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Coulisses de l’été (4) : une fleur rare au Jardin botanique de Bordeaux

C’est sa première et il n’en fera une deuxième que dans trois à dix ans. L’Arum titan, également appelé le « pénis de titan », est en pleine floraison au Jardin botanique de Bordeaux. Ce sera, après Brest et Nantes, la quatrième en France.

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Coulisses de l’été (4) : une fleur rare au Jardin botanique de Bordeaux

L’Arum titan, Amorphophallus titanum, également appelé le "phallus de titan", dans la serre du Jardin botanique à Bordeaux (WS/Rue89 Bordeaux)
L’Arum titan, également appelé le « pénis de titan », dans la serre du Jardin botanique de Bordeaux (WS/Rue89 Bordeaux)

On dirait La Joconde derrière ses poteaux de balisage ! L’Arum titan est la star depuis deux semaines au Jardin botanique de Bordeaux qui lui consacre une place de choix dans sa serre. Et pour cause, il est sur le point de fleurir.

C’est tout !?

Oui, c’est tout. Et ce n’est pas rien quand on sait que cette plante, dont il existe une vingtaine de spécimen en Europe, doit attendre trois à dix ans entre chaque floraison qui est, de surcroît, spectaculaire.

La quatrième floraison en France

C’est justement ce qui fait la fierté de toute l’équipe du Jardin botanique de Bordeaux et des jardiniers du Centre de production végétale de Bordeaux métropole. Semé avec des graines fournies par l’université de Bonn en 2003, ce spécimen va permettre d’inscrire Bordeaux sur la liste internationale de floraison de l’Arum titan en culture :

« Je prends cette floraison avec beaucoup d’émotion, confie le directeur, Philippe Richard, impatient de retrouver son jardin la semaine prochaine à son retour de vacances. C’est tout de même la quatrième floraison en France depuis la découverte de cette plante au XIXe siècle. C’est un phénomène exceptionnel ! »

En effet, chaque floraison de l’Arum titan constitue un événement qui attire les spécialistes, les amateurs et les curieux. La dernière en date s’est produite dans la ville de Meise en Belgique fin juillet dernier. Le public n’a que 72 heures pour observer l’une des plus grandes fleurs au monde. Même si « c’est un peu dommage d’attendre dix ans pour une fleur de trois jours », regrette un couple des Antilles venu découvrir Bordeaux et qui en a « profité pour voir la bête » !

« Plante fragile, Ne pas toucher »

Face à la « bête », Alexis Garnet est plus philosophe et regarde la nature faire son œuvre à son rythme. Le responsable des serres observe la floraison justement parce qu’elle est rare, et surtout parce que c’est sa première.

« C’est très excitant ! C’est même un challenge pour l’entretenir et faire en sorte que les conditions soient idéales pour sa floraison. C’est une plante qui demande beaucoup d’attention. Sur son île d’origine, Sumatra, elle pousse dans un milieu chaud et humide. Dans cette serre, l’hygrométrie est 50% en-dessous. Il faut donc régulièrement arroser autour et maintenir l’humidité. »

Autour, ça veut dire arroser le sol. Parce ce que le jardinier en chef veille à ne jamais inonder le tubercule pour ne pas laisser pourrir la base de son imposante tige, nommée spadice, qui lui a valu le nom de « pénis » ou « phallus » de titan. Bien qu’il soit dressé avec vigueur, la plante est fragile et le public est prié de « ne pas toucher ».

« En fait c’est plein d’eau et il peut se casser net, explique Alexis Garnet. Pour son transport, il a fallu le glisser dans un tube PVC et l’attacher aux quatre coins du pot. »

Un spécimen de 12 ans

En effet, l’Arum titan est arrivé à l’esplanade Linné à Bordeaux le 8 août. Jusqu’ici, il était confié depuis 12 ans par le Jardin botanique au Centre de production végétale de Bordeaux métropole, au Haillan. A son arrivée, il faisait à peine un mètre de haut.

