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Eric Wirth : « L’architecture n’a jamais été un sport de combat ! »

L’intervention d’Eric Wirth, président du Conseil aquitain de l’ordre des architectes, lors de l’assemblée générale de l’Ordre national début avril, a suscité notre intérêt non seulement pour son franc-parler, mais aussi pour son regard lucide sur un monde qui bouge. « Ça fait trente ans que notre discours est le même, il faut arrêter d’avoir un discours que personne n’entend », confirme le président à Rue89 Bordeaux.

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Eric Wirth : « L’architecture n’a jamais été un sport de combat ! »

Le combat d'Eric Wirth vu par Anthony Jeamet (DR)
Le combat d’Eric Wirth à la tête du Conseil de l’ordre des architectes en Aquitaine, vu par Anthony Jeamet (DR)

Eric Wirth (DR)
Eric Wirth (DR)

L’architecture n’a jamais été un sport de combat. L’architecture est un combat (clin d’œil à l’ouvrage de Rudy Ricciotti, « L’architecture est un sport de combat », architecte de la future grande salle de spectacle de l’agglomération bordelaise qui sera construite à Floirac, NDLR).

Et dans ce combat, les architectes sont seuls, seuls à défendre l’intérêt public de l’architecture qui reste notre dernier argument, le dernier rempart, croyons-nous, face au détricotage accéléré de notre métier.

Mais qui se soucie aujourd’hui de l’intérêt public de l’architecture ?

L’architecture vue par les ministères

Où est l’intérêt public de l’architecture pour le Ministère des Finances dans la loi Macron qui autorise désormais n’importe qui à édifier un bâtiment agricole de moins de 800 m2, sans le concours d’un architecte ? Les bâtiments agricoles représentent 10 millions de m2, un tiers des constructions non résidentielles. La campagne, les paysages ruraux ne méritent donc pas la qualité architecturale.

Où est l’intérêt public de l’architecture pour ce même ministère dans la suppression annoncée de la procédure de concours, dans le cadre de la transposition en droit français de la directive Services ?

Où est l’intérêt public de l’architecture pour le Ministère des Finances, encore lui, dans la généralisation des contrats globaux, au seul profit de quelques grands groupes à qui on déroule plus que jamais le tapis rouge de leur inquiétante et implacable hégémonie ?

Où est l’intérêt public de l’architecture pour le Ministère du Développement durable lorsque les architectes sont systématiquement oubliés dans le grand chantier de la transition écologique ?

Où est l’intérêt public de l’architecture pour le Ministère de l’Intérieur qui, après avoir créé les SPL (Sociétés publiques locales, NDLR), les Semop (Sociétés d’économie mixte à opération unique, NDLR)… prévoit d’étendre les missions d’assistance technique des départements au profit des communes aux Domaines de la voirie, de l’aménagement et de l’habitat ?

Avec l’APGL (Agence publique de gestion locale, NDLR), nos confrères béarnais savent déjà ce que cela peut signifier. En 10 ans, les effectifs de l’ingénierie technique des collectivités publiques ont augmenté de 36%. Dans le même temps, les revenus des architectes aquitains, par exemple, ont chuté de 30% !

Et enfin, où est l’intérêt public de l’architecture pour le Ministère de la Culture ? Ou plutôt : où est le Ministère de la culture sur tous les sujets qui remettent gravement en cause l’article 1er de la loi de 1977, sa loi (article définissant l’architecture comme une expression de la culture, cette loi vient d’être consolidée le 15 avril, NDLR). ?

Silencieux, incapable de faire signer le décret sur l’abaissement du seuil, pourtant prêt depuis des années, sourd aux besoins de réforme de l’enseignement et de la HMONP (Habilitation­ à la maîtrise d’œuvre en son nom propre), absent sur le sujet de la formation permanente portée par le Conseil national de l’ordre des architectes… il est incapable de défendre l’architecture et ceux qui la servent.

Le sujet de notre tutelle doit être posé. Maintenant.

Certes, on ne peut que saluer le lancement de la Stratégie Nationale pour l’Architecture (dispositif mis en place par le Ministère de la Culture au profit de l’architecture et des architectes, NDLR) qui fait suite au rapports Bloche et Feltesse, qui font suite au rapport Dauge, au rapport… Mais quel sens, quel crédit peut-on lui accorder, quand, d’un côté, ce ministère engage une large réflexion sur l’architecture et l’exercice de notre profession, pendant que de l’autre, ses collègues du gouvernement remettent en cause la loi de 1977, la loi Mop (loi relative à la maîtrise d’ouvrage publique, NDLR), etc.

Le monde et la société changent

Notre combat a pour étendard l’intérêt public de l’architecture. Mais si on se trompait de combat ? Le monde change, la société change, tout bouge, et les architectes restent figés sur leurs lignes, leurs postures dogmatiques, en attendant que la vague les emporte. Et elle les emportera s’ils ne se posent pas les bonnes questions, s’ils refusent de regarder le monde tel qu’il est, et non tel qu’ils aimeraient qu’il reste.

