Le dimanche 22 novembre, Mauricio Macri, candidat à la présidence de la République argentine, défait son opposant Daniel Scioli, et met fin à une ère de douze années dominée par les époux Nestor et Cristina Fernandez de Kirchner.
A l’occasion de la sortie de son livre, Argentine, le tango des ambitions (éditions Nevicata), la bordelaise Camille Lavoix, journaliste indépendante pour Le Monde, Mediapart, Le Temps et Expansión, raconte les conséquences de ce scrutin historique pour l’Argentine.
Rue89 Bordeaux : La victoire de Mauricio Macri, ancien maire de Buenos Aires plutôt classé à droite, aux élections présidentielles argentines du 22 novembre, est-elle une surprise ?
Camille Lavoix : C’est en fait le score de Macri au premier tour qui a été une surprise pour tout le monde. Le 25 octobre, date du premier tour, on se demandait plutôt s’il y aurait un second tour ou pas [l’Argentine n’a pas connu de second tour depuis la fin de la dictature militaire en 1983]. Mais après douze ans de kirchnerisme, les gens en avaient marre. Les Argentins ont été écœurés par les affaires de corruption et par le népotisme sur la fin de la présidence Kirchner. Pour avoir un poste important, il était par exemple obligatoire de faire partie de La Campora [association des jeunes kirchneristes].
Les Argentins en avaient également marre d’être coupés du monde. En mettant en place le contrôle des taux de change, en 2011, Cristina Kirchner a rendu difficile l’accès aux devises étrangères pour les Argentins. En maintenant un discours et une posture politique belliqueuses envers les institutions étrangères, parfois envers d’autres pays, en particulier pendant la crise des fonds vautours [des fonds d’investissement qui n’ont pas accepté la restructuration de la dette argentine après 2001 et le premier défaut du pays, et qui ont amené un deuxième défaut à l’été 2014] l’ancienne chef du gouvernement a renforcé cette coupure entre l’Argentine et le reste du monde. On pouvait en fait s’attendre à une sanction envers l’ancienne présidente, mais pas à une défaite de son dauphin, Daniel Scioli, et donc de son parti.
L’élection de Mauricio Macri referme-t-elle une parenthèse dans l’histoire argentine ?
Si l’on parle d’une manière de faire de la politique et d’un discours populiste, cette manière de se placer proche du peuple, la réponse est clairement non. Vu d’Europe, le populisme sud américain semble être l’apanage de la gauche, des Morales ou des Chávez. Mais on oublie que le premier président populiste, aux États-Unis, c’était Franklin Roosevelt. Macri a fait une campagne de droite, mais populiste.
Quant à savoir si le kirchnerisme est mort et enterré, je n’en suis absolument pas convaincue. Le sentiment d’attache aux Kirchner va subsister. D’une part, parce qu’on ne peut pas nier le bilan exceptionnel de Nestor Kirchner (2003-2007), quand on pense à la situation de l’Argentine après la crise de 2001. On ne peut pas oublier non plus les droits sociaux qu’ils ont mis en place, comme l’allocation aux enfants scolarisés ou le maintien d’un système de santé public. Tout ça a été très audacieux, même si la fin du mandat de Cristina, qui a fait preuve d’un autoritarisme incroyable, est très critiquable.
D’autre part, Mauricio Macri aura de toutes façons les mains liées jusqu’en 2017 : les deux chambres parlementaires sont encore majoritairement acquises au Frente Para la Victoria, le parti de Mme Kirchner. Ces prochaines années verront une épreuve de force entre Macri et les députés kirchneristes.
La parenthèse libérale argentine, dans les années quatre-vingt dix, constitue, pour beaucoup, la cause de l’appauvrissement brutal du pays en 2001. Comment les Argentins ont-ils pu voter pour un candidat apparemment libéral ?
