Derrière l’église Saint-Nicolas de Bordeaux, à deux pas de la place de la Victoire, le restaurant et l’épicerie sociale du Pain de l’Amitié se remplissent un peu plus année après année. Aujourd’hui sous statut d’association, ils sont une émanation de la société de Saint-Vincent-de-Paul. L’organisme de charité est deux fois centenaire et revendique 800000 bénévoles à travers une centaine de pays, dont un millier à Bordeaux.
Henri-Claude Moine, le président du Pain de l’Amitié, raconte les débuts en Gironde de ces actions de solidarité :
« En 1984, il y a eu un hiver particulièrement rigoureux et quelques membres de la société de Saint-Vincent-de-Paul et deux prêtres ont eu l’idée de servir une soupe chaude. »
En se développant, un restaurant et une distribution de colis alimentaire se retrouvent dans un sous-sol, déjà derrière l’église. En 2013, le Pain de l’Amitié se rend à l’évidence : ce n’est pas de gaieté de cœur mais il faut voir plus grand. Des bâtiments en préfabriqués s’installent sur 230 m² dans la courette. La distribution de colis se mue alors en épicerie sociale.
Ouvert tous les midis du lundi au dimanche, le restaurant sert en moyenne 150 repas par jour. Le bilan de l’année passée a été dressé : 37000 repas ont été servi, soit 12000 de plus que trois ans plus tôt.
130 bénévoles
Le repas est unique et pour un euro chaque bénéficiaire prend un plateau garni d’une soupe, d’une entrée, d’un plat de résistance, d’un fromage et d’un dessert. La salle de restau est spartiate mais confortable. De son côté, l’épicerie rend service à 550 familles par mois en faisant payer des produits seulement 10% du prix d’un supermarché. Les produits viennent en grande majorité de la Banque Alimentaire. Des ateliers cuisine et langue française et une halte spirituelle s’ajoutent 1 à 2 fois dans la semaine.
Membre du collectif contre la pauvreté Clarté, le lieu est tenu par un salarié et… 130 bénévoles dont certains, on le verra, sont d’anciens bénéficiaires.
« Certes, le passage ici doit être sympathique, raconte Jean Bullet, nouveau gérant du Pain qui a travaillé dans la restauration collective privée. Mais cela ne doit pas être un fin en soi. Quand ils retrouvent du boulot, on se dit “Tant mieux !”. Une femme en a retrouvé sur une plate-forme téléphonique et vient toujours nous aider dans nos démarches. Même chose pour une infirmière qui se libère le jeudi pour venir. »
Des lycéens et jeunes adultes filent aussi un coup de main soit volontairement soit envoyés par l’agence de service civique Unis-Cité.
Lire pages suivantes les portraits de Pascal, Efombola, Gilles et Zoubida.
Pascal : « J’ai perdu mon emploi parce que j’ai fait un infarctus »
Gamin, Pascal voulait devenir agriculteur mais après avoir bossé dans une cave à vin, il ne s’y voyait plus. Une fois son service militaire effectué en Allemagne, il passe ses permis pour véhicule léger et pour poids-lourd et reprend du boulot dans la cave à vin, pas comme vigneron mais comme chauffeur. Il traverse le département pour aller chercher du rouge dans le Médoc ou à Saint-Emilion. Mais, patatras :
« La boite a coulé à cause d’un gars qui a voulu la moderniser et mettre tout en automatique. Finalement, ça a tué l’usine. Il n’y avait plus d’achat. Alors je me suis tourné vers le bâtiment. »
Et ça l’amusait bien de « casser des trucs et de mettre des murs par terre. Au moins, avec ça pas besoin de faire du sport. » Pendant 7 ans, il joue du marteau-piqueur, coupe du béton, ramasse des gravas, charge des bennes. Jusqu’à son accident.
« J’ai perdu mon emploi parce que j’ai fait un infarctus au travail. Imaginez, je me suis réveillé à Haut-Lévêque. Et mon patron a eu peur. Il n’a pas voulu me reprendre. »
Béquille
Il n’a pas l’air de lui en vouloir pour autant. Le seul droit qu’il a pu obtenir, c’est de toucher le chômage pendant un an. Toujours sous traitements médicamenteux, il fatigue, s’essouffle et ne peut pas porter de lourdes charges. Alors, le voici à 58 ans bénéficiaire du RSA, en attendant la retraite. Le Pain de l’Amitié lui offre une béquille :
« Quand je n’ai plus eu de travail, je suis venu. Mais sinon, je n’aime pas être dépendant des autres. Ce n’est pas une solution. »
Pour obtenir un logement chez les bailleurs sociaux, il frappe aux portes « pratiquement tous les jours » et « à force, ils ont cédé ». Le voilà dans un studio, à déduire les factures sur ses bas revenus, à s’inquiéter d’une consultations ophtalmologique à 60 euros et à rogner sur chaque dépense :
« La vie est difficile. L’argent ne suit pas. Ici, ça m’évite de faire des dépenses en course. Et quand je fais les courses, je prends le minimum… ou je mange chez des amis. »
Efombola : « Je dors dans l’accueil de l’hôpital »
Alors qu’on discute avec Pascal, Efombola ajoute d’une voix douce combien elle aime ce lieu. Son histoire est liée à son pays natal : la République Démocratique du Congo. Elle l’a quitté au début des années 2000, quand la guerre y faisait rage.
