Les audiences sont bonnes pour Fip à Bordeaux. Sa part d’audience a pris 1,7% entre septembre-décembre 2015 et septembre-décembre 2016, d’après le récent sondage commandé par la direction des études et de la prospective de Radio France. Seule RTL a progressé autant sur la même période. La radio musicale et culturelle se classe 8e radio bordelaise, devançant ses sœurs France Info, France Culture, France Bleu, France Musique et Mouv’. Mais ces résultats ne rendent pas le sourire aux Fipettes, les animatrices à la voix suave.
Car à Bordeaux, elles sont appelées à se taire, comme à Nantes et Strasbourg (où l’audience progresse également). Progressivement, les micros des trois dernières stations locales de Fip seront coupés. C’est le projet présenté par la direction de Radio France en cette rentrée 2017. Toutes trois offrent chaque jour douze heures de programmes locaux (ou « décrochages » dans le jargon). Le fonctionnement est particulier : si la musique est envoyée depuis Paris, les animatrices s’expriment bel et bien depuis la rive droite bordelaise.
Ainsi, au moins une trentaine d’infos locales culturelles est déclamée quotidiennement par le timbre voluptueux des Fipettes installées en régions. A Marseille, Montpellier, Paris, Rennes et Toulouse, les émetteurs de Fip ne diffusent que le programme national. Pour la direction, « cette situation atypique crée une disparité entre les différentes villes où Fip est diffusée » décrit le projet d’évolution des locales que Rue89 Bordeaux a consulté. Pour remédier à cette situation, il faut donc en finir avec ces trois stations.
« On veut éviter la casse sociale »
La stratégie d’entreprises prévoit donc de ne pas remplacer les départs à la retraite – une mort lente à un « rythme naturel » minimise le document. « On veut éviter la casse sociale », nous répète Frédéric Schlesinger, directeur délégué aux antennes et aux programmes de Radio France. Les décrochages locaux du week-end disparaîtront les premiers. L’objectif final est de passer de 16 postes partagés entre trois locales (9 équivalents temps pleins) à 6 postes répartis dans 6 villes.
Il resterait alors une Fipette à Bordeaux dont le travail alimentera un agenda des sorties enregistré à Paris. Le projet est déjà bien avancé. A Nantes, un départ en retraite ne devrait pas être remplacé, ce qui mettrait fin aux décrochages locaux du week-end.
« Il n’y a pas de marge de manœuvre en interne. La direction est accrochée à son plan », déplore Muriel Chedotal, animatrice bordelaise et déléguée syndicale CGT de Radio France.
Sur les quatre Fipettes bordelaises, deux pourraient partir en retraite d’ici 2019. Même avec seulement deux salariées à au moins 10 ans de la retraite, il y en aura toujours une de trop. « Ça va être quoi pour elle ? Une mutation obligatoire ? », questionne Muriel Chedotal qui se dit aussi solidaire des trois remplaçantes « qui vivent de nos maladies, congés et délégations » et qui pâtiraient les premières d’une baisse d’activité. « On va s’arranger pour qu’elles n’aient pas moins de cachets », lui répond le directeur de l’antenne qui indique que des mutations seront au mieux proposées aux titulaires mais jamais forcées.
Bouillonnements
Au delà de ces questions d’emplois, la Fipette s’inquiète pour la qualité du service public de la radio :
« L’identité de Fip, c’est une radio musicale prescriptrice culturelle reconnue par tous. Si Fip en parle, c’est que ça vaut le détour. On est le reflet de la diversité culturelle et de ce bouillonnement. On aide vraiment des petits structures, comme le Cailloux, le Théâtre du Pont Tournant, la Boite à jouer (elle aussi sous le coup d’une fermeture, administratrice celle-ci, NDLR), les rencontres littéraires de la Machine à Lire ou au Passeur, des petits lieux qui n’ont pas l’exposition du TNBA ou du CAPC. »
En 2008, Fip Bordeaux avait déjà dû réduire de moitié ses décrochages locaux, passant de 12h à 6h quotidiennes, avant de retrouver son volume horaire initial moins de trois ans plus tard. Seulement, entretemps, Muriel Chedotal se souvient que « Radio Nova s’était placée et nous avait vampirisé nos événements culturels et auditeurs ».
Elle ajoute que « dans le contrat d’objectifs et de moyens 2015-2019, il n’a jamais été dit qu’on supprimerait des antennes. » Le CE de Radio France du Grand Ouest demande donc le retrait d’un projet jugé « inacceptable ».
Pas touche à la pépite
Pourquoi ce revirement de la direction alors qu’en 2015 Matthieu Gallet, président de Radio France, promettait de ne pas « toucher à la pépite Fip » ? Les économies ne sont pas invoquées par Frédéric Schlesinger puisque les trois locales coûtent un million d’euros sur un budget global de 660 millions pour Radio France.
Le directeur des programmes ambitionne un développement national basé sur Internet et la radio numérique terrestre (RNT). Sept web-radios, dont 6 thématiques, existent déjà avec un succès « considérable » puisque Fip est 4e radio française du classement ACPM-Web Radio. Pour la RNT, Fip ouvrirait deux fréquences à Lille et Lyon avec un plan plus ambitieux, bien que ce système de diffusion soit un parcours semé d’embûches, pour ne pas dire un projet tué dans l’œuf.
« Nous devions harmoniser notre fonctionnement vers ce développement national. C’est une décision stratégique mis au profit de Fip. Si dans 10 ans nous couvrons 40 villes, nous ne pourrons pas avoir 3 personnes par ville donc 90 personnes de plus. La stratégie d’une entreprise, c’est mon travail. Choisir, c’est refuser », tranche Frédéric Schlesinger.
Il précise que l’information culturelle locale doit se retrouver sur le réseau France Bleu fort de son maillage de 44 stations locales, bien qu’il admette lui-même que les auditeurs sont bien différents.
Résiste, prouve que tu existes
« C’est une logique implacable » commente Philippe Guihéneuf. Cet auditeur passionné de Fip à Nantes a créé la page Facebook Fip Toujours ! et lancé une pétition il y a deux ans qui approche désormais les 20000 signatures. Selon lui, Fip s’imprégnerait ainsi de la station Ici Musique de Radio Canada. Il faut dire que la directrice des Fipettes, Anne Sérode, a passé près de 20 ans dans la chaîne canadienne.
« On est finalement dans la normalisation alors que la marque de fabrique de Fip, c’est de s’intéresser aux artistes que personne ne connaît, déplore cet acteur culturel. La direction procède à une dévitalisation de Fip. L’objectif est d’en faire une radio musicale française à vocation internationale. Pourquoi pas, sauf que ce n’est plus le Fip qu’on a connu, un acteur culturel local majeur. »
En connaisseur des conflits qui se sont déroulés à Fip, il pense que le projet peut encore reculer :
« Ils ont donc regardé la pyramide des âges des salariées et ils laissent Fip s’éteindre doucement en régions car ils ont remarqué que quand ils y allaient brutalement ils affrontaient les auditeurs, comme lors du Plan Bleu en 2000. »
Muriel Chedotal parie que « le seul moyen pour les faire changer, ce sont les auditeurs, les partenaires culturels et les politiques ». A bon entendeur, salut.
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