C’est un hommage aux anciens habitants de la résidence Le Signal qui y ont vécu des moments de bonheur. C’est aussi un pied de nez aux erreurs humaines qui ont fait que cet immeuble soit là. L’auteur Sophie Poirier et le plasticien Olivier Crouzel revisitent Le Signal, cette barre de béton qui défie l’océan jusqu’au dernier round tout proche où sa défaite est annoncée.
« On a tout dit sur Le Signal : le danger qu’il représente, l’aberration de sa construction, l’impact écologique, le financement de sa démolition, les polémiques financières… mais on n’a jamais parlé des gens et du bonheur qu’ils ont connu ici », relate Olivier Crouzel.
En effet, le procès qui est fait à cette construction datant des années soixante irrite les deux artistes bordelais. Ils soulignent que les mots « laid », « mocheté », « verrue », reviennent souvent dans les discussions. Sauf que des femmes et des hommes y ont laissé des souvenirs, idée sur laquelle ils avaient déjà travaillé auparavant :
« Nous nous sommes intéressés à cet immeuble depuis six mois, précise Olivier Crouzel. J’avais commencé mes explorations du lieu, et aussi sur internet où j’ai découvert les photos faites par une ancienne habitante. L’une d’elles représentait un graffiti sur le mur de son appartement : “Ici on a été heureux”. Ce fut la matière d’une première projection. »
« Au signal nous disparaîtront »
Sophie Poirier et Olivier Crouzel ont exploré parallèlement la résidence Le Signal. Les travaux se sont parfois rejoints pour faire œuvre commune. L’auteur avait signé un premier texte qui s’intitule « Au signal nous disparaîtrons ».
« Je ne sais pas pourquoi cet endroit m’émeut encore plus à présent qu’il est vide, qu’il est seul », écrit Sophie Poirier qui présente comme un fantasme l’envie de « se tenir derrière une des fenêtres, voir la mer depuis l’intérieur ».
Comme en écho, Olivier Crouzel répond par la vidéo d’un rideau rouge se battant au vent entre les éclats aiguisés d’une vitre brisée. « Rideau » sera une nouvelle occasion pour faire revivre la façade du Signal avant son fatidique « ground zero ».
Le travail continue
Olivier Crouzel a visité plusieurs fois le bâtiment. Entre la première et la deuxième, il découvre les lieux vandalisés. Il entreprend alors de balayer la cage d’escalier, dans une performance signée « Entretien – 6 entrées », en se basant sur le planning d’entretien et sur le règlement de copropriété affichés dans les communs :
« Il convient de respecter le travail du personnel d’entretien, de maintenir les portes d’entrée fermées et notamment la nuit. Toutes infractions répétées au règlement sont assorties d’une amende de 100 euros (décision de l’assemblée générale de la copropriété d’août 2011). »
Une reconstitution de la vie qui a animé les lieux ? Une préservation de la dignité d’un condamné à mort ? Peu importe, une complicité s’instaure entre l’artiste et son modèle. Il reviendra plus tard et relèvera une annonce pour enlever tous les encombrants « gracieusement ». Une nouvelle performance en découle, « Bienveillance », qui, avec la projection de l’annonce sur les côtés de l’immeuble, signe un nouvel épisode d’une disparition.
« Je vais poursuivre le travail sur Le Signal, précise Olivier Crouzel. J’envisage de suivre la méthode de démolition et le découpage de l’immeuble avec les ingénieurs. Il y aura également une collaboration avec des scientifiques sur la géologie du terrain avec l’étude du sable et de l’érosion. »
« C’est l’océan qui a gagné »
Olivier Crouzel investit les lieux abandonnés ou en devenir. Sa « relation » avec Le Signal s’est imposée spontanément et ce travail est une initiative personnelle. Celle-ci a suscité la curiosité des anciens occupants qui sont venus à sa rencontre.
« Ils étaient attristés par mes images. La condamnation du Signal restera un souvenir douloureux pour eux. La plupart ont appris par la presse qu’il fallait quitter les lieux. Ils avaient 48 heures pour déménager. L’électricité a été coupée avant même que certains finissent de déménager. »
Ce samedi matin à 5h41, à l’heure de la marée du siècle « où le bâtiment peut éventuellement s’écrouler » et à la lecture d’un texte de et par Sophie Poirier, les images d’un volet roulant qui se baisse sur l’horizon animeront la façade du Signal comme un dernier souffle, une fin de vie : Rideau.
« En fermant les rideaux, Le Signal sera enfermé dans les esprits. C’est une fin inexorable qui prouve que la nature est plus forte », ajoute Olivier Crouzel.
Une autre graffiti sur un mur du bâtiment lui donne raison : « C’est l’océan qui a gagné. »
Aller plus loin
- Toutes les interventions d’Olivier Crouzel sur Le Signal sont visibles sur son site internet : www.oliviercrouzel.com.
- Pour écouter les textes de Sophie Poirier sur son site internet : lexperiencedudesordre.com.
- Sur Rue89 Bordeaux, l’article sur l’érosion du littoral aquitain
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