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Contre la Loi Travail, les jeunes en mode « Revenant » à Bordeaux

Une pétition avec plus d’1,2 million de signataires, une mobilisation d’ampleur sur Facebook, une manif et des blocages de lycées annoncés ce mercredi… Les jeunes s’engagent, et certains pour la première fois, contre le projet de Loi Travail. Rue89 Bordeaux a rencontré ces nouveaux militants.

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Contre la Loi Travail, les jeunes en mode « Revenant » à Bordeaux

(Dessin Visant/Rue89 Bordeaux)
(Dessin Visant/Rue89 Bordeaux)

Après avoir été élue ville la plus cool, la plus locavore, la plus sympa pour bosser, Bordeaux sera-t-elle aussi la ville la plus mobilisée contre la loi El Khomri ? Selon les calculs du Parisien, les habitants de la métropole girondine se sont particulièrement mobilisés pour signer la pétition « Loi travail, non merci ! ». La page Facebook organisant la manifestation locale, à 13h place de la Victoire, est aussi la plus active après celle de Paris, avec plus de 6000 inscrits.

Ce succès a surpris le créateur de cette page. Vincent, 22 ans, yeux bleus étincelants a plutôt un look pour se rendre au Hellfest. Malgré son initiative, pas question pour lui de jouer les porte-paroles ni les leaders. Demandeur d’emploi dans la restauration, il marchera ce mercredi derrière la banderole #Onvautmieuxqueça, slogan lancé par des youtubeurs :

« Je ne m’attendais pas à un tel mouvement. Au départ, je pensais faire ça tout seul en invitant mes copains et puis en trouvant les contacts des syndicats. Je n’avais pas de réseaux. »

Durant ces années lycées en Savoie, il expérimente le blocage de son bahut pour s’opposer à la réforme des retraites. Le bac en poche, direction Grenoble où il fait un peu de psycho, un peu d’étude en informatique et une nouvelle formation en politique en participant aux mouvements des Indignés. Arrivé à Bordeaux en septembre, il ne connaît personne. Mais vient la loi El Khomri qui lui paraît être une « attaque démesurée » sur le code du travail.

Un appel national à la manifestation et à la grève générale est lancé pour le 9 mars, que Vincent relaie sur Bordeaux le 25 février. Sans tarder, les compteurs grimpent au rythme des signatures de la pétition initiée par Caroline de Haas. Tout s’enchaîne. Lui qui ne connaissait personne est contacté par des militants, notamment du Collectif Intermittents et Précaires (CIP) et de l’éducation populaire.

Vincent a lancé la page Facebook du mouvement du 9 mars à Bordeaux (Xavier Ridon/Rue89 Bordeaux)
Vincent a lancé la page Facebook du mouvement du 9 mars à Bordeaux (Xavier Ridon/Rue89 Bordeaux)

Le mouvement fait son cinéma

Une réunion publique est organisée le 2 mars à l’Utopia. Le cinéma indépendant propose une salle qui s’avère être trop petite, et annule une projection de The Revenant pour accueillir plus d’une centaine de motivés ! Ce film avec Leonado Di Caprio racontant le retour d’un trappeur laissé pour mort, aura-t-il quelque chose à voir avec le réveil d’un mouvement social jusqu’alors apathique s’estimant trahi ? En tout cas, Vincent s’en amuse :

« Elle est bien cette loi. Elle concerne tout le monde et fédère beaucoup de monde. »

Dans la salle, plus de la moitié a moins de 30 ans. Jeunes parents, étudiants, ouvriers, retraités, se croisent. Plutôt que de longues prises de paroles individuelles, ils discutent en petits groupes pour aboutir à des actions concrètes. Parmi les jeunes, beaucoup s’apprêtent à vivre leur premier mouvement social.

Collectivement, ils dénoncent le plafonnement des indemnités prud’homales, le fractionnement des 11h de repos sur 24h, le temps d’astreinte décompté comme temps de repos, la possibilité pour une entreprise de faire un plan social sans difficultés économiques. Mais Vincent insiste :

« Tout le monde s’est accordé pour dire que la loi El Khomri impose un combat plus vaste. »

Sur la page Facebook, les témoignages et entraides se succèdent : un chauffeur routier donne ses conseils pour bloquer au mieux la ville, un aide à domicile affiche son soutien, une téléconseillère en burn out se réjouit de participer à la mobilisation qui sera aussi la première de sa fille étudiante, un précaire de l’hôtellerie file un coup de main en prêtant sa voiture.

A l'Utopia, 120 personnes ont assisté à la première réunion publique (DR)
A l’Utopia, 120 personnes ont assisté à la première réunion publique (DR)

« Il faut qu’on mette le zbeul »

Les lycéens bordelais rentrent à leur tour dans la mêlée. Porté par de frais bacheliers, leur mouvement se gère via Facebook. Clémence, étudiante à Bordeaux III, en fait partie. Sa militance a commencé au syndicat lycéen UNL. Elle a certes connu quelques manifs mais pas un tel mouvement. Sur le réseau social, elle tente de superviser les propositions de blocages, d’assemblée générale, de réunions de discussions dans les bahuts de la métropole.