Elle savait que son ancien compagnon est venu avec trois de ses enfants à Bordeaux et elle comptait bien les retrouver. Il lui faudra quatre mois. Elle s’est installée, a trouvé un logement social. Fin 2013, elle est retournée plusieurs mois en RDC. Elle nous raconte que sa fille a alors perdu la carte bleue de la famille, et n’a pas trouvé de moyens pour payer le loyer, mais n’en a rien dit à sa mère. Quand celle-ci est revenue en France, la procédure d’expulsion de son logement était déjà en cours.
En juin 2014, Efombola s’est retrouvée à la rue, alternant depuis les nuits à la rue et dans les foyers. En ce moment, elle dort dans l’accueil de l’hôpital Saint-André. Ses enfants de 19 à 24 ont pu trouver une place à la maison des étudiants.
Elle a un petit boulot dans un restau des Capus mais doit venir manger au Pain de l’Amitié depuis son expulsion :
« Tous les jours, je viens. On y mange bien et si on a encore faim on peut en redemander un peu. »
Quand on la quitte, Efombola est au téléphone, parle lingala (ou une autre langue de son pays, on n’est pas spécialiste, on l’avoue) puis écrase une larme et laisse son regard se perdre dans le vague de cette salle de restaurant.
Gilles : « Je ne cours pas après la société »
Les membres du Pain de l’Amitié tiennent à nous présenter Gilles, qui vient ici quotidiennement. Il ne perd pas de temps pour raconter sa vie. Longs cheveux blonds et yeux bleus captivants, il a passé une partie de sa vie à voyager de concert en concert, fan de rock’n’roll.
Ce gars du Nord a bossé comme tourneur-fraiseur en Lorraine dans les aciéries ou faisaient les vendanges dans la Marne à Epernay. Mais avec pour seul intérêt « d’avoir de l’argent pour voyager ». Il partait donc en Suisse, en Hollande, en Belgique, en Allemagne. C’est aussi comme ça qu’il raconte s’être retrouvé à 19 ans au concert de Jimmy Hendrix au festival de l’île de Wight, au sud de l’Angleterre.
En 1980, il rencontre la mère de ses deux enfants.
« Elle m’a dit qu’elle voulait être avec moi pour avoir des enfants. J’ai dis d’accord mais je ne me marie pas. Elle a dit que ça tombait bien car elle ne voulait pas non plus. »
Un deuxième foyer
Axel et Prune naissent deux et quatre ans plus tard. Et, depuis 2008, il est devenu deux fois grand-père. Entre-temps, son foyer s’est décomposé. Au début des années 2008, sa compagne a quitté Bordeaux où ils s’étaient installés pour partir à la Réunion. Il s’entendait bien avec elle mais ne voulait plus bouger. Désormais, si sa fille s’est rapprochée en habitant Bayonne, Gilles s’attriste de cette distance :
« La famille ça manque un peu. Ma petite-fille, je ne connais même pas son prénom. Je ne l’ai jamais vue. »
Sa retraite dépasse à peine les 700 euros. Il s’en contente. Ça fait 10 ans qu’il vit dans une caravane sans électricité ni gaz :
« C’est un choix de vie. Je ne supporte pas d’être dans un cube, d’avoir quelqu’un au-dessus et quelqu’un en-dessous ou bien d’entendre quand les voisins vont aux toilettes. »
Pour se laver, il va au Samu Social. Pour manger, il se réjouit d’aller au Pain de l’Amitié, devenu son « deuxième foyer » où il n’hésite pas à conseiller les nouveaux arrivants. Les copains d’ici lui suffisent. De toute façon, il ajoute : « Je ne cours pas après la société »
Zoubida : « Quand on nous tend la perche, il faut la tendre en retour »
« Lagaff, il m’a fait de la pub mais il aurait pu me faire un chèque de royalties quand même ! »
Zoubida aime bien enchaîner les blagues. Si elle le pouvait, elle passerait tous son temps à aider Le Pain de l’Amitié. Il faut dire que l’association lui a sauvé la mise pendant un an.
A la fin de l’année 2011, un incendie ravage son appartement. Elle trouve place dans un hôtel et surtout stoppe net son activité de restauration pour soirées et animations. Elle perd sa mère. Elle tente d’offrir les meilleures conditions de travail à l’une de ses filles qui passe le bac. Elle essaie de payer les factures notamment les frais de transports pour ses 6 enfants.
« Ça a été la dégringolade. J’avais quelques économies et des bijoux que j’ai presque tous vendus. Mais je n’ai pas sombré, je n’ai pas mis la tête sous l’eau. »
Les colis alimentaires du Pain l’aident à tenir. Trois mois plus tard, elle quitte l’hôtel et s’installe dans un logement social à Eysines, puis bosse dans l’entretien des cabinets dentaires de Bordeaux Nord. Mais pas question de laisser tomber Le Pain de l’Amitié :
« A partir du moment où on nous a tendu la perche, il faut la tendre en retour. D’ailleurs, si tout le monde faisait ça, il y aurait moins de soucis. »
Alors, elle passe un paquet d’heures de son temps libre au Pain de l’Amitié mais cette fois-ci dans les cuisines et pour distribuer les repas. De 9h30 à 17h, elle est au restaurant social et de 18h à 23h elle est à son poste au cabinet dentaire.
« Je viens les mardi, jeudi et vendredi. Mais, avant, c’était presque tous les jours. Ça m’arrive de partir de l’association avec ma charlotte sur la tête et mon tablier autour du cou. »
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