Le spectacle est tout droit sortie de l’imagination d’une bande d’amis qui voulait rendre hommage au 500e anniversaire de la bataille de Castillon, marquant la fin de la guerre de Cent Ans. Mais la fresque théâtrale, qui relate l’épopée du mariage franco-anglais d’Aliénor d’Aquitaine et le dénouement de la guerre entre les deux royaumes, a mis 20 ans de plus à être montée. De petite envergure dans les années 70, c’est devenu un show en pleine air avec cavaliers, combats, cascades, son et lumière, feux d’artifice…
Au pied du château de Castegens, une quinzaine de soirs par été depuis près de 40 ans, les bénévoles font vivre le projet, devant et derrière la scène. Après deux ans d’interruption pour des difficultés financières, dues notamment aux intempéries climatiques et à l’annulation de certaines représentations, le spectacle renaît de ses cendres avec une mise en scène revue et corrigée.
Pourquoi tant de fidèles bénévoles attendent avec impatience la saison prochaine ? Est-ce le retour aux combats de l’enfance, avec des vrais faux costumes et des vraies fausses épées ? Un effet de la saga à succès Game Of Thrones ? Les entraînements aux combats, ou encore la pratique d’une passion, le cheval ?
Car sans être forcément des passionnés de l’histoire régionale, les volontaires, tous adhérents de l’association Castillon 1453, ont été séduits par les prouesses techniques du projet artistique comme par l’aventure humaine qu’il déclenche. Le bataillon de soldats, tour à tour français ou anglais semble s’être amouraché de sa tenue, de ses chants guerriers ou peut être de sa désormais deuxième vie après le boulot.
Vu de loin, le projet ressemble aux jeux de rôles réalistes organisés entre passionnés à Montréal ou fait écho à l’intarissable succès du Puy du Fou. Mais alors que le spectacle vendéen est l’objet d’une récupération politique de l’histoire de France, qu’en est-il de Castillon ? Y parle-t-on de valeureux Français ayant bouté l’Anglais hors d’Aquitaine ?
La nostalgie de l’Angleterre
Pour s’assurer de la véracité des faits et avoir œil global sur le scénario, la Bataille a fait appel à l’historienne Anne-Marie Cocula qui avait déjà travaillé avec le metteur en scène, Eric Le Collen. Elle a étudié pendant douze ans l’histoire de la Dordogne. Pour elle, il était essentiel que la Bataille de Castillon restitue l’esprit de l’époque :
« La Bataille de Castillon marque la fin d’une longue guerre. Elle parle aussi d’un acte de maladresse : John Talbot, le chef de guerre anglais de l’époque, trop impatient d’attendre le reste de ses troupes, se lance à l’assaut de la ville sans savoir qu’il y laissera sa peau, face à des Français moins nombreux mais beaucoup mieux équipés. La guerre de Cent Ans a été longtemps considérée comme une guerre nationaliste car véhiculée comme telle par les historiens du XIXe. Nous avons voulu redonner à cette bataille une dimension autre que stratégique, montrer au public que certains ont eu une nostalgie à égard de l’Angleterre, que les opinions étaient divisées. De nombreux nobles ont appuyé les Anglais pour les intérêts commerciaux qu’ils avaient acquis avec eux. »
Autre nouveauté : l’édition 2016 met l’accent sur le commerce viticole et l’importance du transport fluvial. Enfin, l’équipe a misé sur l’apparition de projections vidéos sur écran géant qui permettent d’authentifier les faits historiques :
« Au milieu du spectacle, reprend Anne-Marie Cocula, nous projetons une version vulgarisée de la guerre de Cent Ans pour toucher aussi le jeune public. Nous l’avons construite à partir de gravures et d’enluminures de l’époque redessinées. »
Spectacle grand format et petites mains
Invités à la représentation du vendredi 5 août dernier, qui démarre à 22h, nous nous sommes glissés dans les coulisses quelques heures avant pour en découvrir les préparatifs.
