Laurent Laffargue a créé à Bordeaux la Compagnie du Soleil Bleu, nominée aux Molières en 2006. Ses spectacles tournent dans toute la France et il collabore régulièrement avec l’Opéra National de Bordeaux. Il y montera prochainement « Cosi Fan Tutte » de Mozart.
Passionné de cinéma, Laurent Laffargue a réalisé son premier long métrage, « Les Rois du Monde (Casteljaloux) » qui sort ce mercredi sur les écrans aquitains, puis le 23 septembre au niveau national. Au casting : Sergi Lopez, Céline Sallette, Eric Cantona, Romane Bohringer et Guillaume Gouix, mais aussi trois jeunes révélations. Il raconte à Rue89 Bordeaux l’origine de ce projet original.
Rue89 Bordeaux : Vous avez écrit deux spectacles « Casteljaloux » I et II inspirés de votre enfance et votre adolescence passée à Casteljaloux, ville de 5000 habitants, en Lot-et-Garonne. Voici maintenant le film. Vous avez conçu ce travail comme un triptyque ?
Laurent Laffargue : J’ai toujours voulu faire du cinéma. Il y a 6 ans effectivement, j’avais déjà en tête le projet d’un triptyque. D’abord il y a eu la pièce où je jouais tous les personnages, il y en avait 8, avec une Renault 12 sur scène, pièce qui a pas mal tourné. (Artiste associé au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers pendant 3 saisons, Laurent Laffargue a crée Casteljaloux I en 2010, NDLR).
Ensuite, j’ai de nouveau écrit une pièce pour 10 comédiens et enfin, réécrit pour le film ! C’est un projet un peu fou ! A la différence du théâtre, je ne peux plus rien changer, ça ne m’appartient plus. Je suis à la fois très heureux et soulagé, car ce n’est pas un petit chemin…
Casteljaloux, c’est chez vous, votre famille y vit encore. C’est ici que vous vous êtes éveillé au théâtre avant de partir rejoindre le Conservatoire de Bordeaux à 18 ans, comme c’est le cas du jeune Romain dans le film. Est-ce un long métrage autobiographique ?
Je voulais raconter d’abord une tragédie, je me suis inspiré d’Hector et Achille. Je monte Shakespeare, je monte Marivaux, je fais de la mise en scène de théâtre et d’opéra depuis des années, donc je suis influencé par beaucoup d’auteurs… C’est mon premier long métrage, je voulais raconter quelque chose qui était capital, nécessaire. Naturellement, j’ai choisi de revenir à la source. En effet, j’ai grandi à Casteljaloux, j’ai commencé à faire du théâtre ici, évidemment il y a une part d’autofiction. Mais en même temps, avec la mémoire… Tout est vrai et tout est faux. Cela dit, mon film n’est pas influencé uniquement par des gens que j’ai connus à Casteljaloux. C’est fait de plein d’anecdotes et il y a aussi des choses totalement inventées, cela reste une fiction.
Les Rois du Monde, deux trio amoureux en miroir
« Les Rois du Monde (Casteljaloux) » donne à voir deux histoires de trio amoureux en miroir. Chez les adultes, Jeannot, le repris de justice violent qui boit trop (Sergi Lopez), veut récupérer son amour Chantal (Céline Salette). Elle vit désormais avec Jacky, le boucher (Eric Cantona) qui rêve de fonder une famille et de racheter le commerce de son père. Parallèlement, trois jeunes comédiens, Victorien Ciacoppo (ce jeune lot-et-garonnais très prometteur joue Romain alias Laurent Laffargue), Roxane Arnal et Jean-Baptiste Sagory, incarnent des adolescents vivant leurs premiers émois sexuels et amoureux, notamment à travers le théâtre. Les scènes avec leur professeur Chantal (Céline Sallette) sont très réussies.
Nombreux se reconnaîtront dans l’évocation de la difficulté à quitter son village, sa famille, en contradiction avec la nécessité de partir pour vivre sa vie. Si la direction d’acteurs est vraiment au rendez-vous et les comédiens excellents, le récit et la construction cinématographique semblent parfois plus proches du théâtre que du cinéma, dans un univers loin du réalisme. Un parti revendiqué par Laurent Laffargue qui s’est inspiré notamment du film « Mud » de Jeff Nichols, sans toujours parvenir au même niveau d’émotion.
