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Clisthène : une pédagogie sur mesure qui fait école

L’annexe Clisthène au collège du Grand Parc à Bordeaux accueille ce vendredi le séminaire de la Fédération des établissements scolaires publics innovants (FESPI) qui fête ses dix ans. Cet établissement expérimental bordelais doublera l’année prochaine sa capacité d’accueil et jouera enfin dans la cour des grands.

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Clisthène : une pédagogie sur mesure qui fait école

Le collège Clisthène, une méthode expérimentale au sein du collège du Grand Parc (DR)
L’annexe Clisthène, une méthode expérimentale au sein du collège du Grand Parc (DR)

On dit de Clisthène qu’elle a inspiré la réforme des collèges voulue par Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Car cette annexe expérimentale du collège du Grand Parc est un modèle en manière de pédagogie :

« Voir Le Parisien annoncer sur deux pages le mois dernier que Clisthène est l’expérience dont s’est inspiré la ministre, qu’elle cite Clisthène dans son discours devant la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée Nationale, est une douce revanche », se réjouit Jean-François Boulagnon, initiateur du projet, aujourd’hui responsable d’un autre établissement.

Le projet, dans les tuyaux dès 2000 avec la complicité de Géraldine Rabier, n’a pas eu la vie facile. Son ouverture et celle de 20 autres structures expérimentales est annoncée à la veille des présidentielles de 2002 par Jack Lang, ministre de l’Education nationale du gouvernement Jospin. Seul Clisthène voit finalement le jour après le changement de majorité et la suppression du Conseil national de l’innovation scolaire (CNIRS) par le ministre Luc Ferry.

Certains qualifient alors le projet de révolution au sein de l’école publique :

« Nous défendons une professionnalité différente, plus globale et moins disciplinaire, précise Audrey Maurin, déléguée générale de la FESPI, la fédération des établissements scolaires publics innovants qui regroupe une quinzaine de collèges et lycées expérimentaux. Dans les établissements innovants, un professeur est multi-tâches : il exerce évidemment l’enseignement de sa discipline, mais doit également assurer les fonctions de tutorat pour les élèves et de référents pour leurs parents. »

Il en résulte, pour exemple, les semaines interdisciplinaires que Najat Vallaud-Belkacem met en avant dans sa réforme du collège. Durant ces semaines, les matières traditionnellement enseignées font place à des projets qui mêlent élèves et disciplines autour de sujets où des notions en maths, comme en sciences ou en géographie, sont appelées à la rescousse.

Prends ton petit déj d’abord !

En plus de l’interdisciplinarité, la structure même d’une journée d’école est totalement revue. L’emploi du temps est basé sur les rythmes des élèves en tenant compte des moments difficiles comme l’après repas ou la fin de journée.

L’école est ouverte à 8h30 pour un temps d’accueil qui comprend également un petit déjeuner. Avec d’autres activités possibles comme la lecture, l’informatique ou l’approche de l’actualité, ce moment est qualifié de « sas anxiolytique pour le bon fonctionnement de la matinée de cours ».

« Beaucoup d’élèves arrivent à l’école sans avoir pris le petit déjeuner, mais c’est aussi une manière de commencer la journée autrement que par la pression d’un cours », déclare Nadine Coussy-Clavaud, coordinatrice et professeur d’arts plastiques.

Toujours pour alléger la pression, les déplacements des élèves sont limités et les salles sont de facto allouées aux classes, ce sont les professeurs qui sont emmenés à se déplacer. Selon la direction, la vie scolaire en devient plus apaisée et les élèves retrouvent mieux leurs repères.

« Nous avons reçu des craintes de parents qui qualifient ce système de maternant et s’inquiètent alors d’un éventuel choc en arrivant au lycée, déclare Pierre-Jean Marty, coordinateur du collège. L’autonomie des élèves est encouragée au travers divers moments pédagogiques. La taille de notre structure rassure et permet de mieux apprendre. Outre le fait que l’arrivée en seconde soit difficile pour n’importe quel collégien, nous pouvons être réconfortés par l’attitude positive des collégiens sortants de Clisthène et intégrant des lycées d’un circuit habituel. »

Une vie sociale riche assure les liens entre les élèves, leurs familles et l'équipe de Chlistène (DR)
Une vie sociale riche assure les liens entre les élèves, leurs familles et l’équipe de Chlistène (DR)

Enfin, un système de tutorat permet la constitution de groupes d’entraides, aussi bien pour les devoirs que pour l’acclimatation des jeunes arrivants de la 6e. Les enseignants tuteurs assurent par ailleurs le rôle de référents pour les élèves et leurs familles. Cette proximité n’enlèvent rien aux rapports d’autorité puisqu’il s’agit « d’un tutorat individuel mais à l’intérieur d’un groupe où les élèves apprennent à bien réguler », assure Nadine Coussy-Clavaud.

