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La relance du terminal du Verdon sabordée ?

Censée exploiter le terminal à conteneurs du Verdon, Europorte a résilié la convention signée avec le port de Bordeaux et le manutentionnaire SMPA. Le modèle économique du projet serait en cause. Un médiateur sera nommé la semaine prochaine par le ministre des Transports. Ce blocage met à mal les projets de développement du grand port maritime.

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La relance du terminal du Verdon sabordée ?

Le terminal du Verdon (photo GPMB)
Le terminal à conteneurs du Verdon (photo GPMB)

La nouvelle a fait l’effet d’un coup de tonnerre sur la place maritime bordelaise. Le 27 mai dernier, nos confrères du Marin révélaient que la société Europorte (filiale d’Eurotunnel) avait décidé de résilier la convention signée avec le Grand port maritime de Bordeaux (GPMB) pour l’exploitation du terminal à conteneurs du sud-ouest (TCSO). Ainsi que le contrat conclu avec SMPA, l’entreprise chargée de la manutention des boîtes sur le site du Verdon.

Après des mois de report de la mise en service du site, initialement prévue en janvier dernier, le cargo TCSO s’est donc pris une torpille qui pourrait bien l’envoyer par le fond. Certes, la filiale de fret ferroviaire d’Eurotunnel s’est empressée de préciser qu’elle restait « attachée à ce projet » et qu’elle recherchait « avec le port de Bordeaux toute formule permettant de le concrétiser ».

Dans la foulée, et après avoir décroché un rendez-vous dans le bureau du ministre des Transports Alain Vidalies pour que la direction de l’opérateur s’explique, la députée (PS) du Médoc Pascale Got annonçait la nomination d’un médiateur, dans le courant de la semaine prochaine (sa lettre de mission est en cours de rédaction) pour tenter de recoller les morceaux d’un projet éparpillé façon puzzle. Ce qui ne sera pas du gâteau.

« Totalement infondées et abusives »

D’abord parce que le PDG de SMPA (Société Manutention Portuaire Aquitaine), Pascal Reyne, tire au canon sur Europorte. Mardi, il précisait à Rue89Bordeaux avoir déposé un recours juridique devant le tribunal de commerce :

« Europorte a dénoncé ce contrat sur des bases totalement infondées et abusives. Ils affirment que mon entreprise n’est pas viable. Je ne sais pas quelles sont leurs motivations mais ce qu’ils disent est erroné, scandaleux. SMPA s’est investie, et beaucoup plus qu’Europorte, dans ce projet. J’ai rempli mes obligations. »

Pour le PDG de SMPA, la responsabilité du blocage incombe à son ex-partenaire :

« En décembre dernier, il y a eu un changement à la tête d’Europorte, avec l’arrivée d’un nouveau numéro deux. Cela a coïncidé avec un changement de politique : ils ont commencé à montrer des signes d’immobilisme tendant vers une préparation de sortie : ils ont arrêté de négocier avec les compagnies maritimes des contrats de manutention, arrêté d’être les coordinateurs du projet en n’assistant plus au réunions du comité de pilotage. Le port a dû les rappeler à l’ordre. Ils ont cessé de communiquer auprès de la place portuaire alors que celle-ci demandait justement à être informée sur les process à appliquer. Il a fallu que ce soit SMPA, donc moi-même, qui présente en lieu et place d’Europorte, le projet TCSO alors que je ne suis que le sous-traitant chargé de l’exploitation du terminal. »

Alors que SMPA, qui a investi 10 millions d’euros dans l’achat et le transfert des équipements portuaires (portiques et cavaliers), ainsi que dans la formation des cadres du personnel de manutention (la Région assurant celle des dockers), avait fini par obtenir un accord avec le syndicat des dockers pour le transfert d’une équipe de Bassens au Verdon, Europorte (qui de son côté a investi deux millions d’euros dans l’achat de locomotives pour le transfert des conteneurs sur Bruges) n’aurait pas joué son rôle, trouver des clients :

« Depuis le 9 mai, j’attends l’escale d’un armateur, précise Pascal Reyne. Dans mon contrat, c’est Europorte qui est chargé de signer des contrats commerciaux pour que les compagnies maritimes viennent au Verdon. Chose qu’il n’a toujours pas faite et qui fait l’objet d’un recours devant le tribunal de commerce. »

Modèle économique non rentable ?

Pour avoir la version d’Europorte sur le scénario du naufrage, il faudra attendre un peu : la direction de la société, notamment Jean-Pierre Comte – contacté par Rue89Bordeaux sans succès – reste muette comme une carpe. Le temps sans doute de peaufiner son argumentaire. Sa décision de résilier – et apparemment de vouloir renégocier – convention et contrat laisse à penser que la filiale d’Eurotunnel a fini par avoir de sérieux doutes sur la rentabilité du projet du Verdon. Ce que reconnaît la députée PS du Médoc Pascale Got :

« Europorte estime que le modèle économique du projet, tel qu’il a été négocié par SMPA, serait très fragile. »

L’élue du Médoc avoue toutefois sa « surprise totale » devant la décision d’Europorte :

« Le transfert au Verdon était acté dans le plan stratégique de GPMB, la Région avait assuré les formations nécessaires, je me renseignais régulièrement sur l’avancée du dossier auprès du président de GPMB (Christophe Masson, NDLR) : lors de notre dernière rencontre, il m’a garanti que le projet irait jusqu’au bout. J’avais demandé au ministère des Transports de suivre l’avancée du dossier. Le choix d’Europorte m’a interloqué. »

Sur la place portuaire de Bordeaux aussi, on s’interroge sur les motivations d’Europorte et sur la faisabilité économique du terminal.

