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De quel rock Bordeaux est-elle le nom ?

Seule métropole de France à concentrer quatre équipements structurants labellisés « scènes de musiques actuelles », en plus d’un intense activisme associatif dédié aux musiques de culture rock, Bordeaux est toujours et encore citée lorsqu’il s’agit d’identifier des « villes rock ». Où en est la scène rock à Bordeaux ? De l’underground émerge-t-il encore les valeurs sûres de demain ?

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De quel rock Bordeaux est-elle le nom ?

Ali du groupe JC Satan (DR)
JC Satàn, groupe très en vogue sur la scène rock bordelaise (Isadora Tripodo)

Auteur de l’ouvrage de référence Bordeaux Rock(s), Denis Fouquet vit aujourd’hui à Marseille. Et c’est fort de son immersion nouvelle dans la Cité Phocéenne qu’il assure :

« Si l’on parle de rock, l’aura bordelaise est intacte. Je croise des groupes pour qui Bordeaux est magnétique. C’est la ville totale, viscéralement liée au rock. »

Guillaume Mangier, le responsable du dispositif d’accompagnement de groupes La Pépinière, évoque ses « amis parisiens en visite qui disent ressentir l’esprit rock bordelais rien qu’en sortant en ville : la manière dont les gens s’habillent, la musique qui passe dans les bars… »

Pour Didier Estèbe, directeur de la salle Le Krakatoa, aucune ambiguïté : « Bordeaux est une ville marquée au sceau du rock’n’roll. » Après presque trente-cinq ans passés à œuvrer au sein de cette scène rock, il en retient que :

« Au fil des années, il y a toujours eu des formations intéressantes, avec des phases hautes et des phases basses. Il y a eu ainsi des moments très forts comme la vague des groupes en ST (Strychnine, Stalag, Standards, etc. – NDLR), dans les années 80, emblématiques d’une époque très rock’n’roll, en parallèle de laquelle il y a toujours eu une grosse présence de reggae, très forte à l’époque. On peut aussi citer les années 90, avec des groupes comme les Wet Furs ou Mush. Ou encore toute la mouvance Hurlements de Léo/Rageous Gratoons… La diversification que l’on constate aujourd’hui ne rend notre époque que beaucoup plus riche. Aujourd’hui, on est dans une phase haute, avec une grande diversité des esthétiques. »

Des faces A, des faces B

Cette scène d’aujourd’hui, c’est notamment la préoccupation d’Aymeric Monségur, coordinateur et co-programmateur de l’association Bordeaux Rock :

« On ne peut pas toujours parler des mêmes groupes, les Noir Désir, les groupes en ST, ou Gamine… Même si ce n’est pas aussi fort que ce qu’il y a pu y avoir à une époque, il faut s’intéresser aux groupes du moment. »

Commence alors une liste de nouveaux talents, où s’imposent des artistes aussi variés que JC Satàn, Pendentif ou Odezenne. En effet, la question de la « grande diversité des esthétiques » se pose là.

« Il faut s’entendre sur la définition du mot rock », préfère prévenir Manu Rancèze, le programmateur de la Rockschool Barbey, avant de donner cet exemple :

« Si on considère les années 90, le seul groupe indé bordelais qui a joué dans les deux principaux festivals espagnols d’échelle européenne que sont Benicassim et Primavera, c’est Calc. S’agit-il encore de rock ou bien strictement de pop ? »

Les opérateurs culturels emploient volontiers le vocable institutionnel de « musiques actuelles ». Il faut dire qu’à peine évoque-t-on le terme « groupe rock » que le débat explose. Un interlocuteur pourra inclure le dub et le rap dans la famille rock, un autre s’étranglera à cette seule pensée.

« Nous mêmes, qui nous appelons Bordeaux Rock, avons du genre une définition assez large et ouverte, précise Aymeric. On s’intéresse à toutes les musiques actuelles et novatrices. »

Du côté de la Pépinière, Guillaume Mangier est catégorique :

« Quand il s’agit de repérer des projets intéressants, je me fiche de savoir s’ils sont rock ou pas rock. La famille du rock est tellement grande, avec des cousinages tellement variés. »

Nico Cabos, en charge de l’accompagnement artistique, explique de manière similaire ne prendre en compte qu’un « critère de qualité artistique » au moment de sélectionner les groupes qui pourront bénéficier du programme d’aide « Rockschool Pro ».

Ainsi, parmi les groupes emblématiques du dispositif, retrouve-t-on Pendentif, au format pop, ou Beasty, qui fait du beat boxing. Du côté de la Pépinière, les jeunes pousses sont A Call At Nausicaa, très folk ou Be Quiet, d’obédience new wave.

