Quel est votre rôle sur le Festival international du film d’histoire de Pessac ?
François Aymé : Les tâches se partagent entre le délégué général Pierre-Henri Deleau et moi. Il sélectionne les films sur le thème choisi et s’occupe de la compétition documentaire. De mon côté, je coordonne l’organisation, prépare les débats en collaboration avec les partenaires (Histoire, France Culture, Arte, Le Monde, La Croix entre autres) en veillant à la cohérence globale afin qu’il n’y ait pas de redondances. Il faut aussi, et c’est un gros volet, gérer le programme scolaire qui représente un tiers de la fréquentation du festival et enfin choisir les films de fiction en compétition.
Justement, le programme compétition est indépendant du thème du festival. Dans cette liberté temporelle et géographique, existe-t-il un fil conducteur qui vous aiguille lors de la sélection ?
Disons que ce qui prime est la qualité esthétique des films, leur narration et bien sur l’intérêt historique. La majorité des films présentés traitent de sujets contemporains. Ces choix sont induits par la production des films historiques, plus on remonte dans le temps plus les films coûtent cher à réaliser. Cette année par exemple, on aborde la guerre en Bosnie (« Soleil de plomb » de Dalibor Matanic), la fin du rideau de fer en Bulgarie (« Le dossier Petrov » de Georgi Balabanov), « Le dernier jour d’Itzhak Rabin » d’Amos Gitaï.
Autre film en compétition présenté en ouverture, « Les chevaliers blancs » de Joachim Lafosse, libre adaptation du fait divers de l’Arche de Zoé. Pourquoi ce film-là ?
Je considère Joachim Lafosse comme un nouveau grand talent notamment après son film « A perdre la raison ». Il possède cette capacité à saisir les problèmes psychologiques de personnages extrêmes. C’est un film très abouti, très habile et sans manichéisme sur la façon dont ces humanitaires s’empêtrent dans cette expédition, confrontés à leur morale et à leur humanité. Il réalise une parabole des relations nord/sud où les liens entre les peuples sont pervertis.
Au vu du titre, en quoi estimez-vous cette zone du monde si proche de nous ?
Il ne faut pas oublier que les pays du Proche-Orient sont tout près des frontières européennes, la ville symbole étant Istanbul. Et à l’époque, l’empire Ottoman s’étendait de la Grèce jusqu’à la Bosnie, il ne s’arrêtait pas aux frontières européennes que l’on connait aujourd’hui. Il faut donc déplacer le prisme contemporain de nations par une longue histoire d’empires successifs qui ont dépassé les frontières Orient/Occident.
Le climat politique entre ces deux régions n’est de fait pas hermétique, les conflits au Moyen-Orient se répercutent sur notre sol aujourd’hui. L’autre argument est dans le principe même d’une manifestation culturelle qui se doit de créer du lien. Le cinéma est le média le plus populaire et peut rapprocher les peuples. Et le public français est particulièrement attiré par les films de ces pays. « Une séparation » qui montre une image contrasté de l’Iran sur la religion, les classes sociales et la place des femmes a attiré 1 million de spectateurs, « Taxi Teheran » de Jafar Panahi, 500 000. Sans oublier que le film qui va représenter la France aux Oscars, « Mustang » est turc.
Vous êtes un festival d’histoire, comment se fait-il que les films présentés datent majoritairement des 20 dernières années flirtant souvent avec l’actualité chaude ?
Il faut savoir que la production cinéma dans les pays occidentaux s’est étalée sur un siècle entier. Contrairement au Proche-Orient, où il existe au départ surtout des films de divertissement et des films musicaux. Les premiers films ambitieux apparaissent dans les années 60 en Egypte avec Youssef Chahine.
C’est une réalité qu’on est obligé de prendre en compte mais on n’a pas voulu que cela devienne un handicap. Ce thème reste riche d’un point de vue historique et présente comme vous l’avez dit une actualité forte cette année, même si nous n’en avions pas encore conscience quand nous l’avons choisi à l’édition 2014.
Le Proche-Orient est une grande zone aux multiples enjeux. Comment être exhaustif ?
Notre festival a l’avantage de proposer une sélection de 100 films qui permet un panel large de sujets traités dans chaque pays. Même si tous ces pays n’ont pas exactement la même histoire, il y a des similitudes très fortes qui existent comme la prépondérance de l’Islam comme religion, la langue arabe, un rapport colonial avec l’Occident, le pétrole sans oublier des sujets transfrontaliers comme celui de l’Etat de Daech qui concerne toute la zone et influe même-au delà.
Pourtant, au regard de la programmation, il existe de gros déséquilibres en terme de nombre de films entre certains pays ? Le cinéma ne s’est visiblement pas développé partout de la même manière.
C’est vrai que chaque pays a ses particularités, que l’on peut observer aussi entre la France et l’Espagne par exemple. L’Iran et Israël font partie des 10 pays au monde qui ont un cinéma d’une grande qualité artistique. Une vitalité qui se ressent dans des festivals où ils sont souvent présents et récompensés. Cette culture vient peut être d’un contexte politique tendu souvent synonyme de plus grande création, l’envie de s’exprimer se renforce en période de crise.
La particularité du festival est la présence de 40 débats. Parmi les sujets le conflit israélo-palestinien, le djihadisme, Daech. En deux heures environ et avec plusieurs intervenants pour chacun, ne craignez-vous pas la frustration ?
J’ai pu me rendre compte au fil du temps que les grands spécialistes savent aller à l’essentiel. Ils ont passé des années à se documenter sur leur sujet, et le détail la nuance, ils l’apportent plutôt grâce à leurs livres.
On ne traitera pas de l’ensemble du conflit israélo-palestinien mais cette discussion peut permettre de donner des points de repères. Et les débats se répondent, le conflit s’intègre dans une histoire plus large. Le festival reste une occasion unique en France de faire cohabiter dans un même thème, l’histoire politique et le cinéma.
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