Tout d’abord, comme je l’ai dit plus haut, il s’agit là d’un vote sanction. Un peu comme la victoire de François Hollande en 2012 marquait un ras-le-bol de Nicolas Sarkozy, c’était une élection pour ou contre les Kirchner. Macri a même fait une mauvaise campagne. Tous les gens que je connais plutôt à gauche, ont voté pour lui en se pinçant le nez, voire la peur au ventre, car ils ne savent pas ce dont il est capable. Dans mon livre, Osvaldo Bayer, un historien argentin, dit littéralement que « Macri est d’extrême droite ». Je ne savais pas comment traduire, parce qu’en Français, l’expression « extrême droite » correspond à une réalité particulière. J’ai donc traduit par « très à droite ». Mais ce qui caractérise Macri, c’est la difficulté à saisir son positionnement. Au début de la campagne présidentielle, il a soutenu qu’il allait défaire tout ce qu’avaient réalisé les Kirchner, mais il a tourné casaque. Il a par exemple affirmé qu’il allait conserver l’aide sociale universelle.
Après, les milieux d’affaires sont contents : les premières mesures devraient aller dans le sens d’une libération des importations.
Mais peut-on dire que Macri est vraiment très à droite ? Son bilan à la tête de la capitale semble plaider pour le contraire : certains militants associatifs soulignent un « mieux » dans sa gestion des bidonvilles par rapport à la mandature précédente, et c’est lui qui a créé, par exemple, le secrétariat à l’inclusion et à l’habitat (Sechi) en 2011 pour améliorer l’action publique dans les bidonvilles.
D’un point de vue de journaliste, il me fait penser un peu à Alain Juppé. Pourquoi ? Parce que j’entends les mêmes critiques à son égard. D’un côté il a modernisé la ville, avec des attributs de ville moderne. Je pense à son programme Ecobici, les vélos en libre service gratuit, qui marche étonnamment bien. Je pense aux travaux d’amélioration des espaces publics au centre-ville et dans les beaux quartiers. Je pense au wifi gratuit dans les stations de métro, aux applications pour smartphones de la Ville de Buenos Aires.
Pour ses détracteurs cependant, il s’agit d’un simple lifting, une manière de ne pas traiter les vrais problèmes. Moi, ce que j’ai retenu, c’est une ville en apparence moderne et belle, mais où, derrière les façades, demeure beaucoup de pauvreté, et une certaine complaisance des autorités envers des mafias qui donnent dans le trafic d’êtres humains.
D’un côté, Buenos Aires se dit ville verte, les containers pour trier les déchets ont été changés trois fois. Mais, de l’autre, des enfants récupèrent des cartons le soir dans ces mêmes containers des beaux quartiers.
Quels vont être les prochains changements en Argentine ?
Ce qui m’inquiète, c’est que la vie politique et sociale est encore très polarisée. On est beaucoup dans la désinformation, et en tout cas dans la discorde. Des familles s’entredéchirent pour des questions politiques.
La politique menée par Macri, libéralisme ou non, va dépendre des rapports de force avec la rue et avec le Parlement. Les Argentins ont la réputation de se mobiliser. Comme le dit Verónica Gimenéz Béliveau, une sociologue avec qui je me suis entretenue pour mon livre, « manifester est la tradition fondatrice de la politique moderne et populaire ».
Si le nouveau président dévalue la monnaie [soutenue artificiellement par la politique du contrôle des taux de change] de façon brutale, il va y avoir des crises. Déjà, Cristina Kirchner avait essuyé de violentes manifestations en 2008, lors de l’épisode du Campo, cette crise entre la présidence et les agroexportateurs argentins, alors qu’ils étaient auparavant alliés. Alors on peut imaginer ce que ça va donner avec un président qui n’est pas traditionnellement soutenu par les grandes forces syndicales du pays.
En outre l’été [de décembre à mars] est traditionnellement une période de remous sociaux. Les coupures de courants, récurrentes à cette période de l’année, ont tendance à pousser les gens dans la rue.
Quel rapport entretient Mauricio Macri avec le pape François ?
Mauricio Macri et le pape ont un différend. Lorsque Bergoglio était encore archevêque de Buenos Aires, il n’a eu de cesse de militer contre le trafic d’êtres humains et l’esclavage salarié des ateliers clandestins de confection dans les bidonvilles de Buenos Aires. Or, une des marques de vêtements visées par les militants antiesclavagistes est liée aux… beaux-parents de Macri. Ça, c’est la partie noire du nouveau président. Mais je pense que le pape est pragmatique : s’il voit qu’il peut travailler avec Macri, il le fera.
Chargement des commentaires…