On m’avait demandé un « petit » texte sur les groupes rock de Bordeaux : « Qui sont-ils, à part Noir Désir ? »… Du coup j’ai eu un peu de mal à maîtriser mon enthousiasme…
Tout ça pour arriver à la conclusion suivante, même si la liste est très très subjective :
« Bordeaux, Bordeaux… Qu’est ce que j’aime tes groupes dis donc ! »
Bordeaux a toujours fourni un nombre impressionnant de groupes. Grâce à certains lieux d’exception (Le Jimmy et le Zoobizarre hier ; Le Café Pompier, L’I.boat et L’Heretic/Void aujourd’hui), la découverte de groupes hors du commun fut à l’origine d’une formidable source d’inspiration pour beaucoup. Et puis les groupes de la ville, eux-même, en ont toujours motivé de nouveaux, dans un effet boule-de-neige assez unique et constant au niveau national.
Noir Désir est souvent associé dans l’inconscient collectif au « Rock Bordelais » (avec majuscules et entre guillemets). Si le groupe de Cantat et Teyssot-Gay a eu son importance (charisme évident, grosse énergie scénique, engagement sincère), leur musique, gentiment plagiée sur le Gun Club d’abord, puis sur Fugazi ensuite, aura aussi eu la désagréable responsabilité d’une armada de clones peu inspirés, encombrant les ondes, les scènes et le net, depuis près de 20 ans.
Je leur préfèrerai donc leurs contemporains mal-aimés Gamine. Plus « pop » et a priori moins sympathiques, mais pourtant tout aussi sincères et surtout, à mes yeux, bien plus doués.
Mais plutôt que de parler de « Rock » parlons plutôt de Musique au sens large et allons-y !
Sur les pages qui suivent, les titres classés par décennie
Les années 2010
ARNO DE CEA & THE CLOCKWORK WIZARDS : « Surf It Up! », album CD, 2010 (Atelier Machette)
Très remarqué dans le duo frapadingue Stef & Arno, ce guitariste aux allures de bulledog sur scène, fut également à l’origine du groupe noise Antena Tres. Ses derniers projets, sans se défaire de sa belle énergie, travaillent la surf music comme un ébéniste le plus beau des bois brut. En témoigne une sublime adaptation d’Eric Satie.
JFG & THE REGULARS : « Rock’n’roll with the Regulars », album vinyle, 2011
Modestes artisans, à la classe innée et au goût toujours sûr ! Jean-François Grégoire évolue dans un rock à la fois dandy et désabusé. Ses héros underground se nomment Daniel Tracy (Television Personalities), Kevin Ayers, ou Nikki Sudden (Swell Maps). Sa musique mérite, peut-être encore plus que celle des copains, d’être partagée sans modération.
GASMASK TERROR : « Complete Recordings 2004-2010 », compilation CD, 2011 (Flower of Carnage)
Apôtres du D-Beat, qui mélange l’anarcho-punk à la Discharge et le hardcore des origines (en gros du rock très en colère, joué très très vite et très très très fort) ! A voir impérativement en « live » tellement le groupe mérite, par son énergie et sa sincérité, de faire tomber les habituelles barrières de « style » et de « genre »…
VIOLENCE CONJUGALE « S/t », album vinyle, 2012 (Born Bad)
Une histoire qui débute comme un canular. Deux bordelais, doués et érudits, se font passer pour un authentique groupe belge cold wave du début des années 80, avec synthétiseurs vintages et bio au diapason. Même des pointures comme le patron du label Born Bad s’y laissent prendre. Pas vexé, c’est finalement lui qui sort le disque peu de temps après. Au delà de la blague, Violence Conjugale vouent à cette musique, minimale et romantique, un authentique amour, sincère et profond.
STRIP STEVE : « Micro Mega », album vinyle, 2012 (Boysnoize)
Ce jeune bordelais exilé a Berlin, globe trotter DJ et aussi le producteur émérite d’une house music « vieille école ». Terriblement funky et moite, elle suinte le groove par tous les pores de la peau. Et là, c’est vraiment chaud.
SOUL REVOLUTION : « One More Time », album vinyle, 2012 (Soulbeats)
Hip hop, mais aussi rare groove, latin jazz, funk, pop… L’argentin Rodrigo Palma a décidé de ne refuser aucun courant dans ce projet qu’il mène avec le chanteur des Shaolin Temple Defenders. D’irrésistibles raps en espagnol et en anglais, des beats soyeux et de vrais instruments jalonnent cette musique ou le groove, la politique et l’amour forment un patchwork digne des mailleurs moments du Quannum Projects de DJ Shadow et ses amis.
