Média local avec zéro milliardaire dedans

Le cinéma en Aquitaine : triomphalisme ou manque de réalisme ?

Suite à l’article « Cinéma : une affaire qui tourne en Aquitaine » publié sur Rue89 Bordeaux, Richard Berthou, technicien indépendant à Bordeaux, a voulu réagir au constat dressé par Frédéric Vilcocq, conseiller technique en charge de la culture à la région Aquitaine. Il apporte un point de vue qui révèle des difficultés que rencontrent les techniciens sur le terrain et dans l’économie de leur métier.

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Le cinéma en Aquitaine : triomphalisme ou manque de réalisme ?

Tournage à Bordeaux en 2014 (WS/Rue89 Bordeaux)
Tournage à Bordeaux en 2014 (WS/Rue89 Bordeaux)

En France, toutes les régions sont devenues des financeurs importants de la production cinématographique française et tant mieux ! Elles sont d’ailleurs récompensées les unes après les autres au fil du temps via les comédiens et réalisateurs. Cette année, c’est le tour de la région Aquitaine.

Mais si le choix initial d’une région est parfois objectif (décors, ressources…), il peut être beaucoup plus subjectif (montant de l’aide, proximité de Paris…). C’est avant tout celui des producteurs et des réalisateurs.

La mise en perspective historique de l’ensemble des évènements, que fait Frédéric Vilcocq dans votre article, est trompeuse. Elle tente de créer l’illusion d’une stratégie de développement de la filière. Or, chaque tournage a eu ses spécificités de production.

Le décor naturel avant tout, la décoration est morte

Les situations changent en permanence et, pour ne parler que de la Gironde, il n’existe pas de logique en terme de production et de retombées économiques sur l’emploi entre « La bicyclette bleue » (une grosse série TV), « Les petits mouchoirs » (un « blockbuster ») et « Les combattants » (un premier film fauché). Leur point commun est l’utilisation des mêmes décors naturels, l’action publique n’y est pour rien.

Car si l’on reprend dans l’ordre, il faut bien comprendre que le départ de la réalisation de fictions en Aquitaine a été lié à la présence d’une unité de production et de fabrication à France 3 Aquitaine.

C’est d’ailleurs là que l’embauche locale et la formation ont commencé et en particulier sur les postes de régie, fonction généralement locale dans l’histoire du cinéma mondial (pour preuve d’entregent bien logique)…

Il en est de même pour la décoration, souvent confiée à des équipes locales en particulier pour sa construction à faire très en amont du tournage. Cependant, la décoration est une des professions les plus menacées : on lui préfère les nouvelles technologies, beaucoup moins coûteuses.

Cette activité récurrente a permis de stabiliser de nombreux emplois. Elle continue d’ailleurs à le faire malgré un ralentissement net, justement pour des raisons de changement de politique d’aide publique, et ce sont encore les téléfilms privés qui structurent le plus l’emploi local.

Retours sur investissement ailleurs que dans la filière cinéma

Concernant les « blockbusters », il est bien évident que tout vient de Paris ou de l’étranger et que la majorité des choix sur l’emploi s’y jouent. Le montant élevé des coûts de production permet un retour pour la filière locale, plutôt vers les emplois subalternes et peu qualifiés.

Si toutefois l’aide logistique de structures locales est utilisée un apport financier n’est pas demandé. Malgré tout, les premiers films, souvent « fauchés », ont un besoin vital des aides régionales pour exister. Mais l’impact sur l’économie locale est dérisoire : par exemple pour un film comme « Les combattants », le nombre maxi d’emplois sur ce tournage de techniciens aquitains est de 5 dont 2 en permanence.

Quand aux retours sur investissement, ils sont de plus en plus faibles car les premiers films sont plus courts en durée de tournage – car moins riches – et les équipes sont de moins en moins locales et de plus en plus réduites.