Après avoir passé les fouilles, état d’urgence oblige, les visiteurs profitent du village médiéval, construit de toute pièce en attendant la tombée de la nuit et le début du spectacle. Les bénévoles s’affairent à la billetterie, aux stands de produits dérivés ou encore en cuisine.
Sophie Mako, l’attachée de presse, m’accueille à l’entrée. Sur son passage, elle dit bonjour tous les 10 mètres. Il y a 570 bénévoles dans l’association, dont à peu près 250 travaillent tous les soirs, et Sophie connaît quasiment tout le monde.
Nous franchissons les barrières pour entrer dans la partie privée du village. Sur notre droite, les chevaux sont en train d’être brossés, harnachés, nourris sous l’œil attentif de Jacky Prunis qui gère la cavalerie de la Bataille de Castillon depuis maintenant 30 ans, en duo avec Marie-Christine Constant.
La gestion des cavaliers est un des plus grands défis du spectacle. Comme les chevaux, ils sont castés puis entraînés toute l’année. Pour assurer une qualité constante, les montures et leurs cavaliers ne se connaissent pas au départ. Cela permet aux binômes d’être interchangeables. Jacky et Marie-Christine doivent veiller au grain en permanence :
« Il faut gérer correctement le matériel, l’équipe, préparer les entrées et les sorties de scène sans faire de blessés », m’explique Jacky.
Il y a parfois entre 200 et 250 personnes qui évoluent en même temps sur les 7 hectares qui composent l’espace de jeu.
Vieux combattants
De l’autre côté de la clairière, l’équipe de restauration termine les derniers préparatifs pour le repas du soir. Alain et Maryse gèrent une logistique gargantuesque :
« Comme nous nourrissons des bénévoles, il faut les récompenser de leur travail, souligne Maryse. Je passe parfois deux ou trois jours à faire les courses pour les repas. Sans compter les aller-retour pour transporter la marchandise. »
Elliott, un des plus petits comédiens du spectacle court entre les tables avec son sourire ravageur. il porte déjà son costume orné d’un petit bonnet de tissu. Ça et là, des danseuses et des lavandières s’installent aux tables parmi les autres, encore habillés en civils. Peinture d’époque anachronique.
Beaucoup de figures de l’association écrivent leur attachement à « la bataille » comme un virus. Ils ont atterri dans cette aventure par hasard ou pour une bonne raison : pour suivre une collègue de boulot, sur les conseils d’un autostoppeur, pour draguer une fille ou encore suite à une petite annonce de casting équestre. Ils sont là depuis 1 an, 13 ans, 16 ans ou 30 ans sans jamais manquer à l’appel. Dans la vie, ils sont étudiants, infirmiers, contrôleur de gestion ou professeur d’EPS.
Charlotte, qui aide à la préparation et à la distribution des repas mais qui joue aussi la sœur du roi, parle « d’une histoire d’amour qui ne s’est jamais arrêtée » :
« J’ai commencé à jouer avec mon mari et ma fille et maintenant je joue avec mes trois petits enfants donc je suis une grand-mère heureuse. Nous sommes les vieux combattants de la bataille. »
Des badges et des chants
Alors que je retrouve Sophie, l’attachée de presse, pour le dîner, je découvre qu’elle joue elle aussi plusieurs rôles dans le spectacle. Ne pas jouer, ce serait presque être exclu. L’assistant du metteur en scène, Jan-Luc Delage, court dans tous les sens pour vérifier que tout va bien. Il crie à la cantonade : « Est-ce que tout le monde s’est fait badger ? » Information primordiale pour connaître le nombre de bénévoles présents sur le spectacle du jour et équilibrer les rôles de chacun.
Après le repas partagé tous ensemble, Eric le Collen, le metteur en scène, démarre les briefings pour chaque clan : les danseurs, les soldats, les cavaliers et enfin les piétons. Chaque soir, il prend ce temps pour changer un détail, préciser un déplacement, confier ses impressions. Une fois la saison lancée, les comédiens ne répètent que très peu. Les changements de mise en scène doivent donc être intégrés et joués dans la foulée. En attendant leur tour, ceux qui ne sont pas encore costumés rejoignent leur camp pour enfiler leurs apparats.
