A défaut de mascaret bleu marine emportant un bastion de gauche, le Front national veut jouer les trouble-fêtes en Gironde. Objectif : être présent au deuxième tour dans un maximum de cantons, et décrocher deux ou trois cantons, soit 4 à 6 sièges, sur les 66 du futur conseil départemental.
Cet « espoir raisonnable », selon Jacques Colombier, patron du Front national en Gironde, et candidat dans le canton de Bordeaux 5, se fonde sur les sondages flatteurs pour le Front national, notamment dans les zones rurales où il séduirait 43% des électeurs, et surtout sur les résultats des dernières élections : avec 21,47% des voix, le parti lepéniste est arrivé en tête en Gironde, distançant largement ses rivaux dans les zones rurales du « couloir de la pauvreté », où le chômage et l’extrême droite prospèrent de concert.
Lors d’une conférence de presse ce mercredi au siège bordelais du FN, Jacques Colombier cite ainsi les cantons du Médoc, de l’Estuaire (Blaye) et le Libournais comme susceptibles de tomber dans l’escarcelle frontiste :
« Grégoire de Fournas a de bonnes chances de remporter le siège du Nord Médoc. Des verrous et des tabous ont sauté, on l’a vu lors d’un dîner débat à Pauillac, où plus d’une centaine de personnes de sont déplacées dans un restaurant au vu et au su de tout le monde. »
« Je n’osais pas sortir du bois »
Le nouveau délégué du FN dans le Médoc, 29 ans, la joue modeste quant aux chances de victoires de son binôme – « Les retours sont excellents mais il y a beaucoup d’inconnues, et aucun sondage » – et reconnaît que la poussée de son parti doit peu à son implantation locale :
« Je suis viticulteur et milite au FN depuis plus de 10 ans, lorsque je me suis engagé contre le traité constitutionnel européen. Je n’osais toutefois pas sortir du bois car peur des retombées sur mon travail. Mais nous n’avions plus de responsable sur le Médoc et si cela n’avait pas été moi, cela n’aurait été personne. Nos bons résultats ne sont pas dus au travail fait localement, mais parce que les gens voient le Front national et Marine Le Pen dans les médias. Et parce que notre parti aborde des questions qui ne le sont pas ailleurs, notamment l’immigration et la ruralité. »
Quand on objecte à Grégoire de Fournas que l’immigration n’est pas du ressort du conseil général, il répond que ce dernier pourrait au moins agir en « refusant de subventionner des associations communautaristes » ou « réserver les aides sociales en priorité aux Français ».
Préférence nationale
Cette idée ne figure pas dans le programme officiel du FN pour la Gironde, et pour cause : il n’y en a pas. La fédération départementale se contente de reprendre des grands principes déclinés nationalement par le Rassemblement bleu marine, comme la baisse des impôts locaux ou la restauration des services publics de proximité.
Mais certains candidats se lâchent, à l’image de Gonzague Malherbe, dans le canton du Libournais. Cet ingénieur aéronautique de 25 ans, proche de la ligne la plus dure du FN, propose lui aussi de « réserver le RSA aux Français, l’Etat n’ayant plus les moyens d’accueillir et d’aider toute la misère du monde ».
« Ce ne sont pas les conseillers départementaux qui pourront valider cette proposition, reconnaît toutefois Grégoire de Fournas. C’est évident qu’on ne pourra pas l’appliquer seulement en Gironde et qu’il faudra un vote de l’Assemblée nationale. Les élections des conseils départementaux ne vont pas changer le quotidien des Français, mais favoriseront l’implantation du FN pour permettre l’élection de Marine Le Pen en 2017. »
Appâter le chaland
Traquer la fraude sociale, faire la chasse aux abus au RSA, baisser les indemnités des élus ou les subventions aux « compagnies de théâtre abscons », voilà quelques priorités du projet du FN s’il arrive aux affaires en Gironde. Un pont sur l’estuaire, comme le propose Yves d’Amécourt ? Pour Grégoire de Fournas, mieux vaut élargir à quatre voies les routes du Médoc et contourner les villages si on veut désenclaver la région. Malgré quelques références au développement des circuits courts, l’écologie n’est pas vraiment le point fort du FN, qui s’oppose par exemple à l’installation d’éoliennes au Verdon.
Se serrer la ceinture en attendant l’avènement de Marine : pas de quoi appâter le chaland à coup sûr. Or il faut mobiliser les abstentionnistes pour franchir la fatidique barre des 12,5% d’inscrits, qualificative pour le deuxième tour. Alors Jacques Colombier lance « un appel aux électeurs de droite », qui, s’ils ne votent pas FN, voteront PS ou PC : le secrétaire départemental frontiste fustige « l’impensable franchi par Yves d’Amécourt qui appellerait à voter communiste contre un candidat FN. C’est tromper l’électorat, et un certain nombre d’électeurs UMP nous ont dit qu’ils ne marchaient plus ».
Il évoque en outre un Alain Juppé qui « se gauchise », devenu favorable à l’adoption pour les couples homosexuels, et « tellement angoissé par le Front national qu’il a fait signer à chaque candidat (de Gironde Positive) une charte leur imposant de ne pas faire alliance avec le FN ».
Le Karcher à Salles
Reste toutefois à soigner la respectabilité du FN, le grand chantier de Marine Le Pen. Jacques Colombier a retiré rapidement l’investiture de Guillaume Jambard après son tweet saluant la devise de Pétain, « travail, famille, patrie ». En revanche, aucune sanction n’a été prise suite aux « blagues » racistes ou islamophobes relayées via sa page Facebook par le bordelais Frédéric Richou, sur la F.R.A.N.C.E. (Fédération des réfugiés arabes nourris par les caisses de l’Etat) ou sur la mallette de charcuterie antiterroriste. De l’humour « gaulois », minimise Jacques Colombier, qui défend la « liberté d’expression » de ses ouailles tant qu’ils ne sont pas sanctionnés par la justice.
Face à ces sorties recensées par le Parti communiste et plusieurs médias, dont Le Figaro et le Huffington Post, les candidats girondins ont des éléments de langage bien rodés : ces propos n’engagent que ceux qui les tiennent, le FN réagit avec efficacité pour éliminer les brebis galeuses, l’UMP et le PS devraient balayer devant leurs portes…
Et il préfère avancer ses nouveaux visages, comme celui d’Edwige Diaz, et candidate dans les Landes de Graves. Cette chef d’entreprise de 27 ans, issue de Salles, est une déçue du sarkozysme – « J’attendais le Karcher et un chef d’Etat qui s’impose, on a assisté à une hausse de l’insécurité et au bling bling ». Alarmée par l’insécurité (20 cambriolages par jour en Gironde !) cette adhérente au Front national depuis un an va devoir désormais gérer d’autres contradiction : défendre la fermeture des frontières tout en jurant ne pas être xénophobe, ou prôner l’allègement des charges et plus de libéralisme quand le programme économique du FN est étatiste et dépensier
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