
Portée à bout de bras par Alain Rousset, la ligne Oloron-Bedous (Pyrénées-Atlantique) est à nouveau en service depuis ce dimanche. 36 ans après la fermeture du Transpyrénéen, ses partisans espèrent une prolongation jusqu’à Canfranc, en Espagne, pour les voyageurs et le fret. Mais dans la vallée d’Aspe dépeuplée, la nostalgie du train côtoie le scepticisme face au coût de ce TER. Reportage.
Jeanne, originaire d’Oloron Sainte-Marie, s’en souvient encore :
« C’était un jour de la fin mai, en 1980. J’habitais le long de la voie de chemin de fer. J’ai entendu le train qui n’arrêtait pas de siffler : “tchou-tchou”. C’était la dernière fois qu’il passait. Alors tout le monde est sorti sur son balcon, et tout le monde chialait, et moi aussi je chialais. »
Aujourd’hui, après deux ans de travaux, la ligne est réapparue d’entre les arbres et les broussailles qui l’avaient envahie. Rêvée dès le milieu du XIXe siècle, alors que l’industrie était florissante dans la vallée d’Aspe, la portion d’Oloron (sud de Pau) à Canfranc (du côté espagnol juste après la frontière) avait été inaugurée en 1928 après un chantier colossal de 24 années. De viaducs en tunnels, culminant à 1200m d’altitude, elle permettait de relier Pau à Saragosse par 312 km de rails parcourus en dix heures.
Non rentable, mal entretenue par la SNCF, la ligne finit par se rompre en 1970 lors du déraillement d’un train de maïs. Seule la portion Oloron-Bedous continue à transporter des voyageurs jusqu’à ce jour de mai 1980, des marchandises jusqu’en 1985.
100 millions à la charge de la région
Mais dès 1986, les partisans du train, habitants de la vallée, écologistes et défenseurs de l’environnement, se réunissent au sein du Comité pour la réouverture de la ligne Oloron-Canfranc (Créloc), en liens avec des homologues côté espagnol (Crefco). Aujourd’hui, leur combat de trente ans – illustré notamment par l’action d’Eric Pétetin contre le tunnel routier du Somport – et en passe d’aboutir.
Grâce, essentiellement, au soutien d’Alain Rousset, alors président de la région Aquitaine (aujourd’hui Aquitaine – Limousin – Poitou-Charentes), qui possède une résidence secondaire dans la vallée.
« On a essayé de le convaincre pendant des années, et finalement en 1998 on a réussi. Mais ça a pris beaucoup de temps à se faire, il a eu tout le monde contre lui, notamment le ministère de l’économie et des finances » raconte Michel Rhodes, de la Sepanso.
Alain Rousset décide donc de faire financer entièrement par la région Aquitaine la première partie, d’Oloron à Bedous, soit un peu plus de 100 millions d’euros pour 24,7 kilomètres. La ligne étant destinée à des TER, c’est également la région qui sera responsable de leur circulation et devra éponger un éventuel déficit en fonctionnement, si la fréquentation n’est pas au rendez-vous- ce que juge probable un rapport de Réseau ferré de France de 2003, qui évoque un « intérêt contestable pour la collectivité ». Des éléments comptables qui amènent les opposants à parler de gabegie.
Du maïs, des Opel, et des pélerins
Ce raisonnement fait bondir Jean-Luc Palacio, président du Créloc :
« Est-ce qu’on demande si la route est rentable ? Soit on pose la question à tout le monde, soit on ne la pose pas. Cela semble fou d’investir autant pour une petite vallée, mais si on raisonne sur les deux grandes régions Aquitaine-Aragon, il y a un intérêt pour faire passer les marchandises. »
Car voilà la vocation principale du Transpyrénéen, selon ses promoteurs : le fret. Depuis le percement du tunnel routier du Somport en 2003, la vallée a vu arriver des camions par centaines chaque jour.
« Un camion qui monte c’est 80 litres de gasoil au 100km. Il y a déjà 14 camions qui sont tombés dans le gave, rappelle Michel Rhodes. Or la vallée est un bijou, où il y a l’ours, des truites et des saumons, alors elle doit être protégée. Ce que l’on veut c’est le report modal de la route vers le rail. »
Pour ses partisans, la liaison transpyrénéenne doit donc servir à transporter le maïs béarnais et les produits chimiques du bassin de Lacq qui prennent aujourd’hui la route. Mais aussi les automobiles Opel qui sortent de l’usine General Motors de Saragosse, le papier de Saica, et d’autres productions espagnoles qui empruntent aujourd’hui les autoroutes à l’est ou à l’ouest des Pyrénées.
