De l’impro, des clowns, du yoga… Certains patrons se décarcassent pour améliorer le bien-être de leurs salariés. Mais alors que nous sommes en pleine semaine pour la qualité de vie au travail, celle-ci passe d’abord par le dialogue collectif.
Entre une loi travail critiquée, des grèves à répétition, des situations de burn out, des arrêts maladie, un chômage qui explose… parler de bien-être au travail frise la provocation. Et pourtant, des patrons tentent de progresser en ce domaine. La qualité de vie au travail est même devenue une notion en vogue, presque marketing.
En 2009, avec la loi sur la prévention des risques psychosociaux, et notamment du stress, les entreprises devaient protéger la santé physique et mentale du salarié. Aujourd’hui, elles réalisent que leur offrir de bonnes conditions de travail pourrait booster leurs performances.
On ne va pas se mentir, les démarches ne sont donc pas uniquement humanistes. Quoi qu’il en soit, dans cet univers impitoyable, les bonnes pratiques ont le mérite d’exister. A l’occasion de la semaine pour la qualité de vie au travail, jusqu’à vendredi, l’Association régionale de l’amélioration des conditions de travail (Aract) encourage les entreprises à partager leurs bonnes idées. Et pour celles qui n’en auraient pas, des structures qui entendent humaniser le monde du travail fleurissent.
« Dans ma boite, mon boss nous dit qu’il veut que tout le monde participe aux décisions, on fait des pots tous les vendredis et on prend le café ensemble tous les matins », souligne Sébastien.
Pourtant, ce trentenaire ne se sent plus impliqué dans son agence de communication. :
« A côté de ça, notre patron nous demande des choses à la dernière minute, ne prend pas le temps de nous expliquer ce qu’il attend de nous et s’énerve assez facilement quand on lui présente notre travail. C’est démotivant. »
D’ailleurs, il n’est pas le seul au vu du turn-over au sein de l’entreprise…
Galette des rois ou reconnaissance
« Fidéliser, c’est essentiel, constate Fabrice Cloarec, chargé de mission à l’Aract Aquitaine qui accompagne les entreprises dans le changement, car le recrutement et les formations coûtent cher aux entreprises. » Et ce n’est pas en repeignant la salle café, en programmant des séminaires sportifs ou en faisant la galette des rois qu’on crée de bonnes conditions de travail.
« Les entreprises nous demandent des outils, mais c’est la démarche globale qui est essentielle », insiste Gaëtane Stinglhamber, chargée de communication à l’Aract.
Ainsi, rien ne sert de faire venir un kiné pour soulager les ouvriers viticoles si le château continue de les payer au pied taillé ! C’est toute l’organisation de l’entreprise qu’il faut revoir quand on se lance dans cette démarche.
La clinique Bagatelle connaissait un fort taux d’absentéisme ; elle a voulu se questionner sur les causes au lieu de rester sur le principe du contrôle et de la sanction. La direction a impliqué les salariés dans une réflexion sur les problèmes de rythme de travail, la répartition de la charge…
Elle en a profité pour insister sur la charge de travail supplémentaire qu’impliquait l’absentéisme de certains pour leurs collègues. « Ils ont responsabilisé les salariés », souligne Fabrice Cloarec. En dix-huit mois, l’établissement de santé a vu son taux d’absentéisme baisser de 2 %, selon l’Aract.
Une boulangerie-pâtisserie en Dordogne a voulu renouveler son offre et a réuni toute son équipe autour d’une table pour évoquer des pistes. Les vendeuses lui ont fait part des demandes des clients, notamment de l’opportunité de vendre des sandwichs hallal. Le patron n’y avait absolument pas pensé. La reconnaissance est un paramètre essentiel de la qualité de vie au travail. D’ailleurs une enquête de TNS Sofres révèle que pour 84 % des salariés la reconnaissance est inhérente à la qualité de vie au travail.
Le bien-être rapporte
Mais le sujet est large puisque les entreprises doivent également s’intéresser à l’équilibre vie privée/vie professionnelle, l’autonomie, l’égalité professionnelle, le dialogue social, l’organisation du temps de travail, le sens du travail ou le parcours et les compétences…
« Il y a 10 ans, les patrons disaient que l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle ne les concernait pas, aujourd’hui, ils doivent tenir compte des horaires des crèches, de l’école… », estime Fabrice Cloarec.