Arrogants et mendiants, toujours …

En fait, derrière l’intérêt public de l’architecture, qu’est ce qui est défendu ? La question est posée. Quel est le problème ? Le problème, ce qui est défendu, c’est l’indépendance de l’architecte. Son indépendance de tout contexte et enjeu marchand.

Cette indépendance, qui garantit au consommateur que les choix qui sont faits par les architectes et les conseils qu’ils prodiguent ne sont dictés que dans l’intérêt de leur client, et celui de la société toute entière, et non par un intérêt financier ou un profit. L’intérêt public prime sur l’intérêt privé, c’est ce que garantit l’indépendance de l’architecte. Mais sur ce sujet, les architectes sont parfaitement inaudibles, et ce depuis toujours.

Dieu a créé les architectes pour loger les gens et les activités, pas pour sauver le monde ! Pourquoi serions-nous plus ambitieux que Dieu ?

L’indépendance des architectes, le consommateur, le client, il s’en fout ! Il se rue dans les hypermarchés, achète en toute confiance ce qui nourrira le corps de ses enfants, sans être dupe sur les intérêts de ces grand groupes. Pour sa maison, son premier réflexe est d’aller voir un constructeur de maisons individuelles, qui répond à sa demande. Pareil pour sa voiture, ses vêtements ; ses vacances, ses loisirs, même pour les études et donc l’avenir de ses enfants !

Derrière tout cela, des intérêts commerciaux, financiers, du profit. Et alors ?

Cette indépendance coûte cher aux architectes.

Est-il normal que depuis des années, et de manière récurrente, plus de 40% d’entre eux ne gagnent pas plus de 20 000€/an avant impôts dont plus de la moitié gagne moins de 10 000€/an, c’est à dire à peine 600€ par mois !? Les trois-quart des architectes gagnent moins que la rémunération moyenne annuelle de l’ensemble de la profession. Et ce pour plus de 50 heures de travail par semaine, après un bac +6, et avec des responsabilités immenses !

Est-ce cela l’avenir promis aux 45 000 jeunes qui veulent rentrer chaque année dans les écoles d’architecture, et aux 4000 chanceux qui ont pu intégrer une école, mais qui galèrent pour trouver du travail, et qui ne peuvent même pas s’installer car incapables au préalable de trouver une agence d’accueil pour faire leur HMONP. On leur refuse même le titre d’Architecte…

Que leur reste-t-il ?

Il faut que collectivement, les architectes se posent les bonnes questions, pour accompagner la mutation de la société, et arrêter de la subir. Soyons provocateur, très provocateur : et si nous n’étions pas indépendants, que se passerait-il ?

Certains travailleraient chez un major, un promoteur, un bureau d’études, voire un constructeur de maisons individuelles : ils auraient de vrais emplois, des salaires de cadres, des vacances et peut-être même les 35 heures.

Et alors ? Ils seraient plus mauvais architectes ? Un ingénieur en entreprise est-il plus mauvais qu’un ingénieur indépendant ? Ils auraient du mal avec la déontologie ? Un médecin qui travaille dans une clinique privée où les patients s’appellent clients respecte-t-il moins son code de déontologie au motif qu’il travaille pour le privé ? D’autres architectes prendraient des missions en sous-traitance, aujourd’hui interdites. Ils seraient payés par le constructeur, ou le major, au lieu d’être payé par le client du constructeur ou du major. Et alors ?

D’autres encore auraient des activités commerciales, pour proposer par exemple une offre globale, en interne ou par le biais d’un GIE de construction. Et alors ? N’est-ce pas ce que cherchent les clients qui vont chez les CMIstes ?

Ce qui devrait être revendiqué, c’est le recours obligatoire à l’architecte pour établir le projet, c’est-à-dire sa compétence, sa formation, et pas forcément son indépendance. La réflexion doit également s’étendre à la question du tableau de l’Ordre : qui peut y rentrer, (ou y rester !) et qui ne peut pas ? Bref, il faut que nous organisions notre mue, notre mutation. C’est bien le thème de ces universités, non ?

Il faut être confiant en l’avenir. Confiant, car certains l’ont bien pris en main, car ils ont compris, eux, le monde dans lequel on vit et son évolution. Ils ne refusent pas cette évolution, au contraire, ils l’accompagnent quand ils ne l’anticipent pas. Eux, ce sont nos jeunes confrères, la nouvelle génération.

Celle qui a commencé son activité dans la difficulté, ce qui l’a immédiatement éloigné des dogmes qui sclérosent la libre pensée des générations précédentes.

Ils se moulent dans le monde tel qu’il se présente, et n’en prennent que le meilleur. Ils sont plus engagés, plus solidaires, plus prompts à se rassembler et à partager. Ils sont plus inventifs, plus connectés aux concepts innovants, plus réactifs. Ils bouleversent nos vieux codes. Ils sont plus libres, plus indépendants, plus architectes. Ils ont compris que ce métier était fait de doutes, de souffrance, qu’un architecte n’avait pas de certitude.

Un architecte qui a des certitudes, cela s’appelle un ingénieur, et ce n’est pas leur faire offense que de dire cela, au contraire. Il faut leur faire confiance. Ils nous apprennent déjà à muter.

Eric Wirth, architecte, président du Conseil régional de l’Ordre des architectes d’Aquitaine


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