« Des entreprises de Saragosse nous accompagnent depuis 20 ans et attendent la réouverture avec impatience » avance Jean-Luc Palacio.
Selon lui, même l’évêché serait pour, afin de faciliter la venue des pèlerins espagnols à Lourdes…
Scepticisme dans la vallée
Mais si la ligne transpyrénéenne est avant tout destinée au fret, alors quel sera son intérêt pour les habitants – 11000 à Oloron, 1500 dans la vallée d’Aspe ? Beaucoup ici ont le sentiment que ce projet ne changera rien à leur quotidien.
« C’est un budget énorme par rapport à ce qui va être servi » selon Aurélie, une jeune femme rencontrée à Bedous.
« Pour nous ça ne va rien apporter » lâche un éleveur de brebis un peu plus loin, tandis qu’une de ses collègues se moque d’Alain Rousset qu’elle compare à « un gamin avec son petit train ».
Le train, peu comptent l’utiliser. Chacun est habitué à prendre sa voiture. Alors ce sont la circulation, rendue difficile par les travaux, ou une rambarde le long de la voie ferrée, qui cache la vue du gave, qui animent les conversations et font râler. On se demande même ce que les trains pourront bien transporter de si important pour qu’on consente à de tels travaux.

En gare de Pau, les TER Aquitaine porte déjà le nom de la gare
transfrontalière de Canfranc qu’ils re-desserviront peut-être un jour (BG/Rue89 Bordeaux)
De l’argent pour la route ?
Dans le bus qui remplace le train depuis 1980 entre Oloron et Canfranc, on ne croise pas plus de 3 à 4 voyageurs : un randonneur, une grand-mère qui va voir ses petits-enfants en Charente-Maritime, une jeune collégienne, et un journaliste-envoyé spécial. Y aura-t-il davantage de monde dans le TER, alors que le train fera moins d’arrêts que le bus et que les gares seront moins pratiques d’accès, à l’extérieur des villages ? s’interroge-t-on.
Le chauffeur du bus, Yves, reconnaît que « la route n’est pas appropriée pour les poids lourds : ils ne peuvent pas se croiser, et pour nous cela demande beaucoup de vigilance ».
Mais beaucoup ici auraient préféré que l’argent du train soit utilisé à la construction de voies de contournement des villages de la vallée.
« Je comprends que les gens demandent ça, mais si on le faisait ça deviendrait un couloir à camions comme dans la vallée de la Maurienne, avec la pollution qui en découle » répond Michel Rhodes.
Sans compter le coût, pointé par le Créloc : la déviation routière Gabarn-Gurmençon, par exemple, coûterait 77 millions d’euros pour 3,6 kilomètres, soit 21 million/km contre 4 millions/km pour la remise en état du tronçon ferroviaire Oloron-Bedous.
« Qu’est-ce que les gens viendraient faire ici ? »
Jean-Luc Palacio reconnaît toutefois que la portion Oloron-Bedous n’a qu’ « un petit intérêt pour la vallée. Elle est surtout utile pour remettre le train dans le paysage et dans la vie des gens ».
« Suite aux travaux, les gens ont vu des trains arriver dans la vallée. Et aux dernières élections régionales, ils ont voté majoritairement pour Rousset », ajoute Michel Rhodes, selon qui les esprits sont déjà bien plus favorables au train qu’il y a quelques années.

Devant l’ancienne gare de Bedous, des membres du Créloc :
Christian Broucaret (par ailleurs président de la FNAUT Aquitaine),
Jean-Luc Palacio, Régine Péhau-Gerbet et François Rebillard (BG/Rue89 Bordeaux)
A côté des méfiants, beaucoup ici « espèrent que [la ligne] va apporter du bon », sans se faire d’illusion. Ils sont en revanche convaincus que le train doit poursuivre sa route jusqu’en Espagne, sans quoi elle resterait un « non-sens ».
« On est sur le fil du rasoir, ici comme partout dans les campagnes françaises. Il nous faudrait cinq mille habitants de plus, des entreprises, sinon ça se vide et ça va devenir dramatique », s’alarme Philippe Perniquoski, conseiller municipal à Bedous.