Les petites boites redoutent les dépenses en ressources humaines, sans envisager assez les bénéfices d’une telle démarche. Car si on sait effectivement ce que coûte le mal-être au travail – l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) estime le coût annuel du stress professionnel en France de 1,9 à 3 milliards d’euros – on perçoit moins bien ce que peut rapporter le bien-être. Des experts québécois qui se sont penchés sur le sujet évoquent une rentabilité de 2,75 à 4 dollars canadiens par dollar investi dans la santé et la qualité de vie au travail…
« Ce qui a une portée rapide et qui ne coûte rien c’est déjà de réfléchir ensemble à une solution, conseille Fabrice Cloarec. Mais après c’est sûr qu’il est nécessaire de faire des investissements dans la formation, l’équipement… »
Et comme aucune aide publique spécifique n’existe, certains entrepreneurs repoussent l’échéance. Ou n’en ont même pas conscience.
« Pour qu’elle soit vraiment prise en considération, la qualité de vie devrait être inscrite dans les textes. Non pas avec une approche par le risque, comme avec le stress, mais par les atouts. »
Il ne s’agit plus de ne pas se sentir mal, mais de se sentir bien. Vous voyez la nuance ?
De l’impro pour se sentir bien au boulot
Certaines entreprises qui ont du mal à se lancer envoient tout de même des signaux positifs en s’intéressant à des ateliers liés à la cohésion d’équipe, la créativité ou au bien-être tout simplement. Et à Bordeaux, ils commencent à avoir le choix : les structures se multiplient et visent le statut d’organisme de formation pour se faire une place dans les bureaux. C’est le cas de Charlotte Naymark et Baptiste Lafon, les fondateurs de Décalez !, structure de formation par l’improvisation.
« L’impro c’est la gestion de sa place dans le groupe, la prise de parole en public, l’écoute, la créativité, la prise de risques, l’adaptabilité… », énumère Charlotte.
Des compétences très utiles dans le monde du travail, jugent ces deux comédiens. Alors depuis un an, ils démarchent les entreprises et sont plutôt satisfaits : ils ont réalisé 60 jours d’intervention et formé 500 stagiaires. Ils veulent remettre le relationnel dans l’entreprise car c’est, selon eux, ce qui permet de se sentir bien et de rester motivé.
Au sein des entreprises ou auprès de particuliers lors de « Zoom », une fois par mois au Labothéâtre Larousselle (77, rue de la Rousselle à Bordeaux), ils distillent leurs techniques. Les comédiens sensibilisent par exemple au lâcher prise, en demandant aux stagiaires de créer collectivement un dragon avec des objets qu’ils ont sous la main, de danser, d’inventer des histoires ou de recréer des situations de blocage.
Vincent, chargé de communication de 24 ans et participant de la dernière session, estime y avoir compris comment gérer une personne de mauvaise foi ou désamorcer une situation conflictuelle.
Ce type d’initiatives semble positive pour les participants, mais quelles sont les conséquences sur les collectifs ? Pour Charlotte, leur présence participe à une dynamique globale.
« Les budgets formation sont limités et s’ils font appel à nous au lieu de faire une formation en anglais ou en compta, c’est déjà une démarche qui va dans le sens du bien-être de leur équipe. »
Un clown et des massages au bureau
C’est également le sentiment d’Alice Hachet, clown contemporain et créatrice, il y a 10 ans, de la société Penelope Consulting. Elle travaille sur la cohésion d’équipe grâce au théâtre et est intervenue chez Orange, Dior, Masterfoods ou Mercuri International.
« La volonté de modifier l’organisation est une condition pour que j’intervienne. Les dirigeants avec lesquels je travaille ont envie d’améliorer, de transformer, d’avoir plus de fluidité. »
Via ces ateliers, elle fait en sorte d’humaniser les relations, d’apprendre aux salariés à exprimer leurs émotions. Elle estime que ces initiatives plaisent en apportant un grain de légèreté dans ce pesant monde du travail.
Créatrices de la société Le temps pour une parenthèse, Eugénie Ortiz et Christel Dechaux ont quant à elles misé à fond sur le bien-être. Elles font intervenir dans les entreprises masseurs, conseillère en image, coach sportif, spécialiste du stress, professeur de yoga ou rigologue. Une nouveauté qui intrigue car lors de leurs premières portes ouvertes organisées en avril, elles ont reçu une soixantaine de managers et chefs d’entreprise à l’affût d’idées « bien-être » pour leur société.
Ce type initiatives fait tout de même grincer les dents de l’Aract.
« Cela peut exonérer le patron de se poser la question sur l’organisation du travail, met en garde Gaëtane Stinglhamber. Même chose pour la création de crèches d’entreprise, ça ne règle pas le problème de fond ».
Donc avant de penser match d’impro ou massage, commencez par parler franchement de ce qui cloche avec vos salariés.
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