Les presque 2 millions de visiteurs de la Dune du Pilat sur le Bassin d’Arcachon ont sans doute tous ressenti la même émotion après son ascension (difficile pour les moins sportifs !). Une fois parvenu au sommet, un panorama époustouflant s’offre à la vue, à 360 degrés. Devant soi, le Banc d’Arguin, la Pointe du Cap Ferret, le bassin d’Arcachon et ses passes, au loin l’Océan Atlantique. Derrière : un océan vert, des pins à perte de vue…
Nous sommes au sommet de la plus haute dune d’Europe : 110 mètres de haut, 2,7 kilomètres de long, 500 mètres de large, 60 millions de mètres cubes d’un sable blanc parmi les plus fins de France. Mais les visiteurs et amoureux du site, de plus en plus nombreux, savent-ils qu’ils se promènent sur des propriétés privées ?
Au bon vouloir des propriétaires
60 à 65% de ce monument naturel d’exception situé sur la commune de La Teste de Buch en Gironde, est en effet constitué de parcelles privées.
« Quand nous installons l’escalier en bois qui permet de monter plus facilement la Dune pendant la saison, il nous faut demander l’autorisation au propriétaire de cette partie de la Dune ! Et s’il refuse, nous ne pouvons pas l’installer, c’est déjà arrivé ! » s’exclame Michel Daverat, président du Syndicat Mixte de la Grande Dune du Pilat et conseiller régional Europe Ecologie les Verts.
La structure qu’il dirige a vu le jour en 2007 et réunit trois collectivités : la commune de la Teste-de-Buch, le Département de la Gironde et la Région Aquitaine. Parmi ses missions, accueillir le public – le syndicat mixte et ses 11 salariés se financent grâce au parking payant qui rapporterait plus de 800 000 euros annuels selon nos informations –, préserver et gérer le site, et surtout mener une politique d’acquisition foncière car pour l’instant, seuls 130 hectares sont des propriétés « publiques », sur un périmètre de 506 hectares pour l’ensemble du site classé.
Nationalisation de la Dune
Après des années de gestion privée, notamment via une délégation de service public confiée à une société pour le parking payant de la Dune, l’État et les collectivités locales tentent de mettre en place les conditions d’une « maîtrise foncière publique ». En 2012, une convention pour une deuxième opération « Grand Site de la Dune du Pilat » est signée entre l’État, la Région, le Département, la commune de la Teste, le syndicat intercommunal du Bassin d’Arcachon et le Syndicat Mixte de la Dune du Pilat.
Objectif : obtenir le label « Grand Site de France ». Si l’opération arrive à son terme, la Dune du Pilat deviendrait le premier site aquitain à entrer dans ce club VIP qui regroupe actuellement 14 lieux emblématiques tels que la Pointe du Raz en Bretagne ou la montagne Sainte-Victoire en Provence.
Mais cette opération d’ « appropriation publique » qui concerne environ 400 hectares de la Dune et de la forêt, dont 160 hectares en forêt usagère, est loin d’être aboutie. On pourrait même dire que le projet s’ensable. Si la Dune grignote inexorablement la forêt au gré de l’érosion marine et du vent (elle recule d’ 1 à 4 mètres environ par an), faisant fi des propriétés privées, les porteurs du projet se heurtent à de nombreux obstacles. Ils doivent négocier avec pas moins de 150 propriétaires différents, en forêt privée et usagère, pour 250 parcelles environ.
Notre pin quotidien
Quelques ventes ont été conclues ou sont sur le point de l’être à travers des négociations amiables et discrètes. Mais les principales réticences n’émanent pas des propriétaires qui pourraient voir dans ce projet une opportunité de glaner quelques euros (les propriétaires de la forêt et leurs représentants, contactés par Rue89 Bordeaux, n’ont pas donné suite ou n’ont pas souhaité répondre à nos questions).
L’opposition la plus forte provient pour l’instant de l’Addufu, l’Association de Défense des Droits d’Usage et de la Forêt Usagère de La Teste.
« Le Conservatoire du Littoral, l’organisme censé protéger l’environnement, envisage d’acquérir des parcelles qui se situent en forêt usagère sous forme de négociation amiable ou d’expropriation, affirme Jean-Claude Dupoy, président de cette association qui revendique 650 adhérents. Il veut lancer une DUP (Déclaration d’utilité publique). Le projet en soi n’est pas incompatible avec les droits d’usage, mais les propos tenus par les responsables du Conservatoire nous ont inquiété car en fait, ils remettent en cause les droits d’usage. Le fait de vouloir gérer eux-mêmes ces parcelles est incompatible avec le statut de la forêt usagère. Ce sont les syndics généraux qui la gèrent et pas les propriétaires ! »
Et les campings dans tout ça ?
Les 5 campings installés au pied de la Dune du Pilat ne sont pas concernés par cette opération d’acquisition foncière dans le cadre du projet Grand Site. Ils font partie du Site classé car ils existaient avant le classement de 1994.