Sous la tente des soldats, on chante pour se donner du courage. Ils sont entraînés plusieurs mois auparavant pour simuler les combats par Ludovic Bourdon, le maître d’armes de la Bataille. Une vingtaine d’entre eux sont même préparés aux cascades. Chaque comédien a reçu, à son entrée dans l’association, un livret avec toutes les consignes de sécurité du spectacle.
Nous ne sommes plus qu’à quelques minutes du début. Tout le monde se met en place. Le personnel de sécurité et La Croix Rouge sont présents à de multiples endroits de l’aire de jeu en cas d’accident. Les régisseurs sont accrochés à leur talkie-walkie. Eric Le Collen monte en régie son, lumière et pyrotechnie pour vérifier les derniers détails, discute avec les artificiers des chevaux parfois surpris par le bruit.
D’une guerre à l’autre
La voix off annonce la bienvenue au public et présente l’association et le travail des bénévoles. Le texte est ensuite diffusé en anglais. Beaucoup de touristes non francophones viennent assister à la Bataille de Castillon. L’expérience visuelle semble leur suffire pour apprécier leur soirée, consacrée à ce Brexit médiéval.
Dans les coulisses, les chevaliers enfilent leurs protège-dos puis leurs différentes épaisseurs et vérifient leur cheval. Pour éviter les allées et venues trop fréquentes, ils ont la tenue du chevalier français et anglais par-dessus. Ainsi ils n’ont plus qu’à quitter une épaisseur dans l’ombre sans sortir de scène. Parfois ils n’ont que quelques minutes pour changer de rôle. Le spectacle bat son plein, ce n’est pas le moment de rater un des tableaux !
Le spectacle modernisé fonctionne désormais en un acte de 90 minutes ponctué par des récits contés et dialogués. Le premier tableau met en scène une rencontre improbable entre Thomas Lawrence (futur Lawrence d’Arabie) qui aurait parcouru à vélo de nombreux sites médiévaux français dont Castillon et Montaigne.
En bord de scène, ceux qui n’interviennent qu’au deuxième acte attendent leur tour. Ils s’imprègnent de la nouvelle mise en scène et commentent. L’assistant du metteur en scène vient les rappeler à l’ordre. Le silence est de mise. Tout l’espace scénique est exploité et les tableaux les plus compliqués sont en train de se jouer. Il y a énormément de monde sur scène dont les soldats qui se battent à coups d’épées et de boucliers et les chevaliers torche en feu à la main.
Pour le dernier tableau, une dizaine de chevaux sont lâchés sur scène en liberté et dirigés à la voix. Ils évoquent poétiquement les habitants de Castillon soulagés par la fin de la guerre et épris de liberté, comme l’explique Anne-Marie Cocula :
« Les habitants de Castillon viennent de vivre une épidémie de peste noire puis un conflit interminable. Ils aspirent à la paix, à quelques décennies de mieux vivre en Aquitaine. On appelle aussi cette période “le beau XVIe siècle”. Cela ne durera que peu de temps puisque avec l’arrivée de François 1er puis la Réforme, les guerres de religions vont commencer. »
Le feu d’artifice éclate pour clore l’épopée médiévale franco-anglaise. Les applaudissements résonnent dans la nuit noire. Les cavaliers rentrent au camp pour défaire leur monture et la nourrir. Chacun y va de son impression. Marie-Christine Constant qui dirige la cavalerie avec Jacky Prunis a un grand sourire :
« Tout s’est bien passé je suis contente, ça a été une belle soirée. »
Sur le village médiéval, tous les comédiens bénévoles font une haie d’honneur au public. Les soldats entonnent leurs chants de guerre pour donner un dernier effet. Leur addiction à la Bataille de Castillon semble bien loin d’être guérie.
Y aller
Les 12, 13, 19 et 20 août 2016
Belvès-de-Castillon – Lieu-dit : La Brande
Tarifs : enfants 12 euros, adultes 23 euros.
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