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Les droits culturels dans la loi NOTRe : un impératif de liberté

Proposé pour « garantir les droits culturels des citoyens » et adopté au Sénat, l’amendement n° 614 à l’article 28 de la loi NOTRe (Nouvelle organisation territoriale) a été rejeté par la Commission des lois. Après avoir co-signé une tribune dans l’Humanité et écrit à François Hollande, Jean-Michel Lucas revient pour Rue89 Bordeaux sur l’importance de cet amendement, la loi étant examinée actuellement à l’Assemblée nationale.

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Les droits culturels dans la loi NOTRe : un impératif de liberté

Panorama de l’hémicycle de l'assemblée nationale (photo Richard Ying et Tangui Morlier)
Panorama de l’hémicycle de l’assemblée nationale (photo Richard Ying et Tangui Morlier)

Jean-Michel Lucas (DR)
Jean-Michel Lucas (DR)

Lors des débats sur la loi NOTRe, relative aux compétences des collectivités territoriales certains députés ont rejeté l’amendement adopté par le Sénat instituant l’obligation pour les collectivités de « garantir les droits culturels des citoyens ». Leur argument a, alors, été l’impossibilité de légiférer sur un sujet qu’ils ignoraient. J’ai dénoncé cette argumentation qui, par ignorance coupable, met en cause notre signature des conventions Unesco sur la diversité culturelle.

Puis, le refus de prendre en considération l’amendement du Sénat a fait place à une argumentation plus pernicieuse associant aux droits culturels le risque majeur de la disparition de la liberté artistique. Une organisation de professionnels de la culture a fait valoir qu’ avec les droits culturels, les élus seraient obligés de répondre aux demandes culturelles de leurs électeurs, ce qui signerait la fin de l’autonomie des programmateurs des lieux culturels subventionnés.

Contre ce mauvais esprit du malheur annoncé, il faut remettre un peu de raison dans la discussion publique, puisqu’en ce moment, l’Assemblée nationale débat de ce point essentiel de la compétence culturelle des collectivités.

La liberté des professionnels des arts menacée ?

En premier lieu, j’ai entendu mille fois ce récit de la perte de liberté des professionnels des arts et il faut bien reconnaître qu’il n’a rien d’irréaliste. Sauf qu’il est particulièrement fallacieux de le mettre sur le dos des droits culturels.

En effet, aujourd’hui comme hier, la règle de droit est que n’importe quel maire peut programmer ce qu’il veut dans le lieu culturel qu’il finance ! Ce n’est que par le hasard historique d’une volonté ministérielle, commencée sous Malraux et consolidée par Lang, que les équipements culturels labellisés bénéficient de l’autonomie de programmation. Du coup, à ce hasard historique s’ajoute l’aléa géographique puisque nul ne peut prévoir à l’avance sur quel territoire la liberté des programmateurs sera garantie, ou non ! Sans compter qu’à chaque élection, le risque existe d’un changement de pratiques.

Jamais – je le répète, jamais – aucune loi de la République n’a eu la volonté de transformer ces hasards du temps et des lieux en obligation nécessaire pour l’avenir de la république. On en est resté à la « compétence générale » des collectivités, ce qui veut dire qu’en matière de culture, chaque collectivité fait comme elle veut, la loi ne l’obligeant à rien ! Ce qui est une autre manière de dire que la Nation s’en fiche !

Conséquence : dans notre démocratie actuelle, l’intérêt général concorde avec les choix culturels des élus, non avec ceux des professionnels des arts, sauf dans le cas, assez limité, d’une labellisation avec le ministère de la culture.

« Qui paye, commande ! »

D’une certaine manière, on pourrait dire, et pour ma part, je le dis ouvertement :

« Le ministère de la culture devrait se sentir coupable de ne pas avoir tenté, en cinquante ans, de transformer le cas particulier des lieux conventionnés, en un cas général garantissant, sur l’ensemble du territoire, la liberté artistique des responsables d’équipement financés sur fonds publics. »

Faute de législation adaptée, il ne faut pas s’étonner de constater l’interventionnisme d’élus sur la programmation : « Qui paye, commande !! ». Il ne s’agit pas d’un effet pervers que l’on pourrait mettre sur le dos des droits culturels, mais d’une conséquence directe de la règle de droit actuelle !

Or, ce que le ministère n’a jamais fait, il peut maintenant le faire grâce à la lucidité du Sénat. Dans la discussion parlementaire actuelle, il devrait, avec certains députés progressistes, reprendre à son compte l’amendement qui rend obligatoire la compétence culturelle conjointe des collectivités et de l’Etat visant à garantir les droits culturels des citoyens, conformément à nos engagement dans les conventions Unesco sur la diversité culturelle.

Je me doute que cette argumentation étonne ignorants et frileux, surtout ceux qui tiennent les grandes maisons culturelles et qui vivent de l’illusion que leurs choix artistiques sont, par essence, d’intérêt général.