Mais ces établissements sont actuellement dans le collimateur de l’Etat. Le 5 décembre dernier, le ministère de l’Ecologie leur a demandé de retirer 230 mobile-homes construits sans autorisation. Une annonce qui a provoqué la colère du représentant des propriétaires des campings. Parmi eux le footballeur Mathieu Valbuena, bordelais d’origine, qui possède le camping du Pyla. Le camping de la Dune plus connu sous le nom de « Camping Les flots bleus » depuis les tournages des films Camping 1 et 2 est également concerné.
A terme, la présence même de ces campings sur le site semble compromise compte tenu de l’avancement de la Dune et du retrait du trait de côte. Les autorités sont déjà en train de penser à une « relocalisation », mais ceci est un autre dossier…
La forêt usagère de la Teste possède en effet un statut tout à fait unique en France (cf encadré ci-dessous). Ni privée, ni domaniale ni communale, elle est régie par des textes qui remontent au Moyen Âge. Aujourd’hui, ces droits d’usage toujours en vigueur concernent potentiellement 60 000 personnes : les habitants des communes de La Teste-de-Buch, Arcachon, Gujan-Mestras et d’une partie de Lège-Cap-Ferret.
« Ils peuvent prélever du bois de chauffage librement s’ils vivent dans ces communes à l’année, explique Jean-Claude Dupoy. Cela représente de sérieuses économies d’énergie ! Bien sûr, la revente n’est pas autorisée. S’ils justifient de 10 ans de résidence, ils peuvent aussi prélever des pins vifs pour la construction. Nous le faisons pour des ostréiculteurs par exemple, qui ont besoin construire ou de retaper leurs cabanes. Les particuliers peuvent aussi se fournir pour construire des charpentes, des abris ou leurs maisons. C’est du bois gratuit, seuls l’abattage et le sciage sont payants. »
Les Idefix à l’affut de l’Addufu
A l’image des irréductibles Gaulois des albums d’Astérix, ou plutôt d’Idefix, le chien ami des arbres, les membres de l’Addufu, association quasi centenaire, sont les gardiens et les défenseurs acharnés des droits d’usage. Leur vigilance est d’autant plus grande que ces droits ont souvent été remis en cause.
D’ailleurs, l’histoire de la forêt usagère et de l’ Addufu est une succession parfois rocambolesque de conflits, de révoltes et de transactions entre le Seigneur et les habitants, puis entre les propriétaires et les usagers. Depuis 1939, les premiers ont engagé de multiples actions en justice pour demander la suppression des droits d’usage. Le dernier procès a duré plus de 20 ans. Il s’est soldé en 2011 par une victoire en appel des communes représentant les usagers et de l’Addufu.
« On a gagné tous nos procès contre les propriétaires ! Et si le Conservatoire et le Syndicat Mixte remettent en cause les droits d’usage en voulant assurer la gestion de la forêt eux-mêmes, ils peuvent s’attendre à un soulèvement général, tonne André Gousset, vice président de l’association pendant 30 ans, aujourd’hui l’un des administrateurs et mémoire des lieux. Il faut bien comprendre qu’en forêt usagère, les propriétaires possèdent le sol mais les arbres ne leur appartiennent pas, ils sont réservés pour l’usage. Seuls les syndics généraux (2 représentants des propriétaires et 2 représentants des usagers) peuvent gérer cette forêt. Le droit de propriété est conditionnel au droit d’usage. »
« Les droits d’usage seront conservés »
Michel Daverat, le Président du Syndicat Mixte de la Dune, également membre de l’Addufu, se défend de vouloir remettre en cause ce droit :
« Les droits d’usage s’appliqueront bien sur les parcelles acquises. Normalement, en cas de DUP, les usages tombent mais nous avons consulté un cabinet d’avocat et il est possible de conserver ces droits. Nous avons fait valider cette décision par le conseil d’administration du Conservatoire du Littoral. Je suis personnellement très attaché à ces droits, j’ai fait construire ma propre maison avec du bois de la forêt usagère ! Notre projet n’est pas de racheter la forêt usagère mais de nous rendre maître du foncier sur les terrains où se concentrent le flux touristique et les activités qui peuvent dégrader le site, comme le stationnement sauvage. »
Maria De Vos, directrice du Syndicat mixte, précise que « le but est de trouver un équilibre entre cette fréquentation très importante et la protection du site naturel. L’été, la situation est critique. Certains font du camping sauvage avec un fort risque d’incendie ».