La présentation optimiste sur les retours sur investissement faite dans l’article, concerne ce qui n’a pas un rapport direct avec notre métier. Les acteurs du tourisme et du commerce local sont finalement plus avantagés que la filière qui est censée être soutenue. Tout fait « ventre »… mais pas « tête » !

La publication du ratio entre le montant des aides engagées et le nombre de jours de tournage générés eut été bien plus parlant surtout s’il est comparé à l’ensemble des régions.

Des techniciens mal informés et des intermittents dispersés

Si un effort est fait pour la création d’une base de données sur le site d’Ecla regroupant acteurs, techniciens, producteurs… il reste encore à faire pour la valoriser (comme la mise en place d’une appli smart phone en direction des productions par exemple)

En revanche, pourquoi il est si difficile de connaître les délibérations des commissions en temps réel ? Les résultats et des attributions sont connus trop tardivement et souvent par le biais de demande désespérées de figurants que l’on trouve sur le site d’Ecla, alors que l’emploi se fait rare et souffre d’une concurrence nationale.

Une des caractéristiques de ce secteur est qu’il est majoritairement composé d’intermittents dispersés autour d’un tissu économique constitué d’une kyrielle de micros entreprises d’une durée de vie souvent courte. L’activité principale en région est à ce jour la production de documentaires. Une seule production et quelques loueurs se hissent au rang de PME.

La solidarité n’est pas le point fort de ce milieu

Si la solidarité n’est pas le point fort de ce milieu, les actions les plus remarquables ont cependant été générées par les professionnels eux même. Elles se sont malheureusement essoufflées car ont dû rapidement se positionner (trop ?) plus en terme de contre-pouvoir que de transversalité constructive face a un interlocuteur réticent et sur ses gardes envers un milieu inquiet. Un rendez-vous a été manqué.

Hormis les présentations lors de festivals régionaux l’accompagnement est laissé au soin des producteurs et des exploitants de salles. De très nombreux courts métrages, pourtant aidés, ne sont uniquement visibles que sur des plateformes de téléchargement privées. Pourtant des soirées collaboratives ont été organisées par des collectifs de productions et des exploitants de salle ont très bien marché et permis des rencontres interprofessionnelles utiles.

Une volonté existe mais là aussi s’essouffle, la marge de manœuvre des petites structures de production de fictions est faible.
Seuls quelques acteurs de la production favorablement identifiés sont conviés voire même mandatés pour représenter les institutions sur des grandes manifestations. Les efforts auraient ils été concentrés sur les long métrages, pourtant peu structurants localement en matière d’emploi, mais plus visibles en terme d’image et de communication ?

Une nouvelle politique attendue de la nouvelle équipe

Dés 2016, l’évolution de la structure administrative des régions va aussi engendrer des conflits d’intérêts. L’exemple cité de « I Can Fly » qui s’installe à Bègles nous fait irrémédiablement penser aux problèmes que rencontre déjà « Magelis » (pôle images numériques) à Angoulême. La mutualisation est-elle envisagée et l’expertise des Charentais a-t-elle été prise en compte ?

De la même façon le taux de remplissage des studios de tournage (Bègles et Angoulême) est-il suffisant pour amortir ses deux investissements ? Sans compter que les deux structures sont gérées par deux grands groupes français concurrents. Qu’en disent leurs gérants ?

De nombreuses questions que beaucoup de gens de la profession se posent à cette heure difficile laissant un goût parfois très amer dans la bouche de certains. En tout cas, monsieur Vilcocq n’y répond pas en nous donnant cette vision trop glamour de la situation, bien que ses idées pour favoriser une certaine conception de l’aide au cinéma français puissent être défendables.

Rester transparent et attentif aux demandes des acteurs locaux historiques et à venir, pour renforcer un tissu économique fragile et en voie de développement, est plus que jamais nécessaire à l’ère des relations contributives.

Une volonté d’ouverture et de co-construction sera-t-elle mise en œuvre par la nouvelle équipe de l’agence Ecla ?


#cinéma

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