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Musard, la fin d’une époque

Le 9 mai, l’UBB accueille Oyonnax à Musard, ultime rencontre de haut niveau sur ce terrain qui en connut tant. Fin d’une histoire, d’une belle histoire. Un lien indéfectible s’était noué entre les amoureux de la gonfle et ce stade. Heures sombres et heures de gloire s’y sont mêlées pendant plus d’un siècle.

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Musard, la fin d’une époque

Musard : la petite tribune du stade Delphin-Loche dans les années 1940 (Coll. Ch Siot)
Musard : la petite tribune du stade Delphin-Loche dans les années 1940 (Coll. Ch Siot)

Si le Stade bordelais exerce un magistère indiscuté sur le rugby bordelais à la fin du XIXe siècle, c’est Bègles qui prend ensuite la relève, jusqu’à sa chute aux débuts des années 2000 et sa rétrogradation en Fédérale 1. Pour maintenir un club d’élite à Bordeaux, l’union est incontournable. Le stade Bordelais, alors en Pro D2 et le CABBG fusionnent en 2006.

Sous la houlette de Laurent Marti, en 2011, le rugby bordelais retrouve les sommets. Chaban devient l’espace où la cité communie avec son équipe, l’UBB. A Musard, le nombre de matches se réduit comme une peau de chagrin. La saison 2014-2015 sera donc la dernière pour ce terrain emblématique et attachant.

La naissance d’un club : CAB

L’histoire de Musard est enracinée dans celle du club de rugby de Bègles : le CAB (Club Athlétique Béglais). Ce sont trois frères : Louis, Delphin et André Loche, accompagné de Gaston Martin, qui sont à l’origine de sa création. En mars 1907, ils assistent à une rencontre entre le SBUC et le Stade Olympio Veto-Sport Toulousain (futur Stade Toulousain) à Sainte-Germaine. Impressionnés par la qualité du spectacle, ils creusent l’idée de créer un club sportif où l’on pratiquerait le rugby.

Les amateurs intéressés par l’aventure sont convoqués à une réunion. Les convocations sont improvisées, l’assistance est inespérée. Une trentaine de jeunes gens sont présents dans la salle « basse et mal éclairée » de chez Varailhon, au coin de la rue Calixte-Camelle et de la place du XIV-juillet. Une décision de principe est prise. Les pessimistes en sont pour leurs frais. Il y aura un club sportif à Bègles. Il faut lui donner un nom. On penche un moment pour Bégliator. La raison et la simplicité l’emportent : la société nouvelle s’appelle le Club Athlétique Béglais. Les maillots seront rouges avec col et poignets bleus, la cotisation des membres actifs sera fixée à dix sous (0,50 F) et celle des membres honoraires au double. Dans un article de Sud Ouest daté du 16 septembre 1946, Jean Gibert évoque ces premiers pas :

« L’été 1907, sur une modeste pelouse de Musard, après s’être déshabillé dans le coin d’une vieille grange, quelques jeunes gens s’ébattent joyeusement sous l’œil bienveillant et amusé de Delphin Loche, président fondateur du CA Béglais. Il y a là les Dubern, Martin, Gabert, Dedieu, Lassalle, venus les uns du FC Bordelais, les autres étant surtout de nouveaux adeptes. Tous pensent particulièrement à pratiquer le rugby dont la vogue va croissant depuis quelques années dans notre région. Ainsi, l’entraînement, dont j’eus le plaisir de diriger les premières séances, commence-t-il rapidement. Et de cet embryon rugby de 1907 est sorti le grand club dont les équipiers ont foulé victorieusement depuis tous les grands terrains de France. »

À l’automne 1908, un club de Londres, les London Hospitals, effectue une tournée dans le Sud-Ouest. Les spectateurs de Sainte-Germaine sont très sensibles au maillot original des Britanniques : un damier serré de petits carrés bleus et blancs. Les Béglais, eux, décident de l’adopter. Contrairement à ce qui est souvent rapporté, les Harlequins ne sont donc pour rien dans ce choix.

Musard, le cœur de la banlieue

Il faut trouver un terrain. La place ne manque pas dans la commune. On doit, cependant, recourir à des expédients. Un pré existe le long de la rue Léon-Paillère, entre le boulevard Jean-Jacques-Bosc et la rue Carles-Vernet. Des détritus de tous ordres jonchent l’espace. Il faut ériger les poteaux et tracer les lignes tous les dimanches matin. Chacun s’y met. Du président au joueur. Pas de vestiaires, pas de douches. Une bonne voisine, la mère Pambrun, autorise les joueurs à se mettre en tenue chez elle et pousse l’obligeance jusqu’à leur prêter une grande « baille » pour qu’ils se débarbouillent un peu après la partie. La solution est temporaire. Il faut se mettre en chasse d’une installation moins aléatoire. Delphin Loche pense à Musard.