Pour Guillemette Rolland déléguée régionale du Conservatoire du Littoral, « le contexte local est très particulier » :
« Ces droits d’usage sont extrêmement anciens et peu utilisés. Nous avons fait le choix de les maintenir. Mais si les communes et les usagers considèrent que ça pose problème, on arrête ! Seulement, on ne règlera pas les problèmes d’accès au site. Cette forêt a aussi besoin d’entretien pour éviter les incendies et se régénérer. »
Enquête publique en avril
Le Conservatoire est en première ligne dans le projet d’expropriation précédé d’une déclaration d’utilité publique. Celle-ci présente l’avantage d’assurer une maîtrise foncière rapide, tout en laissant la place aux négociations amiables. Le dossier est actuellement à l’instruction au ministère de l’Écologie. L’enquête publique pourrait démarrer en avril selon Dominique Christian, sous-préfète d’Arcachon.
Qu’en pensent les élus locaux ? Joint par Rue89 Bordeaux, le Maire UMP de la Teste, Jean-Jacques Eroles, membre du Syndicat Mixte de la Dune du Pilat, n’a pas souhaité donner son avis sur ce projet. Selon les textes, l’édile de La Teste est en fait représentant des usagers de sa commune, mais fait valoir un droit de réserve alors qu’il se présente aux élections départementales.
Si l’opération « Grand Site » arrive à son terme, le Conservatoire devrait confier la gestion des parcelles acquises au Syndicat mixte de la Dune du Pilat. Pourrait-on alors imaginer la construction d’un deuxième parking pour faire face au problème de stationnement en forêt ? Il n’en n’est pas question assure son président Michel Daverat, conseiller régional EELV, qui ne se représentera pas aux prochaines élections. Son ou sa successeur sera-t-il du même avis ?
Toutes ces questions devraient en tous cas se poser à l’occasion d’une réunion publique organisée ce jeudi 19 février par le Conservatoire du Littoral (17h30, salle Maugis à La Teste-de-Buch) et à l’occasion de l’assemblée générale de l’Addufu (samedi 21 février à 14h, salle Cravey à La Teste-de-Buch). Les débats promettent d’envoyer du bois.
C.B.
4000 ans d’existence pour la forêt usagère
D’une surface d’environ 3800 hectares elle est classée au même titre que la Dune du Pilat depuis 1994. Pins, chênes, arbousiers, hêtres, houx, ajoncs, la « Montagne » comme on l’appelle ici est une forêt d’une grande biodiversité qui se régénère naturellement. On lui attribue 4000 ans d’existence contrairement à la forêt des Landes plantée par les hommes à partir du XVIIIe siècle.
La forêt est régie par des textes appelés « baillettes et transactions ». Le plus ancien de ces textes date de 1468. A l’époque, après une révolte des habitants, le Seigneur Captal de Buch rétablit les droits d’usage accordés par son grand-père et qu’il avait décidé de supprimer.
Ces droits sont nombreux : prélever du bois de chauffage, du bois de construction, droit de faire résine (gemmage) en payant une taxe au Seigneur, droit de pacage pour le bétail, droit de glandage (ramasser des glands)…
Au fil de l’histoire, les résiniers se sont partagé la forêt et sont finalement devenus des propriétaires « ayant pins » au moment de la Révolution : ceux-ci deviennent uniquement propriétaires du sol et des cabanes, et peuvent résiner les pins. Le boisement est communautaire et réservé à l’usage d’où l’impossibilité de clôturer. Les droits d’usage bénéficient aux habitants des anciennes paroisses (issues du Captalat devenues des communes), les « non ayant pins ».
Au XIXe siècle, avec le début des bains de mer et les prémisses du tourisme, des propriétaires parviennent à racheter les droits d’usage sur la forêt, c’est la naissance d’Arcachon. « Le hold up du siècle ! » pour André Gousset, mémoire de la forêt usagère.
La forêt a connu le plus fort de son exploitation dans les années 50, avec plusieurs scieries en activité. On est passé de 5000 mètres cubes par an à 100 mètres cubes de bois d’œuvre par an selon l’Addufu qui gère le pôle forestier du Natus (propriété de la ville de La Teste).
Depuis leur défaite en appel en 2011, les propriétaires refusent de nommer les syndics généraux en charge de la gestion de la forêt à parité avec les syndics des usagers. Ce statu quo entraîne un manque d’entretien de la forêt.
« Aujourd’hui, la forêt usagère souffre plus du manque d’exploitation que d’éventuels abus », avance Christian Gousset secrétaire général de l’ADDUFU.
« Cela paraît tellement extraordinaire d’aller faire son bois gratuitement sans autorisation que certains habitants, notamment les nouveaux, ne savent même pas qu’ils peuvent le faire. Il faut réactiver l’usage de manière plus intensive. Il y a de la désinformation et de l’intimidation de la part de certains propriétaires », ajoute Jean-Claude Dupoy, président de l’association.
Après avoir organisé la fête de l’usage en octobre dernier, l’association vient d’acquérir une scierie fixe pour faciliter la découpe de bois d’œuvre pour les usagers. Les bénévoles organisent aussi des réunions d’information pour faire connaître les droits d’usage aux habitants.
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