Drôle d’ambiance rue de Grassi. Que ce soit du côté du cours de l’intendance ou de la rue de la porte Dijeaux, des barrières de sécurité et des cordons de policiers bloquent l’accès à cette petite rue où se niche le théâtre Fémina. Il faut dire que ce soir la tête d’affiche n’est pas connue pour son humour ou ses qualités musicales, mais davantage pour ses condamnations pour provocation à la haine raciale, et plus récemment pour l’ouverture d’une enquête pour apologie du terrorisme…
Invité par le mouvement royaliste Amitiés Françaises, et la librairie en ligne ultra-catholique Livres en famille, le polémiste Eric Zemmour revient donc à Bordeaux, plus d’un an après sa dernière visite dans la capitale girondine, dans un théâtre privé, cette fois-ci.
Prévu initialement devant la salle de spectacle, le sitting de la toute jeune association Résistance anti front 33 a finalement été interdit : tout comme ceux du collectif Pavé Brûlant, les manifestants, une cinquantaine, sont priés de rester à l’une ou l’autre extrémité de la rue.
Mais certains ont réussi à déjouer les contrôles policiers. Assises devant le théâtre où les premiers « fans » de Zemmour attendent l’ouverture de la billetterie, un groupe de jeunes femmes se fait alpaguer par un quinquagénaire fier de se déclarer frontiste. Intarissable, il s’en prend avec condescendance à ces « gamines » qui ne « comprennent rien » :
« Zemmour, il dit la vérité, c’est ça qui dérange », poursuit-il sourd à toute discussion.
Interdit à la presse
Ce sera le seul « échange » entre les anti et les pro. A 19 heures les portes de la billetterie s’ouvrent : pour écouter Zemmour, il faut débourser 8 euros et pas question de demander une accréditation : la soirée est officiellement interdite à la presse.
Après quelques tergiversations, je décide de rentrer : les défenseurs de Zemmour exhibent à tout bout de champ le droit à la liberté d’expression, mais refuse d’être écouté par n’importe qui, une incohérence intenable.
Devant un parterre d’environ 500 personnes (800 selon les organisateurs), plutôt âgé et masculin, la responsable de Livres en famille ouvre le spectacle. Elle doit être connue du public car elle ne se présente pas.
Filant une métaphore guerrière, pour parler du travail d’une librairie qu’elle compare à « un arsenal » où l’on peut trouver « toutes les munitions », elle conclut son discours d’un pieux « pour que France et Chrétienté continuent » salué par de chauds applaudissements. Il est 20h et quelques, mais Eric Zemmour ne fera son entrée que plus de 20 minutes plus tard.
Dehors, on entend quelques huées et quelques cris : les anti-fachistes ont dû pouvoir regagner la rue de Grassi. Mais le service d’ordre ferme vite toutes les portes. Dans la salle, le public discipliné attend sagement. Quand le polémiste arrive enfin, flanqué de trois personnes, les applaudissements sont nourris. Certains lui font même une standing ovation.
« Infériorité géostratégique des musulmans »
L’un des trois hommes présents sur scène prend la parole, sans révéler son identité. Comme si chacun savait qui il était, dans le petit milieu de l’extrême-droite bordelaise… Il s’agit en fait de Bernard Pascaud, responsable de l’association Amitiés Françaises, et véritable sosie de Claude Guéant.
Il annonce que la soirée prendra la forme d’une discussion animée par ses deux voisins : l’un qu’il présente comme le directeur de Politique Magazine et de la Nouvelle revue Universelle, à savoir Hilaire de Crémiers, également délégué général du mouvement royaliste la Restauration nationale ; quand au second, on ne saura rien de lui, hormis qu’il est bordelais…
De toute façon, la discussion annoncée n’aura pas lieu. Après un « ce soir on est libres, on est entre Français », en guise de préliminaires, Zemmour s’octroie un long monologue qu’il consacrera à 99% à … l’islam. « Tout à a voir avec l’islam », ratiocine-t-il, évoquant, dans un bavardage pseudo-érudit ponctué de références toutes faites à Rome, Napoléon ou encore l’empire Ottoman, « l’infériorité géostratégique des musulmans », « la conception pathologique des droits de l’homme » ou encore « Coulibaly qui exécute Charlie (sic) ».
Soirée brune
Il tiendra comme ça près d’une heure face à un public plutôt captivé (ou endormi). Il faut dire que Zemmour n’est pas un grand orateur et le discours aussi monocorde que monomaniaque. Seules quelques phrases sont prononcées avec plus de ferveur : comme cette sentence, « l’islam est inassimilable à la France, c’est tout », qui suscite de vifs applaudissements.
Dans la salle, une enveloppe et des feuilles blanches circulent. C’est là qu’il faut inscrire les questions que l’on veut poser au polémiste. Là encore, la mise en scène n’est pas en faveur du débat, de la transparence, ou de l’échange spontané. Anonymes, ces questions, écrites à la main (une quinzaine environ) atterrissent sur les genoux du mystérieux présentateur de la soirée. Il n’en lira que deux, et son voisin, une troisième. Les autres, paraît-il seront données à Zemmour, pour qu’il y réfléchisse….
Le spectacle est fini. Place aux dédicaces. La libraire nous demande de quitter la salle dans la discipline mais aussi de penser à verser un obole… A la sortie, dans l’enceinte du théâtre, un homme me tend une photocopie de l’édito de Politique Magazine dont la Une titre « Péril identitaire » sous une image représentant une femme voilée surmontée d’un musulman écrit à la main en lettres majuscules, rayé d’une grande croix…
Un jeune homme me donne un flyer pour la conférence dédicace de Marion Sigaut, proche du mouvement Égalité et Réconciliation fondé par Alain Soral. Dans la rue, trois jeunes de l’Action française vendent le journal de leur mouvement. La soirée est décidément très brune au Fémina.
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