C’est un grand champ au lieu-dit Campgrand. Le nom de Musard est celui du plus ancien propriétaire connu, Jean-Baptiste Musard, capitaine dans les armées de la Révolution. Il sert de pacage aux vaches du fermier-laitier Lassalle qui n’en est pas le propriétaire. Musard appartient à M. et Mme Savoie. C’est pourtant avec Lassalle que négocie Delphin Loche. Il obtient la sous-location au profit du CA Béglais d’une partie de ses prés (3 ha) pour la somme de 15 F par mois.

La somme est rondelette, d’autant que la caisse sonne creux. On n’entreprend donc que des travaux de première nécessité. Il n’y a pas de vestiaires. Le Café de France, tenu par M. Caujolle, rue du Maréchal-Joffre, en fait office. Il n’y a pas d’inauguration officielle, ni musique, ni discours, ni haute personnalité. Mais enfin, Musard va devenir, au fil des saisons, un lieu de rencontres et, en quelque sorte, le cœur de la banlieue. L’orientation du terrain est perpendiculaire à celle d’aujourd’hui.

Le stade Delphin-Loche

Dès 1919, on construit la première tribune de bois à l’emplacement de la tribune d’honneur actuelle. En 1922, Delphin Loche obtient du propriétaire le statut de locataire à bail. Maurice Gabert, le premier capitaine béglais, émet l’idée d’un achat. En octobre 1924, le CAB acquiert les 30 000 mètres carrés de Musard pour 120 000 francs.

Afin de gérer les problèmes financiers causés par cette acquisition, Delphin Loche fonde une société par actions, la Begula SA. Les amis du club y participent. En 1928, le CAB achète deux longueurs de terrain. On crée deux entrées nouvelles et on aménage des pelouses. Le stade peut contenir désormais 15 000 places : 9 000 en populaires et 6 000 en tribune. En 1930, on coule des gradins en ciment devant la grande tribune. Les supporters sont désormais plus à leur aise.

A la mort de Delphin Loche, en février 1935, le stade porte son nom. En 1936, les grandes tribunes de Musard ne résistent pas à une violente tornade. Par manque de crédit, elles ne sont pas reconstruites immédiatement. Les petites tribunes sont promues au rang de grandes et des gradins prennent la place des constructions effondrées. L’arrangement durera de longues années. Les plus grandes équipes mordent alors la poussière sur l’herbe de Musard.

La grande tribune abattue par une tornade en juillet 1936 (Archives CAB)
La grande tribune abattue par une tornade en juillet 1936 (Archives CAB)

Après-guerre : le temps des Moga

La famille Moga vient de l’autre côté de la frontière. De Viella dans le Val-d’Aran. Miguel Moga s’établit comme transporteur entre les abattoirs et les Capucins tandis que son épouse Marceline, originaire de la Creuse, ouvrait une charcuterie. Miguel meurt le 25 novembre 1930. Marceline s’occupe de ses quatre garçons que l’on croirait sortis d’un roman de Pierre Benoit. L’un d’eux, Alfred ne pratiquera jamais le  rugby.

Les trois adolescents, Fonfon né en 1919, André en 1921, Bamby en 1923, naissent tous à Bordeaux. Pourquoi jouent-ils à Bègles ? Le tramway n’est pas étranger au choix d’André. Celui qui conduisait à Musard passait au pied de l’appartement des Moga. La mère de famille souhaitait que ses garçons utilisent ce moyen de transport moins aventureux que la bicyclette.

L’équipe s’entraîne alors entre midi et quatorze heures. Le club, faute de moyens, ne se montre pas très généreux, n’offrant que la soupe et un verre de vin. Les frères Moga sont populaires : charcutiers en gros et détail, ils apportent d’amples provisions, pour pallier les déficiences d’une alimentation quotidienne chiche et sans éclats.