La vallée comptait 8 000 habitants au début du XXe siècle, contre moins de 1500 aujourd’hui en semaine selon Jean-Luc Palacio.
« J’habite à Urdos, le village est en train de mourir, il n’y a plus que des personnes âgées. Qu’est-ce que les gens viendraient faire ici alors qu’il n’y a pas d’emploi ? » regrette Etiennette, la grand-mère du bus.
Touristes et ferrovipathe
Un pessimisme à nuancer : il y a aussi des jeunes qui s’installent, comme ceux qui viennent d’ouvrir un café-librairie à Bedous, L’Escala. Quant au maire divers gauche de cette commune principale de la vallée, Henri Bellegarde, il espère bien tirer profit du train :
« A condition de bien communiquer, c’est un vrai levier de développement. La région serait déçue si nous ne nous appropriions pas la ligne. »
Il évoque le développement de l’agropastoralisme, l’installation de jeunes agriculteurs, les sports de nature et le tourisme.
Mais les touristes prendront-ils le train ? Et le maïs ? « Si on ne recale pas le prix du transport routier, en lui faisant payer ce qu’il consomme, ça ne marchera pas » assure Jean-Luc Palacio.
Cela dit, militants de la réouverture, natifs de la vallée, nouveaux venus, ferrovipathe ou sceptiques se rejoindront probablement sur l’admiration de cette ligne pittoresque et chargée d’histoire.
« Quand j’ai vu la vidéo du TER qui a fait le premier aller-retour, ça m’a donné la chair de poule, ça m’a rappelé quand j’étais gamin et que je prenais le train pour les vacances, raconte Jean-Luc Palacio. Pour les plus anciens, ça compte. Et même au-delà, le train a marqué le paysage et l’histoire, il a donné un aspect patrimonial indéniable à la vallée. Les gens qui viennent ici apprennent l’histoire du train. »
Il reste encore 33km de rail aujourd’hui impraticables avant d’arriver à Canfranc. Vue la volonté des dirigeants aquitains et aragonais, la seule difficulté consistera à trouver les 400 millions d’euros nécessaires à la rénovation de cette dernière portion – un projet dont le coût est vivement dénoncé par l’opposition à Alain Rousset au conseil régional de Nouvelle Aquitaine.
Ensuite, si le Transpyrénéen ne veut pas vivre une seconde désillusion, il faudra peut-être penser à la politique économique et sociale du territoire avant d’y faire passer un train.
Je regrette cependant que ne soient évoqués, ni la gare internationale de Canfranc (autrement plus impressionnante que celle de Bordeaux-Saint Jean , par ses dimensions et son arcitecture), ni les chiffres de fréquentation en tonnage et/ou en nombre de voyageurs, qu'elle a pu connaître jadis. ..
Par ailleurs, et je cite et rejoins M. Palacio : "Mais les touristes prendront-ils le train ? Et le maïs ? « Si on ne recale pas le prix du transport routier, en lui faisant payer ce qu’il consomme, ça ne marchera pas » assure Jean-Luc Palacio."
Il est certain que la tendance actuelle est plus au transfert des voyageurs du rail vers la route (les bus Macron ou blablacar en sont les témoins ) de part les prix des voyages (prohibitifs souvent pour le train) d'une part, et a cause des choix de nos gouvernants, toujours plus à la botte des lobbys routiers, des géants du BTP et des média de masse (presse télévisée ou papier)....Certains vont bien sûr souligner les grèves a répétition à la SNCF et les trains jamais à l'heure (et à juste titre, dans une certaine mesure, il faut bien le reconnaître), mais ces éléments ne sont-ils pas la conséquence d'une absence de cohérence au sein même de la structure de l'entreprise nationale, qui a su pourtant franchir bien des obstacles depuis sa création en 1937 ?
Souhaitons donc qu'une exploitation rationnelle de cette ligne voie le jour (et pourquoi pas y faire circuler un train touristique (privé ou pas), à l'image du train jaune de la vallée de Cerdagne à l'autre bout des Pyrénées, ou de celle des trains a vapeur de la ligne Saujon-La Tremblade , près de Royan ?
Pour y arriver , la mise en oeuvre d'une coordination entre riverains, associations, élus locaux, entreprises locales et volonté des gouvernants constitue sans doute un enjeu de taille !