La convergence des luttes programmée a failli tourner à la divergence des buts. Pour cette quatrième journée de mobilisation contre la loi Travail, les principaux syndicats de salariés ont quitté à 10h30 la Place de la République, lieu dévolu à la Nuit Debout depuis plusieurs semaines, avec l’intention de la regagner à la fin de la manifestation pour parler des combats à mener.
Mais le plan ne s’est pas déroulé comme prévu. En tête d’un défilé réunissant entre 4500 et 10000 personnes selon la police ou les organisateurs, un message prend en lieu et place de la traditionnelle banderole intersyndicale. De jeunes gens masqués tiennent ces quelques mots : « La poudre est pesée, tout est bon, tout est prêt. » Devant la porte de Bourgogne, une partie du cortège s’écarte du parcours déclaré en préfecture.
Derrière la banderole et les masques, plus d’une centaine de jeunes manifestants veulent se rendre à la gare. Elle tient à soutenir les cheminots en grève qui luttent contre une réforme de leur temps de travail qui, selon eux, affecterait la sécurité des usagers.
« Ne nous regardez pas, rejoignez-nous », scande le groupe qui grossit à mesure que quelques manifestants les rejoignent. Même si dans les rangs de la FSU et de Solidaires le ton monte, les centrales syndicales ne changent rien à leur marche.
Message d’amour et lacrymo
En revanche, les membres de la CGT Ford, Carsat, Retraités ou Inspection du travail, le camion de la CNT se placent derrière les jeunes, tout comme les Jeunes communistes, le NPA, la CIP, le collectif On vaut mieux que ça, Solidaires Education, Sud PTT, Force Ouvrière Transports et Logistiques. Un camion de police passe. « Là c’est chaud ! » lance le conducteur. Il est vite rejoint par des dizaines de collègues.
Environ 2000 personnes remontent les quais, mais se retrouvent stoppées entre le Tnba et le pont Saint-Jean par les forces de l’ordre qui usent de gaz lacrymogènes. Selon des témoins, une grenade de désencerclement aurait été lancée. Plusieurs manifestants en sortent blessés aux jambes voire à la tête. Le cortège n’insiste pas et se résout à se rendre place de la République. La police empêche tout passage dans d’autres rues que les grands axes : les quais, le cours Victor-Hugo. Surréaliste, une femme se place entre policiers et manifestants avec sa pancarte : « Jésus Christ t’aime. »
Le message d’amour ne suffit pas. Quelques mètres plus loin, le groupe tente d’entrer rue Sainte-Catherine. Cela se solde par des coups de matraques télescopiques et de gaz lacrymogènes. Mécontents, les manifestants reculent d’un mètre et répliquent par quelques projectiles. « Le gris là ! » pointe du doigt un policier. Le jeune homme habillé en survêtement gris et son voisin sont interpellés. Des slogans – « Tout le monde déteste la police », « Bordeaux debout, soulève-toi » et « Hollande trahison, Valls démission » – sont alors répétés à l’envi. Deux autres personnes sont arrêtées.
« Se cracher dessus »
Place de la République, quand le cortège dissident s’approche, seule une trentaine de personnes assiste aux prises de paroles syndicales parlant convergences de lutte. Demandant une meilleure répartition des richesses et plus de démocratie en entreprise, Corinne Versigny, secrétaire départementale de la CGT en Gironde insiste sur pour dire « qu’il y a plus de points qui font accord que de points qui font désaccord » entre son syndicat et Nuit Debout. Gilbert Hanna, au nom de Solidaires 33, reprend :
« Ce qui s’est passé tout à l’heure dans les divisions du cortège de l’organisation syndicale, c’est qu’il semblerait que nous ne soyons plus sur les mêmes bases. C’est faux ! Nous sommes tous sur les mêmes bases : ni amendables, ni négociables. Il faut qu’on s’organise tous ensemble – organisations syndicales, organisations non-organisées [sic], organisations de jeunesse – pour qu’on prépare les mobilisations. […] On devient les plus grands vendeurs d’armes et c’est de ça qu’on vit. Il faut que ça s’arrête et le premier pas, c’est la loi El Khomri ! »
Romain s’empare du micro et lance rageur aux organisations syndicales :
« On s’est fait gazé par nos amis les condés. Quand je vois les grosses organisations, qui ont des moyens et leurs services d’ordre avec des gars bien costauds, laissent des jeunes de 18 ans se faire casser la gueule, je trouve ça inadmissible. (…) On dit que les flics frappent leurs gosses mais les syndicats ne défendent pas leurs gosses. »
Le public l’acclame, vite tempéré par Christophe :
« Cette CGT m’aide. Grâce à elle, je connais les droits. Il faut arrêter de se cracher dessus. D’abord, il faut se congratuler. Ça fait des années que je milite, jamais on a changé les codes. Aujourd’hui, grâce à vous les jeunes et grâce à nous les travailleurs qui l’ont bien voulu, on a changé les codes ! »
Les prises de parole suivantes apaisent les discussions. La Coordination des intermittents et précaires de Gironde témoigne que « la lutte, ça paie », alors qu’un accord sur l’assurance chômage « plutôt favorable pour les intermittents et pour les précaires » a été trouvé ce jeudi matin (lire l’encadré ci-dessous). Un membre de Nuit Debout propose une action tandis que l’assemblée général du Medef se tient ce vendredi à Bruges.
« Poser le casque »
Didier, sans domicile fixe, clame : « Il faut se bouger le cul pour que les travailleurs arrêtent de dormir dans leurs bagnoles. Un membre du collectif de lutte de la rive droite évoque les blocages de raffinerie de 2010. Blessé lors des affrontements avec la police, il fait un vœu :
« J’ai vécu une mauvaise expérience en allant à la gare Saint-Jean, si vous voyez ma gueule, pourtant j’ai tapé personne. Les policiers, effectivement, c’est leur métier. Malheureusement, c’est pas eux qui contrôlent, ce sont ceux qui les gouvernent. Et les flics, je vais vous dire, ils sont fatigués. Moi, j’aimerais qu’un jour, ils soient en capacité de poser le casque et de dire nous aussi on est fatigués, nous aussi on en a marre, nous aussi nos enfants un jour vont avoir un contrat de travail. »
L’assemblée générale terminée, une centaine de manifestants se retrouve devant le commissariat central de Bordeaux où les quatre personnes interpellées, dont trois seraient mineures, sont entendues. Remises en liberté en fin d’après-midi, elles seront ré-entendues dans le cadre d’une enquête ouverte après la blessure de deux policiers.
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