1949 : premier grand titre

L’état d’esprit qui régne dans le club est parfaitement illustré par les propos du président Rozières, le PDG des savons La Perdrix, lors de son discours de septembre 1946 au banquet de la fête annuelle du CAB :

« L’an dernier marquait la reprise de notre manifestation annuelle après six ans de deuils et de souffrances. Vous, les jeunes, devez absolument vous convaincre de l’impérieuse nécessité de l’effort collectif, du travail en équipe. Où trouverez-vous meilleure école que dans ce stade sur lequel flotte avec le drapeau de la France, le fanion à damiers. Nous mettons ce stade à votre disposition et nous ne ménageons aucun effort pour faciliter votre formation sportive, morale et je dirais même sociale. Vous entrez ici tous sur le même pied d’égalité, vous n’avez sans doute pas les mêmes capacités physiques et vous ne pouvez pas tous obtenir les mêmes résultats. Mais cela importe peu. Si nous sommes heureux d’avoir de temps en temps des “révélations sportives”, des “êtres d’exception” qui font rejaillir sur notre club une parcelle de leur gloire, nous recherchons davantage à former de bonnes équipes, bien homogènes, et nous souhaitons surtout que le plus grand nombre de jeunes profite de cette indispensable et salutaire formation sportive dont je vous parlais tout à l’heure. Nous voulons former des corps sains, forger des volontés tenaces, donner un plein épanouissement à tous les sentiments altruistes qui sommeillent en vous. »

C’est au printemps 1949 que les damiers remportent leur premier grand titre : la coupe de France contre le Stade toulousain. Le match se déroule au stade municipal de Bordeaux le 11 juin.

« Dans cinquante ans, on s’aimera toujours. »

La question du magistère bordelais se trouve posée, à partir de 1960, entre les damiers et les jaune et noir de Sainte-Germaine. Le stade Delphin-Loche offre quelque chose qu’ignorent les autres terrains de l’agglomération bordelaise : une vie communautaire solidement installée dans ses quartiers. Le SBUC a une vie itinérante : il se produit à Sainte-Germaine, parfois à Suzon, voire au stade municipal. Ses supporters doivent réinventer les gestes de sociabilité que les habitués de Musard effectuent les yeux fermés à la petite tribune, au pesage, à la buvette. Des groupes se sont formés. Ils se reconstituent au fil des dimanches.

Le CAB disputent deux finales du championnat de France dans les années soixante. Il perd celle de 1967 contre Montauban au stade municipal de Bordeaux. Mais remporte le Brennus en 1969 contre Toulouse à Lyon sous le capitanat de Daniel Dubois.

En 1983, le CAB devient le CA Bègles-Bordeaux, puis le CA Bègles-Bordeaux-Gironde en 1987. C’est en 1991 que le CABBG renoue avec le titre. L’équipe, conduite par Bernard Laporte, ne laisse aucune chance aux Toulousains. C’est l’époque de la fameuse tortue béglaise. Musard est le théâtre en huitième de finale d’un mémorable Bègles-Toulon.

Après le sacre, l’équipe connaît des dissensions, des divergences d’opinion et de choix, peut-être des jalousies internes. Des clans se forment. La belle amitié tourne à la réserve, puis à la suspicion. Le CABBG ne peut plus compter sur l’effet de surprise. Les adversaires ont trouvé les moyens de rendre la tortue moins conquérante. L’ambiance s’en ressent. Dans l’euphorie de la victoire, Laporte avait lancé : « Dans cinquante ans, on s’aimera toujours. » Un demi-siècle ne s’est pas passé. On sait maintenant qu’il s’est trompé. La crise éclate en septembre 1992. « C’est la vie qui passe et qui nous vieillit » qui en est la cause, écrit Espagnet dans un billet sublime de Sud Ouest du 18 septembre.

Bordeaux-Bègles ou Bègles-Bordeaux ?

Les obsèques d’André Moga, en décembre 1992, constituent l’une des dernières manifestations d’unité. Elles sont émouvantes, solennelles et dignes. Les huit avants béglais portent le cercueil sur lequel a été déposé un maillot à damiers avec le numéro 4 dans le dos. Le stade, en guise d’hommage, portera aussi son nom.

Mars 98, professionnalisme oblige, le CABBG change de structure juridique. D’association loi 1901, il se transforme en SAOS. Gardien du temple, le CAB omnisports détient 34% de la nouvelle société. Le CABBG s’engage, lui, à hauteur de 27%. De sorte que le club est certain de rester dans la famille béglaise. On parle déjà d’un grand club bordelais et d’un rapprochement avec le SBUC.

1998-1999, c’est d’abord l’ouverture du centre de formation le 1er septembre. Le CABBG se tourne résolument vers les jeunes ; ce centre est ainsi destiné à accueillir des juniors dont on espère que les meilleurs resteront au club. Le club dispose de formateurs haut de gamme comme Michel Maillet ou Hervé Cambot. Bègles entre dans l’an 2000 au sein d’une élite que le club n’a jamais quittée. Ce n’est pas, on en conviendra, un mince exploit.

Lorsque, en 2001, le club devient le CA Bordeaux-Bègles-Gironde, certains pensent que la primauté de Bordeaux sur Bègles permettra d’engranger les millions nécessaires à l’existence d’un club professionnel occupant le haut du pavé. Cette solution bordelaise n’est pas sans conséquences. Noël Mamère fait feu de tous bois contre ce rapt et s’en prend aux fils Moga qui sont persuadés que le salut passe par Bordeaux. Les échanges sont vifs et ne manquent pas de piquant.

