteurs, le maire d’Ambès appartenant au groupe Communauté d’avenir, majoritaire à la CUB, a opté pour un Papi métropolitain.

Pour celui-ci, « les tergiversations ont trop durés depuis 1999. La population en a marre, c’est ce que m’ont dit les gens que j’ai rencontré lors de la campagne électorale des municipales 2014 ».

Une partie des Ambèsiens dont certains habitent en bord de fleuve craint les inondations et veut être mieux protégée.

Selon Kevin Subrenat, ce projet de Papi devrait s’aligner sur un document déjà existant, le TRI de Bordeaux – territoire à risques importants d’inondations -, un document où figurent en grande majorité des communes de la CUB ainsi que des communes limitrophes comme Macau.

« Egoïsme »

Le président du Smiddest, le socialiste Phillipe Plisson, regrette pour sa part « l’égoïsme de certaines communes » dans ce dossier : « Cela fait cinq qu’on travaille dessus (sur le Papi, NDLR) qu’on fait du lobbying pour obtenir des crédits, et maintenant il faut repartir à zéro ».

Maurice Pierre, tout comme la nouvelle mairesse de Saint-Louis de Monferrand, commune durement touchée par les inondations, ne sont eux pas totalement contre l’idée d’un plan à l’échelle de la CUB, à condition que celui s’accorde avec le Papi de l’Estuaire.

Et que, d’après l’ancien maire d’Ambès, ce Papi « ne ruine pas tous les efforts qui ont été faits depuis plusieurs années pour réunir les élus de la Charente-Maritime à la Gironde ».

Mais ce choix est finalement cohérent avec la montée en puissance de la collectivité sur la question de l’inondation. En se transformant en métropole au 1er janvier prochain, la Cub aura en effet de nouvelles compétences dont celle des inondations. Mais ce n’est qu’au 1er janvier 2016 que cette compétence sera effective.


#Bordeaux métropole

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