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La guerre froide des glaciers bordelais

Envie d’une glace ? Trois adresses – « La fabrique givrée », « La maison du glacier », « Bonnie Blue » – se sont ouvertes en trois mois à Bordeaux, et proposent des crèmes et sorbet de qualité. Un seul Bordelais, « M&O », fabrique ses produits sur place.

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La guerre froide des glaciers bordelais

La place Saint-Pierre assaillie d'amateurs de glace (SB/Rue89 Bordeaux)
La place Saint-Pierre assaillie d’amateurs de glace (SB/Rue89 Bordeaux)

Les amateurs de glace vont en perdre la boule. Jusqu’à récemment, la ville de pierre semblait de marbre face aux joies des crèmes et sorbets, et à défaut de lécher un cornet, le Bordelais gourmet devait ronger son frein l’hiver en attendant le lever de rideau estival des deux ou trois enseignes en centre-ville. Puis M&O a débarqué, Ô Sorbet d’amour s’est démultiplié (lire l’encadré ci-dessous), et depuis le 1er mai dernier, pas moins de trois glaciers se sont installés. Points communs : ils ont tous ouverts dans le quartier Saint-Pierre, dans un rayon de 50 mètres, entendent proposer des produits naturels et de qualité, et pratiquent des prix similaires (à partir de 2,60 la boule de glace).

Le plus « (ma coupe est) décalée »

Dernière en date, « La fabrique givrée » a vendu ses premiers cornets ce mercredi 10 août. Derrière la glacière, Christophe Pubert vient à peine de donner l’ultime coup de peinture dans ce salon, qu’il sert des clients entrés par curiosité. Par « choix de vie », 15 ans des allers-retours entre son domicile bordelais et son travail à Paris, cet ancien cadre dirigeant chez des équipementiers sportifs est un franchisé d’une société lancée par trois potes ardéchois, dont la boutique rue du Pas-Saint-Georges est la cinquième en France.

« Je suis plutôt épicurien et le message de la Fabrique givrée me parle, explique Christophe Pubert. Il y a une vraie démarche éco-responsable, qui favorise les filières courtes. Tout est produit dans le laboratoire de Tournon, en Ardèche, avec des fruits et du lait ardéchois, de l’eau de source pour les sorbets, il y a même des glaces végan au lait de riz bio… »

Christophe Pubert (à droite) de la Fabrique Givrée (SB/Rue89 Bordeaux)
Christophe Pubert (à droite) de la Fabrique Givrée (SB/Rue89 Bordeaux)

Parmi la carte de 24 parfums, promise à un renouvellement constant, on retrouve donc des parfums qui sentent bon le sud, tels que citron-basilic ou nectarine-romarin. Et si le glacier ardéchois propose quand même vanille, il fait venir celle-ci de Bora-Bora. Mais comme son nom l’indique, « la Fabrique givrée » se distingue surtout de la concurrence par ses produits (coupés) décalés : burgers givrés (une boule dans du pain brioché aux noix de pécan caramélisées), pots barjots (des verrines mêlant glace et biscuits) ou Mister Dynamite, des sortes Misterfreeze à sucer pour l’apéro (parfums Mojito ou Caïpirinha).

« Le principe de la Fabrique, c’est la glacetronomie, des produits d’exception réalisés de façon artisanale par un grand chef pâtissier, Jérémy Runel », résume Christophe Pubert.

Le plus fait maison

Ce terme de glacetronomie, Olivier Martinez l’emploie aussi, voire en revendique la paternité. Le patron de M&O, ouvert le 31 juillet 2014 au pied de la Grosse Cloche, est il est vrai le seul sur Bordeaux à fabriquer lui-même ses glaces sur place – et à ce titre seul adhérent à la confédération nationale des glaciers de France.

« J’ai halluciné quand je suis arrivé à Bordeaux, il y a 3 ans : à part le Frozen Palace, fermé depuis, tout le reste relevait de la production industrielle, et c’était la seule grande ville de France qui n’avait que des revendeurs de glaces pas de fabricant, raconte ce natif de Fontainebleau, formé à l’éducation sportive à l’environnement, et passé par les Cévennes où il a tenu une exploitation agricole. Or les Bordelais sont très friands de bons produits. Et moi, je suis un bon vivant, je viens de la terre, et j’aime proposer des moments et des mets originaux. »

Olivier Martinez, de M&O dans son laboratoire (SB/Rue89 Bordeaux
Olivier Martinez, de M&O dans son laboratoire (SB/Rue89 Bordeaux)

Des saveurs asiatiques – sésame noir, un parfum initialement commandé par un restaurant japonais, des sorbets citron-saké ou yuzu (un agrume) –, des mélanges fruits et fleurs – mangue-jasmin, litchi-rose-framboise –, des crèmes couleur locale – canelé de Bordeaux –, sans oublier les classiques – vanille bio des Comores… – constituent une carte de 26 parfums.

Après avoir vendu des glaces à Saint-Guilhem-le-Désert (Hérault), Olivier Martinez s’est formé à Bordeaux et concocte ses recettes dans un petit labo, derrière la boutique, sans utiliser toutefois de fruits frais.