« Les Rois du Monde (Casteljaloux) » a été entièrement tourné dans le Lot-et-Garonne à l’été 2014. Produit par Mezzanine Films, le film n’a pas encore reçu le soutien d’une chaîne de télé. D’un budget de 1,1 million d’euros, il est subventionné par la Région Aquitaine et le département du Lot-et-Garonne.
Pourquoi ce titre « Les Rois du Monde » ?
« Les Rois du Monde » et entre parenthèses, Casteljaloux, j’y tenais ! Le film aurait pu s’appeler « Partir » aussi, car il y a ceux qui partent et ceux qui restent, ceux qui voudraient partir. Ces gens qui vivent dans un village de 5000 habitants sont aussi les rois du monde, comme si nous l’étions un peu tous ou comme si nous pouvions tous l’être.
Vous avez fait appel à Sergi Lopez pour incarner Jeannot. Un homme violent, imprévisible qui sort de prison et qui n’a qu’une idée : reconquérir Chantal, la femme de sa vie, désormais en couple avec le boucher du village. Pourquoi lui ?
Sergi Lopez a eu le César du meilleur acteur pour son rôle dans « Harry, un ami qui vous veut du bien ». Dans ce film, pendant toute la première partie, il est doux, c’est le meilleur ami du monde et dans la deuxième partie c’est un monstre. Il n’y a pas beaucoup d’acteurs qui sont capables de faire cela. Et moi j’ai écrit un personnage cyclothymique, bipolaire. Il peut passer de l’amour, la tendresse à une violence totale dans l’instant et Sergi est capable de jouer cela à la perfection.
Et Eric Cantona qui incarne Jacky, le boucher rival de Jeannot, comment vous avez fait pour le convaincre ?
Je lui ai envoyé le scenario et je l’ai rencontré au festival Lumière à Lyon où il remettait un prix à Ken Loach. Il m’a juste fait un geste (pouce levé), comme ça. Eric est quelqu’un de très timide, très modeste. C’est une star ! Il prend 2 millions d’euros pour faire une pub et sur mon film il était payé 400 euros par jour. Ça a été un bonheur de travailler avec lui comme avec tous mes acteurs. Cela dépasse même l’idée d’acteur, ce sont de magnifiques personnes.
Avez-vous d’autres projets au cinéma ?
Oui j’ai un autre projet en cours d’écriture. Je veux aussi finir la trilogie de Mozart en montant « Cosi Fan Tutte » à l’Opéra National de Bordeaux. (En 2012, Laurent Laffargue a mis en scène à l’Opéra national de Bordeaux « Les Noces de Figaro », en alternance avec « Don Giovanni », NDLR).
Séance à 20h15 ce mercredi 9 septembre à L’UGC Ciné Cité de Bordeaux, en présence de l’équipe du film.
Laurent Laffargue et Céline Salette, la fin d’une histoire
Si Laurent Laffargue met avec ce film un point final à son retour sur son passé, aboutissement d’un travail personnel quasiment cathartique, c’est aussi la fin d’une histoire avec sa compagne Céline Sallette. Cette comédienne bordelaise de 35 ans, nominée aux César pour son rôle dans « L’Apollonide » de Bertrand Bonello, a été découverte en 1999 au théâtre par Laurent Laffargue, devenu son compagnon. Ils ont annoncé leur séparation lors de la présentation du film en avant première à Casteljaloux lundi.
Dans « Les Rois du Monde », Céline Sallette est Chantal, objet de désir de deux hommes.
« C’est une femme entre un ancien amour et un nouveau, incertaine de ses choix, de sa vie et de son futur », dit-elle.
Laurent Laffargue insiste beaucoup sur le rôle essentiel de sa désormais ex-compagne dans ce projet.
« Non, je ne dirais pas que j’ai beaucoup participé, répond-elle, j’étais là tout simplement, donc j’ai beaucoup assisté au processus. Comme il a amorcé ce travail d’écriture, c’était une continuation naturelle de le passer au cinéma. Moi, je trouvais les personnages suffisamment passionnants pour qu’ils puissent exister. Ce sont des grands mouvements de vie, ce n’est pas rien de faire son premier film. C’est important dans son parcours. Moi je n’arrive pas très bien à voir ce film objectivement, mais je trouve qu’il y a de la singularité dans le cinéma que propose Laurent.
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