Alexis Garnet prend les mesures tous les jours. Le jeudi 18 août, la hauteur était de 1,38 m contre 1,31 la veille et 1,27 l’avant-veille. Son diamètre a pris 1 cm, pour en être à 27. Le jardinier scrute chaque détail de la plante. Il s’est même inquiété de voir les extrémités sécher de la gigantesque pétale, nommée spathe.

« Rien de grave ! Je suis en relation avec mes collègues de Brest où il se trouve que j’ai fait mes armes et ils me donnent pas mal de conseils. »

L’Arum titan de Brest est justement une bonne référence. Au Conservatoire botanique de la ville, il a fleuri deux fois. La première fois en 2003 et la deuxième en 2009 où l’inflorescence géante a atteint deux mètres de hauteur. En 2014, au Jardin des plantes à Nantes, avait eu lieu la dernière floraison sur l’Hexagone. Pour l’observer, le public devait faire la queue pendant plus d’une heure !

L'extrémité de (WS/Rue89 Bordeaux)
L’extrémité de la spathe avait légèrement séché (WS/Rue89 Bordeaux)

Engouement du public

Pour accueillir les Bordelais, « l’équipe est sur le pied de guerre », prévient Laura Kassen, responsable des collections.

« C’est assez imprévisible de savoir à quel moment l’Arum titan va s’épanouir, ajoute Philippe Richard. Nous savons que cette floraison suscite beaucoup d’intérêt et nous ouvrirons le Jardin le lundi (jour habituel de fermeture, NDLR) si la floraison a lieu ce week-end. Une technicien se consacrera aux explications concernant la plante. »

A peine annoncée l’imminence de la floraison, le public a vite répondu présent :

« Vendredi 12 août, nous avons triplé la fréquentation, précise-t-on à l’accueil. Et tous les jours, il y a plus de visiteurs que d’habitude. Il y a des gens aussi qui nous appellent pour nous demander si la plante a fleuri. »

Sur la page facebook du Jardin botanique de Bordeaux, où sont publiées régulièrement des nouvelles et des photos de l’Arum titan, les Bordelais s’impatientent. Plus de 300 likes pour le premier post, et un commentaire qui annonce l’annulation d’un déplacement pour ne pas rater l’événement : « je rêve de voir cette fleur depuis des années… »

Une chose est sûre, il va y avoir foule pour découvrir et renifler cette fleur unique à l’odeur nauséabonde. Ce fumet de viande pourrie détectable à plusieurs centaines de mètres lui vaut d’ailleurs le surnom de « fleur-cadavre ». Il est censé attirer les insectes qui la pollinisent.

Et après ?

Cependant, la floraison n’est pas tout ! Alexis Garnet confie avoir l’espoir de découvrir des fruits et d’en obtenir des graines. La condition est que la plante soit pollinisée et l’équipe du Jardin botanique envisage de la provoquer avec du pollen congelé. Mais c’est loin d’être simple :

« Nous sommes au mois d’août et c’est compliqué de s’organiser avec d’autres structures, explique Philippe Richard. La plante peut s’auto-polliniser mais c’est extrêmement rare ; elle se débrouille pour ne pas le faire. »

Effectivement, bien qu’elle porte des fleurs femelles et mâles, l’ouverture des premières a lieu 2 ou 3 jours avant les secondes. Mais le directeur du Jardin botanique ne s’en inquiète guère :

« Paradoxalement, comme beaucoup de plantes rares, il y a beaucoup de graines conservées dans plusieurs établissements internationaux », assure-t-il.

Ces réserves veulent assurer la sérénité de l’espèce. S’il elle est rare en dehors de son milieu naturel, l’Arum titan est aussi menacé de disparition par la déforestation de l’île de Sumatra. Il a d’ailleurs été classé comme plante vulnérable par l’Union internationale pour la conservation de la nature. Raison de plus pour admirer cette plante qui prend tout son temps à éclore d’une magnifique fleur éphémère, comme pour offrir à notre époque une éloge de la lenteur et une indéniable leçon de patience et de perfection. De quoi en prendre de la graine.


#Jardin botanique

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