C’est un courrier officiel – que Rue89 Bordeaux s’est procuré – envoyé au directeur de l’Institut d’études politiques de Bordeaux le 18 mai, en copie à une longue liste d’enseignants, signé par le président de l’Association des universitaires pour le respect du droit international en Palestine (AURDIP), Ivar Ekeland.
Il y dénonce un accord de coopération conclu en novembre 2007 entre l’IEP et l’université israélienne Ben Gourion de Beer Sheva ; un partenariat renforcé par un nouvel accord conclu en mars 2015.
Le président de l’AURDIP critique également une autre convention conclue en avril 2008 entre l’IEP – Sciences Po Bordeaux et la Fondation du Judaïsme Français agissant pour le compte de la Fondation Marie-José Vaisan portant sur la création d’une « Chaire Michel Vaisan », inaugurée en février 2009.
L’IEP contre « la logique de boycott »
Cette chaire, qui a pour thématique « Société et politique en Israël », prévoit des séjours financés par des bourses d’enseignants, de chercheurs ou jeunes chercheurs en formation, et d’étudiants dans les deux universités. Cette convention a été renouvelée en 2014 pour une durée de cinq ans.
Ivar Ekeland reproche à l’université bordelaise un partenariat avec « une université israélienne publique impliquée en tant qu’institution dans les violations du droit international résultant de la politique de l’État d’Israël vis-à-vis de la population civile palestinienne ».
Contactée par Rue89 Bordeaux, la direction de l’IEP Bordeaux rejette ces accusations et défend « un dialogue nécessaire entre tous les universitaires » en soulignant qu’elle « ne cautionne pas les logiques de boycott ».
« Soutien à l’armée israélienne et faveurs à ses soldats »
Dans son courrier, le président de l’AURDIP relève des liens « organiques » de l’université Ben Gourion avec l’armée israélienne, « dont les unités sont les auteurs directs des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis contre les Palestiniens ». Cette université accorderait « des avantages sous la forme de bourses ou d’unités de valeur attribués automatiquement aux étudiants qui font leur service militaire ou qui sont réservistes » :
« Ces faveurs, ajoutés à d’autres, ont permis en 2014 au ministère israélien de la défense de délivrer un certificat de récompense à l’université Ben Gourion en raison de son soutien exemplaire aux soldats. »
Ivar Ekeland affirme que l’université israélienne apporte également, par les travaux scientifiques, une caution ou une aide à la politique israélienne d’occupation et de colonisation de la Palestine. Ses spécialistes « fournissent le cadre scientifique pour une répartition totalement inéquitable des ressources en eau, en terres et en ressources naturelles imposée aux Palestiniens en Cisjordanie ».
Il affirme que les rares universitaires contestant ses actions n’ont pas eu la protection de l’université. Celle-ci a même pris une série de mesure sur son campus, pour empêcher toute contestation ou activité politique, syndicale et associative critiquant la politique de l’État d’Israël, les étudiants Arabes israéliens étant les premières victimes de ces mesures.
Le signataire de ce courrier invite la direction de l’IEP Bordeaux « à cesser toute collaboration avec l’Université Ben Gourion » et donne l’exemple de l’université de Johannesburg en Afrique du Sud qui a décidé en 2011 de cesser tout lien avec l’université Ben Gourion.
« Une convention exposée au risque juridique pénal »
Le président de l’AURDIP ajoute que l’IEP Bordeaux s’expose et expose ses collaborateurs, ses professeurs et ses élèves, à un risque juridique pénal. L’établissement public d’enseignement supérieur, placé sous la tutelle du ministre de l’enseignement supérieur et bénéficiant d’un financement en grande partie public, devrait donc se plier à un certain nombre d’obligations juridiques :
« Le 9 juillet 2004, la Cour internationale de Justice de La Haye a rendu […] un Avis [qui] déclare illégaux au regard du droit international tant le mur de séparation que les colonies de peuplement israélien construits en territoire palestinien occupé. Cet Avis indique qu’il est de la responsabilité de chaque État membre de la communauté internationale […] de faire respecter le droit international par l’État d’Israël.
[…] Il est évident que la collaboration avec les institutions publiques israéliennes, comme celle engagée avec l’Université Ben Gourion, constitue plutôt un encouragement qu’une pression ou une sanction. »
Ivar Ekeland fait également valoir les « lignes directrices de l’Union européenne (UE), entrées en vigueur le 1er janvier 2014, interdisent les subventions, bourses et instruments financés par l’UE à toute entité israélienne établie dans les territoires palestiniens occupés par Israël depuis juin 1967 ».
Pour le président de l’AURDIP, « ces éléments devraient naturellement conduire l’Institut d’Études Politiques – Sciences Po Bordeaux à cesser toute collaboration avec l’Université Ben Gourion » :
« On peut raisonnablement penser qu’elle contribue à violer le droit international humanitaire en sa qualité de complice des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis par l’armée et les pouvoirs publics israéliens. »
La direction de l’IEP veut « donner la parole à tous »
La direction de l’IEP Bordeaux a affirmé sa sérénité face à de telles accusations :
« Les propos tenus dans ce courrier engagent l’unique responsabilité de leur rédacteur. La direction de Sciences Po ne souhaite pas polémiquer sur ce sujet. Nous avons toujours été très soucieux de donner la parole à tous, d’encourager le dialogue inter-universitaire. Nous avons autorisé la venue d’un conférencier Sud-Africain, refusé dans des universités à Paris et à Lyon pour ses positions contre les universités israéliennes [voir encadré, NDLR]. Cette autorisation nous a valu des réactions tout aussi violentes. »
A la lecture de cette lettre, des enseignants et directeurs de recherche ont approuvé la proposition d’inclure dans tous les accords de coopération avec une université israélienne une clause s’assurant que celle-ci n’est pas impliquée dans des activités encourageant l’occupation des territoires palestiniens et la répression de leurs populations.
D’autres refusent d’ostraciser les citoyens d’Israël et considèrent qu’un travail universitaire est une contribution à la paix. Ils proposent de développer en parallèle un partenariat avec une université palestinienne.
Enfin, des enseignants se sont montrés plus critiques à l’égard de ce courrier, de sa méthode et de son ton, se jugeant suffisamment bien informés pour décider seuls de ce qu’il convient de faire s’agissant de la question palestinienne, d’une part, et des relations avec les universités israéliennes, leurs enseignants et leurs étudiants, d’autre part.
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