« Êtres libres et égaux en dignité et en droits »

Alors, pour prolonger la tribune parue en défense de l’amendement du Sénat et qui s’interrogent sur les motivations de ceux qui ont peur des droits culturels, je précise le raisonnement sur la liberté artistique.

Quand on dit « droits culturels des personnes », on se réfère aux droits humains fondamentaux. Comme le rappelait récemment Patrice Meyer Bisch :

« Les droits culturels sont des droits de l’homme à part entière qui désignent le droit à l’éducation et le droit de participer à la vie culturelle (art. 26 et 27 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) et 13, 14 et 15 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels). Les droits culturels font l’objet d’une analyse spécifique beaucoup plus soutenue depuis 2001 aux Nations Unies, en raison de l’actualité et de l’avancée des instruments normatifs de l’UNESCO sur la diversité culturelle. »

Ce référentiel met, évidemment, la liberté et la dignité des personnes au cœur de ses préoccupations, puisque l’article 1 de la DUDH définit les êtres humains comme des « êtres libres et égaux en dignité et en droits ». Conséquence immédiate : L’État de droit doit tout faire pour garantir la liberté de conscience, la liberté de pensée et la liberté d’expression de ces êtres d’humanité (articles 18 et 19 de la DUDH.) Ainsi, la garantie de la liberté d’expression artistique doit être considérée comme une condition nécessaire du progrès de l’Humanité.

Comment faire comprendre cette évidence universelle à ceux qui voient du populisme rampant dans la reconnaissance des droits culturels par la loi ? Peut-être en prenant comme référence les propos de la conseillère spéciale pour les droits culturels auprès de l’Onu, madame Farida Shaheed.

Le droit à la liberté d’expression artistique et de création

Je conseille à tous ceux qui ont une approche simpliste des droits culturels de lire le rapport de madame Shaheed consacré à la liberté d’expression artistique. L’idée centrale est que partout dans le monde, pour respecter les droits humains fondamentaux, les gouvernements devraient assurer la protection et la promotion de la liberté artistique. Avec son passé, la France ne peut renoncer à montrer l’exemple dans l’application de ce droit humain fondamental.

Je retiens trois paragraphes de ce rapport en me demandant une fois de plus pourquoi les frileux refusent de les lire :

Paragraphe 35 : « Les artistes, comme les journalistes ou les défenseurs des droits de l’homme, sont particulièrement exposés dans la mesure où leur travail consiste à interpeller ouvertement des personnes dans le domaine public. Par leurs expressions et créations, les artistes remettent souvent en question nos vies, notre perception de nous-mêmes et des autres, les visions du monde, les relations de pouvoir, la nature humaine et les tabous, suscitant des réactions tant émotionnelles qu’intellectuelles. »

Paragraphe 37 : « L’utilisation de la fiction et de l’imaginaire doit être comprise et respectée comme un élément essentiel de la liberté indispensable aux activités créatrices et aux expressions artistiques : la représentation du réel ne doit pas être confondue avec le réel, ce qui signifie, par exemple, que ce que dit un personnage de roman ne saurait être assimilé à l’opinion personnelle de l’auteur. Ainsi les artistes devraient pouvoir explorer le coté sombre de l’humanité et représenter des crimes ou ce que certains considèrent comme de “”l’immoralité”, sans être accusés de les promouvoir. »

Paragraphe 20 : « Les États devraient stimuler la demande publique et privée pour les fruits de l’activité artistique afin d’accroître l’offre d’emplois rémunérés pour les artistes, notamment par voie de subventions à des institutions artistiques et de commande à des artistes et par l’organisation d’événements artistiques sur le plan local, régional ou national, ainsi que par la création de fonds des arts. »

La liberté d’expression pour lutter contre l’extrémisme

Sur cette base, avec l’adoption de l’amendement du Sénat sur les droits culturels, chaque personne exprimant sa liberté d’expression artistique, devra pouvoir compter sur la protection de la loi. Pas uniquement quelques professionnels choisis par l’Etat et le pouvoir politique local. Cet impératif de liberté pour les expressions de l’imaginaire a fait partie, je crois, des valeurs revendiquées massivement lors des douloureux événements récents.

En tout cas, le moment est bien choisi pour le législateur de confirmer l’obligation pour chaque collectivité de garantir les droits culturels des citoyens puisque le ministère de la culture doit présenter prochainement au Parlement une loi sur la création artistique !

Dans ces temps où les extrémistes de tout poil prétendent régir nos libertés, on doit souhaiter que l’Assemblée nationale fixe aux collectivités l’obligation de garantir nos libertés d’expression artistique en inscrivant, dans la loi NOTRe, l’amendement adopté par le Sénat.

Jean-Michel Lucas est docteur d’État ès sciences économiques.
Il a été directeur régional des Affaires culturelles en Aquitaine
et conseiller au cabinet du ministre de la Culture, Jack Lang.
Il est membre du Conseil culturel de Bordeaux.


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