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Henri Martin, machino de la lecture, est décédé

Henri Martin, fondateur de La Machine à Lire, est décédé ce mardi à l’âge de 62 ans. Éric Audinet, directeur des éditions Confluences, aujourd’hui installées dans les anciens locaux de la librairie, 13 rue de la Devise, a connu ce libraire qui avait « une certaine idée du livre et de la lecture en France ».

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Henri Martin, machino de la lecture, est décédé

Henri Martin, fondateur de La Machine à Lire (DR)
Henri Martin, fondateur de La Machine à Lire (© Livres Hebdo)

Quand Gérard Boulanger est venu m’apprendre la disparition d’Henri Martin, je rangeais des cartons de livres dans ce qui lui avait servi de bureau pendant des années, l’antre où il recevait ses amis, ses libraires et les représentants, derrière la table semi-circulaire qu’il m’avait laissée en partant. A la place, il y a un frigidaire et une table sur laquelle sont en désordre un sachet de café, des bouteilles de vin, une boite de sucre, trois couteaux, deux cuillères, deux bols, des mugs, des filtres et une poche de sablés.

Quand Gérard est parti, je me suis fait un café, je me suis assis sur un tabouret en face du frigidaire, et j’ai pensé à Henri recevant ici ses premiers livres il y a trente-sept ans, à l’époque où commençait à poindre l’idée lancée par Jérôme Lindon, le patron des éditions de Minuit, bientôt suivi par de jeunes libraires qui avaient compris que se jouait là sans doute l’avenir d’une certaine idée du livre et de la lecture en France – et dont certains seront plus tard à l’origine de L’Œil de la lettre [un groupement de libraires, NDLR], à laquelle adhérèrent la Machine à Lire comme Ombres Blanches à Toulouse. L’idée, simple et géniale, était celle d’un prix unique du livre, qui allait déboucher sur la loi Lang d’août 1981, sauvant la diversité du livre et de la création en France en la dissociant des lois du marché.

Avec cette idée et tout ce qui en découlait, Henri Martin, comme Christian Thorel et bien d’autres, allaient véritablement infléchir le métier de libraire, désormais véritable acteur de la vie culturelle aux côtés des éditeurs et des bibliothécaires, et qui continue à œuvrer pour que le livre reste ce grand espace de liberté et de création, de pensée et d’invention. En réceptionnant et en rangeant sur leurs rayonnages les premiers livres qui étaient comme les premières pierres de cette « machine à lire », Henri Martin et Danielle Depierre participaient à un grand mouvement que la politique mitterrandienne allait graver dans le marbre.

Je n’étais pas son meilleur ami, mais je crois que nous avions noué des liens indéfectibles. Je ne l’avais pas revu depuis des mois, après un déjeuner arrosé dans un bistrot béglais. Je ne faisais pas partie du premier cercle de ses proches mais nous avions pêché ensemble des chancres et des étrilles aux grandes marées de l’île de Ré.  Je ne travaillais pas quotidiennement avec lui, mais il m’avait aidé et s’était associé à l’aventure des éditions Confluences, à plusieurs titres. Nous n’avions sans doute pas exactement les mêmes manières d’envisager la vie mais nous avions fondé et fait vivre avec quelques autres, pendant des années, le journal « Le Parlement ».

Mais il y a quelque chose de lui que je suis le seul à posséder et qui m’autorise ces quelques lignes aujourd’hui : quand j’ai installé à la fin des années 1990 les éditions à Saint-Pierre, ça a été, 13 rue de la Devise, dans ces locaux de la Machine à Lire qu’il y avait fondé en 1979 avec Danielle – dans le quartier où était mort trois ans plus tôt Pierre Molinier et qui n’avait rien encore du bon chic bon genre bobo étudiant qu’il a aujourd’hui – et qu’il quittait alors pour s’installer au soleil de la place du Parlement, où Hélène des Ligneris et son équipe poursuivent l’aventure.

Buvant ce café, sur ce tabouret, ça m’aide à mieux supporter sa disparition, Henri Martin, 13 rue de la Devise, Saint-Pierre.

Eric Audinet, éditions Confluences


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