« Si on en restait là, on serait cocufiés dans les grandes largeurs ! » Le maire (PS) de Libourne Philippe Buisson ne cachait pas mercredi soir sa colère au retour de son entrevue, le même jour à Paris, avec le « facilitateur » Jean Auroux (ex-ministre du travail et des transports sous les mandats de François Mitterrand), engagé par la SNCF pour rétablir le courant avec les collectivités de la région. Les élus sont en surchauffe depuis l’annonce de la remise en question des engagements de l’opérateur.
La ligne n’est pas encore coupée avec le PDG de la SNCF Guillaume Pépy mais la tension est montée de plusieurs volts ces derniers jours.
« Les collectivités ont signé en 2010 avec l’Etat et RFF, en échange de leur participation financière au projet de ligne à grande vitesse entre Paris, Bordeaux, Toulouse et Dax, une convention de desserte que la SNCF n’entend pas respecter », indique le maire de Libourne, qui organisait ce jeudi matin une conférence de presse pour informer du renoncement de la SNCF.
Pour Libourne, l’entreprise ferroviaire s’était engagée à maintenir 10 allers-retours quotidiens entre Libourne et Paris. Puis on est tombé à 6. « Aujourd’hui c’est 3, commente Philippe Buisson. Or la Communauté d’agglomération de Libourne a contribué à hauteur de 2,5 millions d’euros au financement de la LGV ! »
« 45 millions pour voir passer les trains »
Les élus charentais eux aussi ont cru au Père Noël. La SNCF avait promis le maintien des 23 arrêts quotidiens en gare d’Angoulême. Ce qui permettait de desservir Cognac, Saintes, Royan et Limoges via le TER. Cet engagement figurait dans la convention signée en 2009 à l’initiative du département charentais entre l’Etat, RFF et les collectivités : ces dernières s’engageaient à mettre 45 millions d’euros au pot en échange du maintien des dessertes à Angoulême, vitales pour l’emploi local. Au final : seuls 14 arrêts quotidiens seront maintenus. « 45 millions d’euros pour regarder passer les trains » s’indigne Jean-François Dauré, président de Grand Angoulême.
Les élus charentais de tous bords ont manifesté leur colère vendredi 6 février à l’encontre du PDG de la SNCF, Guillaume Pépy. Le Département, le Grand Cognac et le Grand Angoulême ont bloqué le solde de leur participation financière à la LGV : plus de 10 millions d’euros. « Nos territoires valent plus que les profits de la SNCF et de Vinci » (le concessionnaire via Lisea). D’autres actions sont à venir.
500 000 euros gelés à Libourne
Philippe Buisson se prépare lui aussi à « un bras de fer » avec l’opérateur. Son objectif : maintenir au moins six allers-retours quotidiens de TGV à Libourne ainsi que des contreparties (il évoque l’aménagement d’un pôle multimodal à la gare). S’il n’obtient pas satisfaction, l’édile menace de ne pas payer le reste de la subvention allouée au financement de la LGV par la Communauté d’agglomération libournaise (Cali), qu’il préside, soit 500 000 euros en 2015.
Une délibération doit être prise ce vendredi soir, en Conseil communautaire, afin de « geler » cette somme tant qu’un accord n’est pas trouver.
« Je suis prêt à en référer à Alain Vidalies (secrétaire d’État aux Transports, ndlr) et Ségolène Royal – ministre de l’Ecologie, poursuit Philippe Buisson. La position de la SNCF pourrait se contester devant des juridictions. On veut faire respecter nos droits. Libourne, c’est 26 000 habitants, sur un bassin de plus de 400 000. La gare de Libourne est une gare de rabattement pour les usagers du Sud-Charente ou de Périgueux. Beaucoup de Libournais viennent travailler à Angoulême ou même Poitiers ; et vice-versa. Or la décision de la SNCF fait qu’ils devront prendre leur TGV à Bordeaux et perdre au moins 40 minutes pour se rendre en gare Saint-Jean. Sans oublier qu’un million de touristes viennent chaque année découvrir Libourne. »
Motif de ce recul de la SNCF : un détour par Angoulême fait perdre 30 minutes à un Paris-Bordeaux. La Cour des Comptes avait tiré le signal d’alarme. Dans un rapport publié à l’automne 2014, elle rappelait que les conventions signées n’engagent pas la SNCF.
« Des promesses faites à d’autres élus dans les régions Rhône-Alpes ou Lorraine sur le maintien de dessertes ferroviaires ont été annulées après mise en service des TGV sur la LGV », rappelle sur son blog Jean-Robert Thomas, président de l’association Landes Graves Viticulture Environnement en Arruan (LGVEA).
Objectif de rentabilité
La SNCF ne fait d’ailleurs que suivre les recommandations des hauts magistrats de la Cour : dans ce même rapport,ils estiment en effet que « la grande vitesse est rentable dès lors qu’elle dessert des bassins de population importants, sans trop d’arrêts intermédiaires et avec des fréquences de passage les plus élevées possibles ».
Or, « le choix systématique de la grande vitesse ferroviaire a abouti à un système peu cohérent, où les rames de TGV desservent 230 destinations et passent 40% de leur temps en moyenne sur les lignes classiques, ce qui nécessite en outre un parc important de rames ».
C’est donc dans un objectif de rentabilité de la future LGV que l’entreprise ferroviaire a décidé de faire sauter un maximum de dessertes.D’autant que les péages que la SNCF devra verser à Lisea pour la tranche Tours-Bordeaux seront « deux à trois fois supérieurs à ceux actuels », selon un représentant de la CGT, Joël Vignerie, interviewé en décembre dernier dans un reportage de France 3 Aquitaine.
Jean Auroux, le médiateur entre les élus et la SNCF, doit rendre un rapport sur ces dessertes d’ici juin. Avant la fin 2015, la compagnie doit en effet impérativement réserver ses sillons pour 2017, année de mise en service de la LGV Paris-Bordeaux.
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