Caroline Melon est arrivée du neuf-trois pour prendre la tête du Festival interculturel du conte de Saint-Michel, et comptait bien en faire bon usage.
Avec sa bonne humeur, son bagout convaincant et ses envies à vouloir mener les expériences les plus « casse-gueules », elle a embarqué dans son aventure toute une équipe, une population d’habitants et une flopée d’artistes sur un territoire où l’échange s’est révélé naturel et évident.
Alors que démarre la 25e édition de Chahuts ce mercredi, et quelques mois avant son départ, Caroline Melon fait le bilan d’un festival qui veut « produire une pensée collective ».
Rue89 Bordeaux : Vous êtes directrice de Chahuts depuis 2004. En arrivant, vous aviez dit que c’était « la chance de [votre] vie »…
Oui ! C’est dingue quand même. Je suis arrivée ici à 28 ans. J’étais novice dans le milieu. J’avais bossé 4 ans avec une compagnie de théâtre et des petites missions dans des collectivités. On m’appelle pour me dire que cette asso recrute. Il faut savoir qu’en 2004, le budget global était de 60000 €. J’étais la seule salariée. Je travaillais à mi-temps. Il n’y avait pas d’ordinateur. Dans le paysage culturel, ce festival n’existait pas vraiment, il était même regardé avec mépris.
C’était un petit festival mais il y avait un ancrage fantastique dans le quartier. Avant moi, il y avait eu un travail de fond génial.
« L’art est intéressant quand il accompagne l’émancipation vers la liberté »
Ensuite le festival est devenu Chahuts en 2006.
Le festival s’appelait Festival interculturel du conte de Saint-Michel. En arrivant, je me suis dit qu’il fallait un nom poétique.
En général, les projets dans lesquels je me suis investie ont toujours été politiques, dans le sens de la vie de la cité. Et quand je suis arrivée à Saint-Michel, j’ai trouvé ça évident. Je me suis dit que c’était ici que je voulais vivre. Il y avait quelque chose à développer, un potentiel dingue. Il y avait un travail déjà fait avec les associations et, sur la base de cette confiance, il était très facile de bâtir.
J’ai toujours défendu l’artistique et le social de façon combinée. Ma stratégie a été de dire que puisque le social était déjà en place, je devais développer l’artistique. Si le festival est là où il est aujourd’hui, c’est grâce à cet ancrage, à ce noyau solide. Pour moi, l’art est intéressant quand il accompagne l’émancipation vers la liberté. Mon travail, c’est-à-dire celui d’une médiatrice culturelle, a cet enjeu.
Comment avez-vous défini Chahuts dans la discipline des arts de la parole ?
Selon trois paramètres, qui parlent tous de responsabilité. C’est plus une posture d’artistes qu’un champs disciplinaire :
1- La plupart des artistes sont auteurs de leur propre parole. Même s’ils travaillent sur des contes et des légendes traditionnels. Leur responsabilité est de décider de raconter telle chose à tel endroit.
2- La plupart des projets qu’on accueille relèvent de l’adresse directe. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de 4e mur, comme au théâtre. Les arts de la parole s’adressent directement au public, les yeux dans les yeux. Ce qui crée une proximité très forte. Du coup les d’artistes travaillent en écoutant l’énergie qui circule dans la salle.
3- La production d’images mentales par le biais des mots. On sollicite des artistes qui travaillent sur les vocations, il y a très peu de décor. Le conteur définit l’espace de son conte et les spectateurs imaginent les lieux. C’est intéressant de laisser les spectateurs et les spectatrices faire 50% du chemin.
Ouvrir le dialogue
Vous avez toujours parlé de faire un pas de côté. Pouvez-vous expliquer le sens de cette démarche ?
C’est la méthode qu’on a trouvée pour produire un peu plus de sens autour de questions très binaires ou très fermées, celles où tu es pour ou contre, où tu réponds par oui ou par non. Le monde est beaucoup plus complexe que ça. Il y a plein de choses sur lesquels je n’ai pas d’avis ou j’ai 15 avis. Ce qu’on veut avec Chahuts est de produire une pensée collective. Le pas de côté permet d’éviter le « tu es pour ou tu es contre ». Il ouvre le dialogue.
C’est ce dialogue qui a permis la restitution de la place Saint-Michel après rénovation ? Ce fut une étape importante pour vous ?
On savait déjà que le processus de travailler avec les habitants était intéressant. On a commencé sans projet. Il y a eu une bascule, après des nuits à se demander si ce qu’on faisait était bien, lorsqu’on a identifié le besoin d’un rite de passage par rapport à l’ancienne place. On a discuté avec les artistes. On a confié à certains la scénographie avec l’idée d’un ré-emménagement. Avec les propositions, on s’est senti justes dans les contextes qu’on a posés et dans les réponses apportées.
En fait, quand les travaux ont commencé sur la place, on s’est dit qu’on ne pouvait pas ne pas en parler. On nous avait prévenus. On nous avait dit que c’était hyper casse-gueule, que les gens allaient croire que c’était une concertation alors que les travaux étaient déjà décidés. Mais on ne pouvait pas ne pas le faire. On est chez nous. Comment on aurait pu faire semblant et travailler sur autre chose ? Ce n’était pas possible !
Cette expérience a été un aboutissement pour moi. J’ai l’impression d’avoir été au bout de tout ce que je pouvais apporter de créatif autour de ce quartier. C’est finalement l’édition dont je suis la plus fière. Celle de cette année va être forte parce que c’est ma dernière, mais celle de l’an dernier correspond parfaitement à ce que j’avais envie de creuser à cet endroit là. On a pris des risques, parce que c’était nécessaire !
Revenir à la puissance du récit
Votre dernière aura donc un goût particulier ?
Je n’avais pas encore pris la décision de partir avant de construire cette édition. Il y a finalement une continuité dans pas mal de projets comme celui de « L’archéologie contemporaine : Le Monde de demain ». C’est un projet qu’on mène depuis trois ans.
Dans cette édition, nous avons travailler sur deux axes majeurs.
Le premier est celui des récits et de nos premières amours mythologiques. Il y avait cette envie de revenir au conte et à la puissance du récit, à travers la mythologie et la science-fiction. Vu l’état du monde, ce non-sens auquel on assiste et cette violence permanente, il y a un intérêt certain à proposer aux gens de prendre une chaise, de s’assoir ensemble, et d’écouter des histoires. Ces histoires ont traversé les siècles et si elles l’ont fait, c’est qu’il y a une raison. Ce sont des histoires de rassemblement, des histoires pour faire société.
Le deuxième axe tourne autour de la question du politique et des classes sociales. Il est pensé en diptyque avec celui de 2017 (voir encadré). C’est aussi une façon de tracer un sillon pour la personne qui prendra la direction ensuite.
Un mot sur vos projets d’après Chahuts ?
Je suis toujours à fond sur le festival, je préfère donc ne pas encore en parler.
Infos
- Programme et réservation sur le site Chahuts
- Inauguration le mercredi 8 juin à 19h sur la place Saint-Michel (gratuit)
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