« L’économie du projet a-t-elle été surestimée ou mal estimée ? c’est possible, admet Julien Bas, co-président de l’Union maritime et portuaire de Bordeaux (UMPB). Ce n’est qu’une supposition pour tenter d’expliquer la position d’Europorte […]. Si un projet industriel ne se fait pas, c’est en général pour une raison économique, sauf en cas de contraintes réglementaires, ce qui n’est pas le cas ici. »

Le terminal de Bassens (SM/Rue89 Bordeaux)
Le terminal de Bassens (SM/Rue89 Bordeaux)

Europorte mauvais pilote ?

Spécialisé dans le fret ferroviaire, Europorte était-il le meilleur pilote pour commercialiser le terminal du Verdon ?

« Il n’est pas spécialiste de ce type de projet, analyse Julien Bas. Il n’a pas d’expérience portuaire. La preuve, il a choisi pour les deux volets maritimes du projet deux sous-traitants : STAC (Service Terminal Atlantique Container), basé à Bruges, très connu sur la place et dont le métier est de faire de la gestion de conteneurs ; et SMPA, qui est un peu sorti du chapeau puisqu’il n’existait pas il y a deux ans. »

Le co-président de l’UMPB s’interroge aussi sur SMPA :

« La société s’est créé ex-nihilo pour ce projet-là, avec une toute petite assise financière. Elle aussi n’avait pas directement d’expérience en manutention portuaire. J’imagine que les gens d’Europorte sont de grands garçons : quand ils font un tel choix, ils savent ce qu’ils font. Très honnêtement, SMPA n’avait pas 100 000 euros de capital quand elle s’est créée : quelqu’un l’a aidée, sous forme de garantie certainement. Il n’est pas possible qu’une société qui n’a pas d’histoire puisse sortir comme ça 10 millions d’euros avec 10 000 ou 100 000 euros de capital. Donc elle a dû emprunter, et les banques ont dû demander des garanties qu’elle ne pouvait fournir seule, n’ayant aucune histoire. Donc Europorte ou le port de Bordeaux a dû le faire. »

Il ajoute :

« Je pense qu’Europorte a été certainement surpris par le volet portuaire, parce que c’est un autre monde, avec ses propres façons de travailler, d’appréhender la chaîne logistique. »

Fin de la récré

Les versions divergentes des principaux protagonistes du dossier ont donc amené la députée Pascale Got à taper du poing sur la table :

« Devant ces reports successifs, les discours des uns et des autres qui ne collent pas à la réalité, devant aussi la conduite de ce dossier que j’estime pas satisfaisante, j’ai demandé au ministre Alain Vidalies de siffler la fin de la récréation et de nommer un médiateur, extérieur à l’Administration. […] Une période de médiation va ensuite être ouverte avec tous les interlocuteurs de ce dossier : savoir où le bât blesse et savoir ce que compte faire notamment Europorte. S’il résilie le contrat avec SMPA, il dit être intéressé à rester sur le projet et à ce qu’un médiateur agisse pour voir comment ils peuvent revenir dans le jeu. »

La ministre navigue à vue, d’autant que certains acteurs de la place portuaire sont soupçonnés de rester sous la surface, tel un sous-marin à l’affût. L’opérateur de terminal SEA-Invest par exemple, qui pourrait vouloir reprendre pied au Verdon.

L’arrivée prochaine d’un médiateur laisse Julien Bas dubitatif :

« Encore une fois un projet de ce type ne peut fonctionner que s’il est compétitif et s’inscrit dans la durée. Imaginer que la puissance publique va arriver tel Zorro et tout arranger, claquer de l’argent dans un puit sans fonds, ce serait une énième bêtise illustrant la gestion de l’économie par la puissance publique. Avant de faire de la médiation, il faudra que le médiateur fasse de l’analyse. Si c’est un problème d’économie globale du terminal du Verdon, un médiateur ne servira pas à grand-chose ; si c’est des questions de blocage à droite ou à gauche, il faudra les soulever et s’y attaquer. »

Le port de Bordeaux pourrait-il se substituer à Europorte pour la commercialisation des escales au Verdon, comme le suggérait mardi Pascal Reyne ?

« Pourquoi pas, admet Pascale Got. C’est une éventualité qui fera partie des préconisations. Mais laissons faire le travail de médiation et d’évaluation des problèmes ; on verra ensuite quelles pistes envisager, juridiquement et financièrement. […] Ce n’est pas la peine d’imaginer dans un premier temps qui va remplacer Europorte ; il faut d’abord savoir pourquoi Europorte ne veut plus le faire. Si c’est parce que le projet Verdon n’est pas compétitif, une personne publique ne fera pas mieux. »

Nouvel appel d’offres ?

Pascale Got n’exclut pas quant à elle un nouvel appel d’offres si la médiation échoue :

« Mais la résiliation du contrat peut ne pas être acceptée, et GPMB doit statuer aussi sur la résiliation de la convention, admet la députée. On est dans un timing juridique dont on ne peut se départir. Un nouvel appel d’offre ne pourra pas se lancer rapidement. Je préfèrerais que la médiation amène un accord sur les bases du premier appel d’offres, avec une conciliation qu’il reste à trouver… Le but est que cette activité revienne au Verdon. Si cela doit passer par un nouvel appel d’offres, on le fera, et le ministère y est prêt. »

Ce coup d’arrêt au projet TCSO compromet en tous cas la stratégie de développement du port de Bordeaux. Celui-ci comptait faire du Verdon sa plateforme de relance du fret ferroviaire, reconvertir son site de Bassens et booster ainsi son trafic sur la façade atlantique, scotché en 2015 à 8,5 millions de tonnes. Contacté par Rue89Bordeaux, Christophe Masson reste silencieux.


#Grand port maritime de Bordeaux

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