Ouvrir le Temple des Chartrons à « des cérémonies républicaines exemptes de tout caractère religieux, mais aussi à des cérémonies bi ou multi-confessionnelles » : la députée et conseillère municipale socialiste Michèle Delaunay, qui avait fait cette proposition au maire de Bordeaux après les attentats de janvier dernier, s’est réjouie mardi que l’idée « [fasse] son chemin ».
Le conseil municipal votera en effet lundi prochain le financement d’une étude de faisabilité pour la restauration du temple. Au lendemain de la réunion de Bordeaux Partage (fédérant les représentants religieux locaux et la ville), qui s’est tenue après les attaques du 13 novembre, l’ancienne ministre plaide à nouveau pour « reconvertir l’édifice en un lieu de spiritualité et de dialogue inter-religieux, dans le plein respect de la laïcité ». Le 20 février dernier, Michèle Delaunay assurait qu’un tel espace « de rencontre, d’échanges, de conférences, de débats », était « vivement souhaité par les acteurs de Bordeaux Partages ».
« Récupération »
Propriétaire de cet édifice bâti en 1832 et inscrit au titre des Monuments historiques depuis 1975, la Ville confirme le lancement de cette étude, première étape pour ouvrir au public le temple des Chartrons, qui sert aujourd’hui d’entrepôt de matériel muséographique du CAPC et du musée des Beaux-Arts.
Fabien Robert, adjoint en charge de la culture, conteste en revanche que Michèle Delaunay « ait déclenché quoi que ce soit », et s’émeut d’une forme de « récupération politique dans l’émotion ambiante » :
« Donner une seconde vie au temple des Chartrons faisait partie du projet d’Alain Juppé pour le quartier Grand Parc-Chartrons lors des élections municipales de 2014, nous sommes dans l’application du programme. Michèle Delaunay nous a certes alerté, elle se disait même prête à financer l’étude sur la réserve parlementaire, ce qui ne sera finalement pas le cas. »
La Ville paiera la moitié de cette étude, d’un coût global de 16667 euros (hors taxe). L’autre moitié sera prise en charge par l’Etat.
« L’idée est de savoir combien coûterait une réhabilitation à minima du bâtiment, à savoir une remise en état conservant l’aspect global, et lui permettant d’accueillir au moins 200 à 300 personnes, poursuit l’adjoint à la culture. Actuellement, le temple ne peut recevoir que 19 personnes car on ne peut y entrer et en sortir que par les deux grandes portes en façade, toutes les autres issues sont condamnées. »
Culte ou culture ?
Le devis réalisé, il faudra ensuite que les collectivités locales – région, département… –, qui sont toutes compétentes en matière de patrimoine, acceptent de participer à la restauration du lieu.
Pour en faire quoi ? Selon Fabien Robert, le temple devra avoir « une vocation culturelle, conformément au programme d’Alain Juppé ». Cela pourrait par exemple être un lieu d’exposition, comme la Vieille Eglise de Mérignac, en lien avec le CAPC.
« Pourquoi pas en faire un lieu plus identifié pour Bordeaux Partage, n’exclut toutefois pas l’adjoint. Mais je ne sais pas si les responsables religieux sont d’accord avec cette idée. Aujourd’hui, Bordeaux Partage n’en a pas besoin pour exister. L’association fait 4 à 5 conférences par an, qui se tiennent soit à l’Athénée Municipal, soit à l’Hôtel de Ville. Nous consulterons en tous cas la communauté protestante, qui veut avoir un droit de regard sur l’avenir du temple. »
Neutralité
En février dernier, Michèle Delaunay soulignait que « les événements douloureux que notre pays vient de traverser (notamment contre Charlie Hebdo et l’Hyper Casher) ont été l’occasion dans notre ville, de marches interreligieuses et de réunions laïques de haute signification. L’absence d’un “lieu neutre” n’a cependant pas permis de célébration commune où chaque responsable religieux aurait pu conjointement et dans les formes des différents cultes manifester leur convergence dans le rejet de ces événements ».
Pasteur au temple du Hâ et membre de l’église protestante unie, Valérie Mali se félicite que le temple des Chartrons « sorte de 25 ans d’oubli ».
« Mais nous sommes défavorables à ce que cet endroit d’obédience spirituelle soit consacré à des cérémonies laïques et républicaines, comme le voudrait madame Delaunay. Pour s’être concertés au sein de Bordeaux Partage, et au delà, nous sommes favorables à des lieux de dialogue, mais pas de célébration interreligieuse ».
Valérie Mali précise que l’église protestante n’a pas encore été consultée sur l’avenir du temple, mais est « attentive ». Elle souhaite que ce lieu symbolique ne tourne pas le dos à son histoire :
« Il a été édifié par les familles de protestants réfugiés, chassés puis revenus vivre et faire affaire à Bordeaux. Il représente les années glorieuses du Bordeaux d’antan, tourné vers le commerce. Et c’était un lieu d’accueil, où avant la Révolution française le protestantisme pouvait être vécu librement, mais dans le cadre d’un ghetto, car les protestants n’avaient pas le droit d’habiter ailleurs. »
A l’aune de la renaissance du quartier et de l’actualité brûlante, ce passé complexe mérite en tous cas d’être remémoré, dans le temple des Chartrons ou ailleurs.
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