Les effectifs ne sont pas particulièrement allégés : Clisthène compte 25 élèves par classe, et une classe par niveau.

Victime de son succès

A Clisthène comme ailleurs, l’expérience est victime de son succès. Les demandes affluent indépendamment de la carte scolaire et de nombreuses familles qui versent dans l’alternatif sont alléchées par l’expérience. Des familles modestes ratent ainsi l’innovation pédagogique qui peut convenir à leurs enfants en difficulté ou en voie de décrochage :

« Il y a en effet un risque de classes culturellement initiées, analyse Audrey Maurin. Certains établissements procèdent même à un tirage au sort ! »

Si le risque d’une fuite vers l’école privée existe dans certains quartiers difficiles, « il est impératif que l’école publique réagisse et propose des solutions éducatives et pédagogiques », rappelle la déléguée de la FESPI :

« Les établissements comme Clisthène sont rares en France. Leur développement rencontre des difficultés multiples à cause d’une certaine méconnaissance de la part des académies d’abord, mais aussi parce que ce sont des projets difficiles et longs à mettre en place. Malgré l’accueil positif du ministère, il y a un turn over important des postes des décideurs. »

Passés les obstacles pour la mise en place d’un établissement, la capacité d’accueil n’est pas au rendez-vous :

« Nous avons trop peu de classes ; une pour chaque année, précise Pierre-Jean Marty. Le groupe de sixième sera le même en cinquième, quatrième et troisième. Si la dynamique de la classe est mauvaise ou si l’élève rencontre un problème avec le groupe, cela nous dépasse. Nous allons doubler enfin nos classes après des années de demande. Cette année nous avons deux classes de sixième, l’année prochaine la cinquième sera de ce fait doublée et ainsi de suite… »

Doubler la capacité d’accueil de Clisthène, 15 ans après sa création, montre à quel point la rénovation du système éducatif est une affaire de longue haleine.

« Summerhill de quartier chaud »

Les fondateurs du collège bordelais ont dû franchir bien des obstacles administratifs, humains et matériels. Il a fallu convaincre le Conseil national de l’innovation pour la réussite scolaire (CNIRS), le recteur de l’Académie de Bordeaux, l’Inspection académique et aussi le Conseil d’administration de l’établissement de rattachement : le collège du Grand Parc.

« Tout au long de notre parcours, nous avons été régulièrement critiqués, rappelle Jean-François Boulagnon. Jean-Claude Brighelli a eu des mots durs à notre égard, nous qualifiant de pédagogues destructeurs d’élèves, à travers la critique de l’ouvrage de Luc Cédelle, “Un Plaisir de collège”, que le journaliste du Monde avait consacré à Clisthène. »

La directrice de la rédaction de Causeur, Elisabeth Lévy, dans son édito de septembre 2008, a d’abord qualifié Clisthène de « Collège expérimental Diam’s », avant de la consacrer « maison du bonheur » :

« Ce Summerhill de quartier chaud (en référence à l’établissement prônant les théories pédagogiques originales d’inspiration libertaire, NDLR) organise la cohabitation harmonieuse des enfants de la bourgeoisie et des enfants de pauvres de la cité voisine… »

Même les syndicats enseignants étaient dubitatifs sur l’expérience, raconte Jean-François Boulagnon :

« Ils voyaient d’un mauvais œil ces initiatives qui semblent tout mélanger et diluer la fonction disciplinaire d’un enseignant dans le contexte d’une équipe pédagogique. A la création de Clisthène, un puissant syndicat a voulu à plusieurs reprises organiser une manifestation devant les locaux. Face aux craintes venues de l’intérieur, il fallait se fédérer. »

C’est l’objet de la FESPI, dirigée de 2006 à 2009 par Jean-François Boulagnon. Elle se réunit vendredi et samedi à Bordeaux, pour plaider la cause de l’innovation pédagogique.


#Clisthène

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