Les errements avant l’union

Pour repartir de bon pied en 2001, le club espère des investisseurs anglais qui ne franchiront jamais la porte de Musard. Les Moga doivent revoir leur copie et continuer d’injecter de l’argent. La fin de saison est difficile. Le club ne se qualifie pas pour les phases finales et doit opérer en « play down ». Il sauve sa peau contre la Rochelle.

Pour la saison 2002-2003, sous le regard bienveillant de Bernard Laporte, de nouveaux repreneurs apparaissent, et un président en la personne de Kevin Venkiah. On trouve de l’argent : Bernard Magrez apporte ce qu’il faut pour sortir le club de l’ornière et lui évitait les foudres de la DNACG (Direction nationale d’aide et de contrôle de gestion, NDLR). Le club, à défaut de jouer en « play off » ne descend pas, du moins sur le terrain. Mais la gestion calamiteuse est mise à jour : quelque 3 000 000 d’euros de pertes. On appelle les collectivités locales à la rescousse. Rien n’y fait. Le club est rétrogradé en pro D2, ne s’épargnant la disgrâce de la fédérale 1 que de peu.

Le CABBG est alors repris en main par Robert Dubernet la Garosse. Il s’engage à combler le déficit sur trois ans et à ne plus perdre d’argent. Il n’y parvient qu’à moitié. S’il évite les pertes, il ne réussit pas à résorber le moindre centime de déficit. La messe est dite : le club est en dépôt de bilan puis en cessation d’activité. Il rejoint la fédérale 1.

Pendant ce temps-là, le Stade bordelais récolte les fruits de son labeur. Il a à sa tête un président accrocheur et de grande qualité : Jean-Pierre Lamarque. Après avoir frôlé deux années durant avec la montée, il franchit ce cap fatidique en 2004 en se qualifiant pour la finale du championnat de France de fédérale 1 après son succès sur Gaillac. Le Stade bordelais est désormais le club phare de la Gironde.

La création de l’Union, le sacre de Chaban et la fin de Musard

Le début de l’été 2004 est propice, sous l’impulsion de Serge Simon, à l’émergence d’une réflexion sur la constitution d’un club d’élite, à l’échelle de l’agglomération, qui fédèrerait l’ensemble des volontés. Et d’abord celles de la FFR et de Ligue Nationale de rugby. C’est peut être l’une des solutions pour permettre à la Gironde d’avoir une équipe phare, garante du développement du rugby dans le département.

C’est le Stade bordelais qui tient le mieux son rang. Le vent a tourné et si club d’agglomération il doit y avoir, le Stade bordelais doit en être la poutre maîtresse. Le club suscite auprès des partenaires financiers un réel attrait, fruit d’un travail de fond.

Reste qu’il lui faut, s’il entend accéder à un autre niveau, d’autres structures, notamment pour la formation. Bègles les possède et demeure redoutable en matière de jeunes. Les cadets et juniors comptent encore parmi les meilleures équipes françaises. Pourquoi ne pas imaginer de laisser à Bègles ce savoir faire et cette identité et privilégier le haut niveau là où il est. Sauf à ce que le CABBG trouve un mécène providentiel.

Les deux clubs ont compris qu’il fallait s’entendre pour sauver le rugby à Bordeaux. Ils  s’accordent à mettre en place dès la saison prochaine une équipe commune en pro D2. Les dés sont jetés.

En 2006, les deux clubs adoptent un nom commun pour l’équipe phare : USBCABBG. Elle jouera alternativement à Musard et à Sainte-Germaine. En 2008, Laurent Marti prend la présidence du club qui s’intitule dorénavant l’UBB. Il investit de l’argent et dote le club d’une ossature de joueurs des îles qui lui permet de rejoindre le Top 14 en 2011. En finale qualificative pour la montée, l’UBB dompte Albi 21 à 14.

Dès la première saison, quelques matchs se déroulent à Chaban où l’UBB connaît sa première victoire contre Bayonne. Les joutes du championnat sont de plus en plus nombreuses à Chaban, contribuant à l’équilibre économique du club. Les rencontres à Musard sont désormais plus chiches. L’idée de les concentrer à Chaban fait son chemin. Elle ne va pas sans débats. Surtout du côté de Bègles. Mais le principe de réalité s’impose. A Musard la formation et la préparation technique et physique. A Chaban le temps des matchs. Il en sera donc ainsi dès la saison 2015-2016. Fin d’une époque.


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