« J’achète des purées – naturelles, non pasteurisées et sans colorant -, car c’est compliqué d’avoir une qualité constante et une recette équilibrée avec des fruits frais, à moins qu’ils soient issus de la même récolte d’un producteur. Or je n’ai pas assez de place pour stocker de la matière première brute, il me faudrait un laboratoire trois fois plus grand. »

Le plus bio

M&O fabrique 4500 litres par an, à comparer aux 500000 litres qui sortent du laboratoire d’Ô Sorbet d’amour à La Teste, ou aux 330000 litres de la société ardéchoise Terre Adélice, dont les produits sont vendus en exclusivité à Bordeaux à « La Maison du glacier ». Depuis son ouverture le 1er mai sur la place Saint-Pierre, ses sept salariés ne chôment pas : il y a foule pour déguster – sur place ou à emporter – ses glaces bio (pour la plupart), 78 parfums garantis sans conservateur ni colorant.

« C’est pour ça qu’on travaille avec Terre Adélice, ce n’est pas que du business, ils ont des convictions politiques, explique Anthony Porée, le patron de la Maison du glacier. L’entreprise s’approvisionne en circuit court, c’est bio, mais c’est surtout des bons produits. Je suis tombé par terre quand j’ai goûté la menthe feuille, la framboise ou le thé vert matcha. Il faut que les gens retrouvent l’authenticité de ces goûts. »

Anthony Porée, de la Maison du glacier (SB/Rue89 Bordeaux)
Anthony Porée, de la Maison du glacier (SB/Rue89 Bordeaux)

Après des études de marketing, cet Agenais d’origine, qui a étudié à Bordeaux et Paris et travaillé un temps dans la grande distribution, a voulu renouer avec une vie plus tranquille « dans une ville qui bouge », tout en « reprenant le flambeau familial » – sa mère tenait un glacier au Cap Ferret.

« La glace c’est un achat plaisir. Même quand les gens attendent une demi-heure pour être servis, ils ont le sourire, sortent en famille et apprécient de faire plaisir aux enfants. Et il y a souvent la queue. J’ai aussi dû demander une extension de ma terrasse à la mairie. »

Car « la Maison » fait salon, et compte rester ouverte en hiver, en proposant des crêpes et gaufres bio, à la farine de châtaigne.

Le plus féminin

Voisine de la place Saint-Pierre, dans la très animée rue du Parlement-Saint-Pierre, « Bonnie Blue » offrira aussi à l’automne des crêpes et gaufres maison, avec une chantilly (à tomber)… en plus bien sûr de ses glaces, venues elles de chez Scaramouche, situé à Céreste (Alpes de Haute-Provence). Camille Agostini, qui a ouvert le 12 juillet, s’en explique :

« Je connais l’artisan glacier, Gwendal Auffret, ça fait trois ans que je vais chez lui pour acheter des glaces en vacances, et si je me suis lancée dans l’entreprenariat, c’est parce que je pouvais vendre ses produits, en exclusivité dans la région. Ses sorbets, c’est du fruit à 80%, ses crèmes sont faites au lait cru et aux oeufs bio. Tout est fait avec des produits locaux et de saison, comme le melon ou la lavande de Céreste. Cette année, par exemple, il n’y a pas de cassis car la récolte n’a pas été bonne. »

Camille Agostinie, alias Bonnie Blue (SB/RUe89 Bordeaux)
Camille Agostinie, alias Bonnie Blue (SB/Rue89 Bordeaux)

Avec la touche féminine de sa déco, « Bonnie Blue » se distingue par quelques goûts typiquement provençaux : lait d’amande et calisson, miel de lavande et thym… On a aussi beaucoup aimé carotte-noix de muscade, et un sorbet au chocolat énorme. Nombreux dans la rue, les restaurateurs viennent y chercher des glaces au safran ou au thym, en attendant celle à la truffe du Lubéron, cet automne. Et Camille Agostini, qui a travaillé dans l’hôtellerie de luxe à Singapour et à Londres, prépare des « happenings » avec un pâtissier local. Elle ne s’inquiète pas de la multiplication des glaciers :

« A part M&O et le Sorbet d’amour, il n’y avait pas de bonne glace à Bordeaux, c’était donc intéressant de se mettre sur ce créneau, avec l’afflux de touristes et les Parisiens qui s’installent ici. Que l’on soit plusieurs tire tout le monde vers le haut, c’est une bonne compétition. Et nous avons des produits différents, chaque consommateur peut y trouver son compte. »

Pas de dérive des glaciers pour l’instant, donc : tous se disent contents de leurs résultats cet été. Ô Sorbet d’amour, qui possède en propre un magasin place du Parlement, et deux enseignes en franchisés, assure ne pas avoir ressenti d’effet de ces ouvertures successives, et parle même d’une croissance à deux chiffres pour son glacier de Saint-Pierre – « Pour un achat d’impulsion comme la glace, l’emplacement est crucial », selon son PDG Pascal Hamon. Reste à voir si certains glaciers vont tirer la langue et pourront passer l’hiver.


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