A l’exposition « L’éternel dans l’instant », c’est une frise chronologique qui accueille le visiteur, sur laquelle se croisent des années repères dans l’histoire du musée et dans la carrière de la designer. 1978 est l’une de ces années : Andrée Putman crée son bureau Ecart à Paris et le CAPC de Jean-Louis Froment, encore centre d’art contemporain, termine la première tranche des travaux pour accueillir une exposition sur Johnny Hallyday.
Les années qui suivent, témoigneront d’un dialogue complice où l’épure et l’élégance s’installent dans les murs du musée.
Le nom d’Ecart n’est pas du au hasard. Il est l’anagramme de « trace », qui reflète l’esprit d’Andrée Putman, soucieuse de conserver les traces du passé dans son travail : un mélange de modernité et de mémoire. C’est ce que reflètent les Entrepôts Lainés qui, chargés d’histoire, pourraient taquiner la modernité à merveille. Ce qui, de toute évidence, n’a pas échappé à Andrée Putman quand Jean-Louis Forment lui propose l’aménagement intérieur des lieux.
Fidèle à sa conception créatrice, Andrée Putman applique à la lettre les mots de Baudelaire sur la modernité : « Ce n’est jamais nier le passé, mais c’est le revoir autrement ».
« L’espace est le plus grand luxe »
Au début des années 1980, le CAPC est un jeune centre d’art. Remarqué sur la scène internationale alors que peu de lieux en France sont exclusivement dédiés à l’art contemporain, il est en passe de devenir un musée grâce à des travaux conduits par les architectes Denis Valode et Jean Pistre.
Andrée Putman est alors associée aux travaux. Bien qu’elle ait aussi œuvré au musée des Beaux-Arts de Rouen, le CAPC est le premier musée où elle doit imaginer la totalité de l’aménagement. Elle avait aménagé des hôtels, des boutiques de mode, des bureaux de ministres, mais l’espace des Entrepôts Lainés à transformer en musée offre une approche artistique pour celle qui aime « la beauté du vide ».
Jean-Louis Froment traduit alors son ambition avec ces mots :
« Musée nomade : on replie les murs, on roule les tapis ; mouvement du mobilier, de l’éclairage, des parapluies sur la terrasse ; habit de jour, habit de nuit ; ombre et lumière, gris et blanc, mat et brillant ; juxtaposition d’architecture ; austérité, nudité ; symétrie. »
Ce langage, Andrée Putman le transforme en langage architectural : les murs en pierre sont laissés à nu, le sol est en ciment brut ciré, le gris est la couleur maitresse des lieux… L’authenticité du bâtiment est sauvegardée et l’espace devient « le plus grand luxe ».
Lignes droites, rigoureuses et fonctionnelles
De 1983 à 1990, Andrée Putman conçoit alors l’ensemble de l’aménagement intérieur et du mobilier du CAPC. Elle développe une rigueur et une élégance pour aboutir à ce que beaucoup qualifient d’art de l’effacement.
Si la discrétion est la qualité première des fonctionnalités de chaque meuble conçu et installé au CAPC, à l’usage, le confort de chaque détail et l’intelligence de chaque astuce sautent aux yeux.
Il faut alors manquer de sensibilité pour ne pas apprécier les halos de chaque lampadaire qui subliment les arcades de la mezzanine du bâtiment et conférent au lieu la sérénité d’un grand musée.
Il faut alors manquer de reconnaissance pour ne pas déceler l’ergonomie de chaque pupitre ou chaque tablette réglable pour optimiser le confort d’écriture ou de lecture.
Il faut alors manquer de discernement pour ne pas reconnaître l’ingéniosité de la complémentarité des modules ou d’une simple porte d’un placard qui coulisse sur le côté pour libérer l’espace.
Au rythme des meubles qui ponctuent les vastes espaces du musée, aussi bien ceux revus de Robert Mallet Stevens que ceux créés pour les lieux, les lignes droites, rigoureuses et fonctionnelles s’opposent harmonieusement à une convivialité qui se dégage de la chaleur du bois, des suspensions aux lumières tamisées et des grillages à poule qui rappelle les garde-mangers d’une certaine époque.
Le Fonds Andrée Putman
Dans la galerie Foy, au 2e étage du CAPC, « L’éternel dans l’instant » est une exposition qui témoigne de la genèse du CAPC. On y découvre ce que le musée a établi comme le Fonds Andrée Putman : les études et le mobilier que la designer a créé, mobilier dont 80% est toujours utilisé aujourd’hui.
Des fameux lampadaires jusqu’aux modules de rangements, en passant par le « banc éléphant » destiné « à un personnage qui compte beaucoup » comme le déclare Andrée Putman au Cercle de minuit de Michel Field en évoquant Jean-Louis Froment, tout l’univers de la designer est dévoilé après un travail méticuleux de conservation et de restauration.
« Il fallait trouver un compromis entre la remise en état du mobilier et le maintien de la patine du temps après des années d’usage », précise Maria Inés Rodriguez, directrice du musée.
Ce travail a été engagé avec l’actuelle société Ecart, reprise en 2011 par Pascal Lapeyre et Lucie Tonelli – le premier ayant été le pdg de Sièges d’Argentat, fabricant historique d’Ecart – qui ont permis par le biais d’un mécénat de compétence de rechercher des fournisseurs en mesure d’assurer une rénovation des matériaux originaux :
« Andrée Putman a laissé des indications, des plans et des consignes pour retrouver chaque information nécessaire à la fabrication du mobilier, précise Pascal Lapeyre. Nous avons dû par ailleurs trouver des solutions pour remplacer les fournisseurs qui ont cessé leur activité, comme ceux des tissus ou des variateurs des lampadaires. »
Air France s’associe à la constitution du Fonds Andrée Putman en ouvrant l’accès à l’équipe du CAPC aux études faites par la designer pour aménager le Concorde. Dans l’exposition « L’éternel dans l’instant », une salle est consacré à l’aménagement intérieur de cet avion mythique : un autre exemple du minimalisme putmanien.
Infos
« L’éternel dans l’instant », exposition du 16 mai 2015 au 10 janvier 2016. Vernissage le samedi 16 mai à 18h pour la Nuit des musées.
CAPC, musée d’art contemporain – 7 rue Ferrère 33000 Bordeaux – Tél. 05 56 00 81 50 – Site internet
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