« La mutualisation c’est l’avenir ! » clame Coline Hugel, présidente de l’association Les Librairies Atlantiques en Aquitaine et également libraire à La Colline aux Livres à Bergerac. Une déclaration qu’on pourrait traduire « à plusieurs, on a moins peur ». Car, jusqu’ici, internet était pour les libraires indépendants la bête noire que la présidente qualifiait il y a peu de « grand méchant loup ».
« La vente en ligne est une chose dont on ne peut plus faire l’économie », abonde Hélène des Ligneris de La Machine à Lire à Bordeaux qui s’apprête parallèlement à ouvrir un site marchand propre à sa librairie début 2016. « Surtout que cette initiative corporative est un acte d’engagement pour les librairies indépendantes. »
38 des 50 librairies indépendantes adhérentes à l’association Les Librairies Atlantique en Aquitaine se sont fédérées pour lancer une plateforme en ligne. Parmi elles, en Gironde, Le Jardin des Lettres à Andernos-les-Bains ; la Librairie Générale à Arcachon ; Au Petit Chaperon Rouge, Bradley’s Bookshop, Comptines, La Machine à Lire et Le Passeur à Bordeaux ; Jeux de Mots à Cadillac ; Formatlivre et Madison à Libourne ; Librairie Georges à Talence ; L’Exquise Librairie à Saint-André-de-Cubzac ; La Librairie de Corinne à Soulac-sur-Mer
Géolocaliser les livres en Aquitaine
Le principe est simple. Le site des Librairies Atlantiques propose à l’internaute de saisir les références d’un livre. La recherche le géolocalise dans la librairie la plus proche de son domicile ; il a alors la possibilité de le réserver avant de se déplacer pour effectuer son achat. Si la libraire est loin de son domicile, « il y a toujours une solution » assure Coline Hugel. L’internaute peut en effet demander un envoi par La Poste ou le faire suivre chez le libraire indépendant le plus proche et membre du réseau.
Aussi, le site permet de pouvoir consulter le stock de toutes les librairies de la plateforme. Pour la présidente de l’association, « beaucoup de clients regardent sur le site sans commander, et viennent en librairie parce qu’ils ont vu que le livre y était ». L’intérêt est de donner envie à l’utilisateur de pousser la porte des librairies :
« C’est l’occasion de lier des relations avec le client car le métier de libraire, fondamentalement, reste le relationnel, ajoute Jacky Raimbault de la librairie Des Livres et Nous à Périgueux. On n’est pas fait pour vendre par correspondance, ce n’est pas notre propos. »
« Contrer Amazon est une décision politique »
En effet, la finalité du site n’est pas de faire un Amazon local. Pour ces professionnels, il ne s’agit pas de vendre des livres mais d’être libraire. Jacky Raimbault précise :
« Les recommandations d’Amazon sont basées sur des typologies de clients. C’est une manière de formater le public. Pour un libraire, la recommandation passe par une discussion, et pas par une statistique. »
« C’est une alternative à Amazon », concède Coline Hugel qui dénonce la concurrence déloyale du géant américain de vente en ligne. Celui-ci avait cumulé, jusqu’il y a peu de temps, la remise de 5% sur le livre – autorisée dans le cadre du prix unique de la loi Lang – et la gratuité des frais de port. La présidente de l’association Librairies Atlantiques ajoute :
« Ce n’est pas nous qui pourrons faire face à Amazon, il faut une décision politique. Si la gratuité des frais de port a été formellement interdite par une récente loi, ils peuvent toujours se permettre de demander quelques centimes symboliques pour l’expédition. »
La loi Lang (du nom de Jack Lang, ancien ministre de la Culture) a instauré en 1981 un prix unique du livre pour limiter la concurrence et protéger la filière. Il a ainsi fallu l’intervention exceptionnelle de l’État, quand dans d’autres pays, les secteurs du livre ont mis en place de leur propre chef un système équivalent.
Face à la concurrence, c’est le réseau qui prime
En rendant public leurs stocks sur la plateforme aquitaine, les libraires facilitent les recherches des clients. La concurrence ne disparaît pas pour autant, mais sur la toile, la solidarité au sein du réseau local s’impose, comme l’explique Annie Maubourguet, libraire au Jardin des Lettres à Andernos-les-Bains :
« On travaille ensemble. Lorsque je n’ai pas un livre, je me sers aussi de l’outil pour renvoyer mes clients vers d’autres libraires. » D’un point de vue collectif, cette plateforme est « un moyen de se positionner intelligemment sur internet ».
De plus, ce réseau local permet aux libraires aquitains d’être présents sur un autre réseau national émergeant : La Place des libraires. Celui-ci a fourni le modèle du site aquitain, également repris par la région Rhône-Alpes. Annie Maubourguet a ainsi pu satisfaire un client lyonnais qui « cherchait un livre épuisé chez l’éditeur ».
« C’est une expérience qui nous permettra d’évoluer vers un véritable réseau national, précise Coline Hugel. Nous avions déjà tenté l’expérience en 2010 mais nous n’étions pas prêts. »
En France, 3 000 librairies indépendantes constituent le réseau le plus important au monde. Une stratégie menée de concert sur internet, si elle rencontrait une adhésion unanime, constituerait un moyen sérieux de contrer le monopole en ligne d’Amazon pour la vente du livre, surtout à l’approche des fêtes de fin d’année, un rendez vous crucial pour garnir les livres comptables…
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