« Bloquer n’est pas une priorité. C’est la chose la plus dure que l’on peut peut faire pour montrer que les lycéens sont aussi des citoyens mêmes s’ils n’ont pas 18 ans. D’ailleurs quand des lycéens viennent me voir et veulent faire des blocus, je fais gaffe à ce qu’ils connaissent la loi. »

Tout ou presque se fait aussi par Facebook. Chaque lycée a son référent. Mais faute de bras, difficile d’aller physiquement à la rencontre des élèves de tous les établissements de la métropole : huit de Bordeaux centre pourraient être bloqués ce mercredi. Dans certains cas, les proviseurs en ont déjà été avisés. Mardi après-midi, les mouvements de jeunesse ont appris qu’ils seront en tête de cortège et, sur le réseau social, Clémence laisse éclater sa joie :

« C’est plutôt ouf, donc il faut qu’on soit vraiment vraiment le plus nombreux possible et qu’on mette le zbeul [le bazar, NDLR] avec le plus possible de drapeaux, affiches, pancartes (…) je suis super fière de nous, demain soir je paye ma tournée (lol XD ptdr). »

« Ça dépasse la loi travail »

Le monde étudiant est en « repolitisation lente » nous assure un étudiant de l’Université de Bordeaux en éco-gestion :

« Ça avait commencé avec l’état d’urgence, lors d’un débat dans un amphithéâtre rempli. On ne voyait plus ça. Et désormais ça dépasse le cadre de la loi travail. On sait qu’on fait des études, au minimum un Bac+ 5. On nous rabâche qu’il faut que ce soit professionnalisant, qu’il faut multiplier les stages pour avoir un bon CV et dans le même temps qu’il ne faut pas s’imaginer avoir plus de 1500 euros nets à la fin… »

Évoquant ses collègues qui bossent mais vivent dans des chambres étudiants de 9 mètres carrés avec des blattes et des souris, il observe une crispation générale et la loi travail pousse des gens non-politisés à prendre position :

« Sur la fac, les organisations de jeunes bougent. On a l’impression que le phénomène s’inverse : des bases locales ont poussé de tous les côtés partout en France, et la base nationale a suivi. »

Ce schéma se retrouve dans les syndicats professionnels et la colère s’étend à diverses organisations politiques, syndicales et associatives. L’appel national à la grève générale a été lancé par des militants de bases de la CGT, et en Gironde, certaines sections du principal syndicat français se sont aussi retrouvées pour appeler à la mobilisation du 9 mars avant que les directions se prononcent.

(capture d'écran)
(capture d’écran)

Vers un Podemos français ?

Ainsi, les CGT d’Auchan, du RSI Aquitaine, de la Caisse des Dépôts Bordeaux, de la Polyclinique Bordeaux Nord, de Ford, de l’éducation nationale, de la Carsat s’associent sans retenue à « l’appel lancé par des anonymes sur les réseaux sociaux, par des jeunes organises ou pas, par des lycéens, des étudiants, des intermittents, des zadistes » :

« Il est nécessaire de faire tomber les barrières qui nous séparent ou nous divisent au sein du mouvement social, nous avons besoin d’un vrai “tous ensemble” », indiquent-ils par voie de communiqué.

Les directions syndicales départementales CGT, FO, FSU, Solidaires avec l’Unef et l’UNL, ont suivi demandant conjointement le retrait d’un projet de loi « ni amendable ni négociable ». Secrétaire générale de l’union départementale CGT de Gironde, Corinne Versigny ne se sent pas débordée par sa base :

« Tant mieux que la base ait rencontré les salariés et ait appelé à la grève. La grève ce sont les salariés qui la décident et les syndiqués, ça ne peut pas venir d’en haut. Je me dis que c’est aussi dû à notre travail fait au quotidien. »

Pour elle, cette journée du 9 mars doit servir de tremplin pour la journée de grève et de manifestation du 31 mars. L’association SOS Racisme rejoint le combat parlant d’une « régression sociale inadmissible » mettant à mal l’égalité, quand la Confédération Paysanne, par la voie du viticulteur girondin Dominique Techer, déplore « un moins disant social ».

Corinne Versigny ajoute en substance que « Facebook ne va pas suffire. On ne peut pas faire l’économie d’aller à la rencontre des salariés » pour que le mouvement perdure. Les responsables de la page Facebook ont déjà prévu le coup. Avant la manifestation, ils envisagent d’aller soutenir les cheminots grévistes de la SNCF refusant une dégradation de leur statut. En fin d’après-midi, ils tiendront une assemblée générale à l’université Bordeaux II, puis ce jeudi matin ils se rassembleront avec les retraités place Pey Berland et soutiendront les chômeurs et salariés de Pôle Emploi à Mériadeck. Et si le « Podemos » français naissait ce 9 mars ?


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