« Le fait de fermer les agences l’après-midi et de numériser 100% des démarches administratives répond à un rétrécissement progressif de la mission de service public de Pôle Emploi, qui veut laisser les demandeurs d’emploi seuls face à la machine », dénonce Joëlle Moreau, d’AC ! Gironde (Agir ensemble contre le chômage).
En fait, depuis le 11 janvier, Pôle Emploi réserve le flux des réceptions spontanées le matin, et ne reçoit plus que sur rendez-vous l’après-midi (de 12h30 à 16h30 les lundi, mardi et mercredi, de 12h30 à 15h30 les vendredi, fermé le jeudi). Ce dispositif, baptisé par Pôle Emploi « accès direct à son conseiller », a suscité lundi une grève des salariés dans trois régions, mais pas en Aquitaine. Il est jugé pénalisant par AC ! et d’autres associations et partis de gauche (PG, Ensemble, NPA…), qui ont mobilisé une quinzaine de militants. Ils ont déployé une banderole et distribué des tracts dans l’agence de Bègles, où ils ont été reçu par la direction. Sans résultat sur les nouveaux horaires, mis en place partout en France.
« Certains demandeurs d’emploi travaillent ou font des démarches le matin, d’autres sont pris l’après-midi et pourront donc moins facilement répondre aux convocations », souligne Joëlle Moreau.
Rapports humains
Un point de vue que partage Stéphane, Béglais de 25 ans, à la recherche d’un emploi de technicien de support en informatique :
« Avant on pouvait venir n’importe quand, c’est plus compliqué aujourd’hui. D’autant que je préfère faire mes recherches le matin, c’est mieux pour appeler les entreprises, les gens sont plus disponibles. »
Intermittente du spectacle inscrite depuis août 2015 à Pôle Emploi, Alice, 24 ans, s’inquiète que ces nouvelles plages horaires « rallongent les délais pour un obtenir un rendez-vous » :
« Il y a toujours autant de conseillers, et de plus en plus de chômeurs, donc ils auront moins de temps pour nous recevoir. Or chacun a des problèmes différents, il ne faudrait pas que cela se fasse au détriment des rapports humains. »
La direction de Pôle Emploi estime au contraire que l’accueil sur rendez-vous permet aux conseillers référents d’avoir 30% de temps en plus consacré à l’accompagnement des usagers, et de mieux « personnaliser leur suivi ». Elle garantit un rendez-vous avec un conseiller « sous 72 heures dans la semaine suivant la demande ».
« Même les demandeurs d’emploi les moins à l’aise avec l’informatique ont désormais un mail, et l’adresse personnelle de leur conseiller, ce qui leur permet de leur poser sans rendez-vous n’importe quelle question, ou de leur envoyer un document, et de consacrer ainsi plus de temps lors de leurs rendez-vous aux questions de formation ou d’indemnisation », affirme Roland Grillères, directeur de l’agence Pôle Emploi de Bègles.
« 40% des chômeurs sont nés avec Internet »
Or depuis ce lundi 8 février dans la région ALPC, cette dématérialisation des démarches s’accélère : les nouvelles inscriptions à Pôle Emploi s’effectuent désormais exclusivement en ligne. Les chômeurs doivent pour cela scanner (ou photographiés par téléphone) tous les justificatifs exigés, remplir leurs dossiers, avant d’être reçus pour un entretien de situation, promis entre 4 et 8 semaines plus tard.
« Aucune loi ne force les gens à avoir un ordinateur ou un Smartphone, et beaucoup de chômeurs ne peuvent pas se les payer, car ils doivent d’abord s’acquitter de leur loyer ou de factures d’électricité », tonne Carl Pivet, président d’AC ! Gironde.
D’autres rencontrent des difficultés avec les outils numériques de Pôle Emploi, comme Sylvie, 50 ans :
« Lorsque j’ai été licenciée en octobre dernier, j’ai voulu réactualiser mon CV en ligne, raconte cette auxiliaire de vie, et militante d’AC !. Impossible, et pas moyen d’avoir un rendez-vous avant le mois de février avec mon agence, à Saint-Médard-en-Jalles. En plus, toutes les convocations sont désormais envoyées par mail ou SMS, il faut être vigilant car on peut facilement rater un rendez-vous, et se retrouver radié. »
Frédéric Toubeau, directeur régional de Pôle Emploi, avait affirmé le mois dernier pour sa part, lors d’une conférence de presse sur ces nouvelles modalités d’accueil du public et d’inscription, qu’une « grande majorité des demandeurs d’emploi disposent d’Internet et maîtrisent l’outil ».
« 40% de nos demandeurs d’emploi sont nés avec internet, a déclaré en janvier dernier le responsable de l’agence nationale pour l’Aquitaine, le Limousin et Poitou-Charentes. Fin décembre, déjà 65% des demandeurs d’emploi s’inscrivaient en ligne. Nous avons vocation à étendre sur l’ensemble du territoire l’accompagnement 100% web comme à Bordeaux et Angoulême. »
Certains s’en satisfont très bien, comme Alice, la jeune intermittente déjà citée :
« Le site de Pôle Emploi est assez clair. Et ça évite de se déplacer et de payer des timbres pour ses courriers. Ça ne coûte pas grand chose, mais quand on est au chômage, ce n’est pas rien. »
Dématérialisation des agences
Pôle Emploi jure par ailleurs ne pas vouloir « laisser dans la nature » les chômeurs les moins autonomes. Une hotline téléphonique nationale, le 39 49, est ouverte tous les jours sauf le dimanche, propose une aide en ligne pour compléter ses dossiers. « A Bègles, 7 à 8% des inscrits ont vraiment besoin d’être accompagnés », estime Roland Grillères. L’agence leur propose des ateliers de 45 minutes pour créer un espace personnel, insérer un CV… Le tout sans moyens supplémentaires pour Pôle Emploi, bien sûr…
« Nous avons pris 150 personnes en service civique pour contribuer à accompagner les demandeurs d’emploi, mais il n’y a pas d’embauches prévues dans ce cadre là, a précisé en janvier Frédéric Toubeau. Du point de vue matériel, nous n’avons jamais un taux d’occupation des ordinateurs de 100%, et faisons en sorte qu’il y en ait en nombre suffisant, tout comme des scanners et des tabourets. »
Aujourd’hui, la dématérialisation de Pôle Emploi est poussée assez loin, jusqu’à la disparition d’agences, comme celle de Talence, dont les usagers sont désormais aiguillés vers Villenave-d’Ornons. Le service public tente de compenser en créant des points d’accès multimédia chez des partenaires, comme le service emploi de la mairie de Talence, qui pourrait héberger deux postes dans le quartier de Thouars.
Cela ne signifie pas pour autant que la bride se relâche sur les demandeurs d’emploi. Au contraire : depuis le 28 septembre, 200 agents de Pôle Emploi (19 dans la région ALPC, dont 10 en Aquitaine) sont chargés de contrôler si les chômeurs cherchent activement du travail.
Interrogée par Rue89 Bordeaux, la direction régionale de Pôle Emploi indique ne pas avoir encore établi de bilan de leur action. Les militants d’AC ! redoutent que cela ne serve avant tout à augmenter les radiations, « sans garde-fou puisque Pôle Emploi est juge et partie », affirme Carl Pivet.
Chargement des commentaires…