Avec humour, Captain, animateur sur Radio Nova Sauvagine, stigmatise la presse – essentiellement parisienne – qui n’a eu de cesse de répéter en boucle la même légende d’un « Bordeaux étiqueté ville rock où circulent des mecs avec des guitares, coiffés avec la mèche et chaussés de tiags, façon groupe en ST ».

A Call at Nausicaa, (Pierre Wetzel)
A Call at Nausicaa (Pierre Wetzel)

Des visages, des figures

« Bordeaux synonyme de ville rock ? Cela dépendra du milieu dans lequel on va traîner, résume Guillaume de La Pépinière. On pourra tout aussi bien avoir une expérience très électro de Bordeaux, ou en avoir une expérience très bourgeoise. »

Selon Captain, « c’est une habitude qui est établie dans la ville maintenant : pour sortir, on va voir des concerts et on va boire des coups, et de temps en temps des plus jeunes passent à l’acte à leur tour et achètent des instruments. C’est l’héritage direct des années 80 et 90, celui de la scène rock initiale ».

Comment et pourquoi Bordeaux est-elle devenue rock ? Denis Fouquet, l’historien du rock bordelais, avait apporté deux éléments de réponse. D’une part, un phénomène de réaction à « un certain hermétisme bourgeois, dans les années 70-80, qui sont le creuset du rock bordelais », avec « une volonté de casser les icônes et d’instaurer une contre-culture ». D’autre part, une forte effervescence associative.

« La notion de contre-culture a vécu, constate Manu de la Rockschool. Il ne s’agit pas tant d’un problème spécifique au rock, ou d’un problème bordelais : nous vivons dans une société où la notion même de contestation est complètement diluée, voire fait partie intégrante d’un système qui la récupère à son profit. »

Pour Fred Vocanson, le directeur du label bordelais Animal Factory :

« On n’est plus dans de la contestation pure et dure qui rentre dedans, comme on a pu le voir ici avec Noir Désir… Il ne me semble pas qu’on ait des groupes de cette trempe aujourd’hui. »

« Les groupes contestataires le sont dans leur façon d’être », vient compléter Captain, qui rajoute : « JC Satàn en est un bon exemple avec sa dimension sexuelle et tellurique. »

Fred Vocanson confirme : « Oui, le rock, pour moi, à Bordeaux, c’est JC Satàn. »

Vivier fertile

La locomotive Noir Désir n’existe plus. Eiffel et Détroit sont capables de remplir des Zéniths, mais pour les groupes comme JC Satàn ou Odezenne, dont les noms font pourtant l’unanimité, le cap du grand public et des gros volumes de vente est plus difficile à franchir. Pourtant, leur rayonnement est bien réel : on retrouve ces groupes dans les pages des magazines, et leurs albums sont en place dans les bacs des disquaires du pays. « Le rock à Bordeaux reste assez underground dans l’ensemble. La particularité de la scène bordelaise, c’est d’être super indépendante », analyse Aymeric
 de Bordeaux Rock.

Indépendante et créative, « notre scène est une scène fertile qui génère encore beaucoup de projets », se réjouit Didier Estèbe.

« On l’a vu avec la couverture médiatique dont a bénéficié Petit Fantôme, enchaîne Manu de la Rockschool : la presse nationale a toujours une oreille attentive sur ce qui sort de Bordeaux. »

Allant encore plus loin, il confie :

« Il m’arrive fréquemment de faire écouter des groupes de Bordeaux à des partenaires professionnels – tourneurs, maisons de disques… – et je choisis ma sélection avec discernement car je sais que parce que ça vient de Bordeaux, ils vont écouter, d’entrée de jeu. C’est le cas avec la salle parisienne Les Trois Baudets, qui me consulte pour sa programmation. »

Eric Roux, directeur de la Rockschool, abonde en ce sens :

« On le voit pour les sélections des découvertes du Printemps de Bourges. Les conseillers artistiques sont toujours curieux de savoir ce qui est présenté en région Aquitaine. »

Et si l’on se penche sur l’historique des groupes envoyés par Bordeaux à Bourges pour le prestigieux festival, on retrouve en effet Odezenne, Petit Fantôme, Botibol, JC Satàn et autre Pendentif…

En encourageante conclusion, l’opérateur local rapporte cette discussion avec Jean-Michel Dupas, programmateur du Printemps de Bourges :

« Il nous faisait remarquer que quand on regarde ce qui est sorti de chez nous ces dix ou quinze dernières années, force est de constater qu’il n’y a jamais eu de faute de goût. »

DES RENDEZ-VOUS POUR LES FANS :

Festival Bordeaux Rock, du jeudi 22 au dimanche 25 janvier, à l’I.Boat, au Bootleg, à l’Heretic, au Wunderbar, au Chicho et au BT St Michel.

• Auditions régionales du Printemps de Bourges, jeudi 22 janvier, à la Rock School Barbey

Bordeaux Mon Tremplin, jusqu’au 13 février.


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