ALBA LUA : « Inner Season », album vinyle, 2013 (Roy Music)
Pop folky, joliment sixties et psychédélique avec modération. Lumineuse et baignée de réverb’, cette musique a quelque chose de céleste dans les compositions autant que dans l’exécution. La voix « féminine » du chanteur y est pour beaucoup. Il y a là un je-ne-sais-quoi de grave et d’innocent à la fois. Une fragilité mais aussi une douce euphorie, complètement hors du temps et des modes.
FRANCOIS & THE ATLAS MOUNTAINS : « Piano Ombre », album vinyle, 2014 (Domino)
Apogée d’une carrière qui mena François Marry de Saintes à Bruxelles, en passant par Bristol, Bordeaux, Ouagadougou… De l’autoproduction au prestigieux label Domino… Cheminant à son rythme, sa pop nomade, acoustique, et électronique, aura finalement réussi à faire le pont entre Dominique A, l’Harmonie Voltaique du Burkina Fasso et Aphex Twin. Bravo.
SWEAT LIKE AN APE! : « Sixty Sinking Sailing Ships », album vinyle, 2015 (Platinum)
Sentir le groove et l’urgence. Marteler le sol d’un pied ferme et élastique. Les yeux fermés, les bras font des moulinets, le sourire est tendu, mais le sourire est là ! Peu importe si cette musique se nomme dance rock ou post punk. Sweat Like An Ape sont quatre garçons d’âges et d’horizons variables. Mais c’est ensemble qu’ils ont le son ! Le son ET les chansons… Et l’essentiel est là.
Les années 2000
PULL : « I am the USA », CD album, 2000 (Alienor)
L’état de grâce de David Lespes (enfant, il s’est fait les dents avec Mary’s Child). Une fraîcheur insensée irrigue et fait respirer cette musique mélodique et accidentée, dont les parrains se nomment Pavement, Dinosaur Jr. et Guided by Voices. Il est aussi le groupe jumeau de Calc.
CALC : « Real to Reel », CD album, 2005 (Vicious Circle)
Julien Pras, fin mélodiste, guitariste inspiré et modeste avec ça, fut le bassiste de Pull alors qu’il développait son propre projet : Calc. De plus en plus pop et arrangés au fil des ans, jusqu’à signer des albums solo aussi délicats que sophistiqués, autant influencés par le folk 60’s anglais que par Elliott Smith (qu’il semble apprécier tout particulièrement). Pras est aujourd’hui à la tête de Mars Red Sky, puissant vaisseau heavy rock 70’s (lignée Black Sabbath) où sa voix d’ange est la garante d’une vraie singularité.
IMPROVISATORS DUB meets THE DISCIPLES : « Dub & Mixture », album vinyle, 2000 (Vicious Circle)
Précurseurs, ils furent les premiers français (un peu avant High Tone et compagnie) à s’aventurer – avec autant de radicalité que de bonheur – sur le territoire du dub roots. Le décès prématuré d’un de ses leaders, Manutension, a mis fin de manière très triste à cette formidable aventure.
METRONOME CHARISMA : « Notre Amour est Assez Puissant pour Détruire ce Putain de Monde », album CD, 2004 (Radar Swarm)
Ce groupe de hardcore juvénile et hurleur, aussi noir qu’il était chaotique, fougueux, et puissant, eut une carrière éclair. Certains d’entre eux furent à l’origine de Year Of No Light qui est aujourd’hui une référence de la scène doom/post-hardcore internationale
CHOCOLAT BILLY : « Mon Père est Ma Mère », album vinyle, 2005
Impossible à capter sur microsillon, la liesse qui se dégage des performances de ce groupe, affilié au collectif « Potagers Natures », est proprement phénoménale. Transe habitée, polkas fantômes, valses mécaniques, évoquant pêle-mêle la joie, l’inquiétude, l’amour, la folie, l’insouciance ou la jubilation, font de cette folle équipe le meilleur candidat au titre du « groupe plus vivant » de la cité. Certains de ses membres évoluent aussi dans Api Uiz.
API UIZ : « Cinq Cent Mille Euros à Mille Deux Cent Degrés », album vinyle, 2013 (Potagers Natures)
Activistes « do it yourself » depuis des lustres (1995 pour être précis), ayant élégamment glissé d’une musique punk improvisée (de cave) dite « free », au zouk noise (de plein air) le plus joyeux qui soit ; ils pourraient être l’équivalent français du groupe néerlandais The Ex.
TENDER FOREVER : « The Soft and The Hardcore », album vinyle, 2005 (K records)
Au-delà du « conte de fée » (la chanteuse solo bordelaise remarqué par un label aussi éthique que mythique, lors d’un voyage aux Etats-Unis), c’est surtout Mélanie Valéra elle-même, artiste spontanée et à fleur de peau, sa pop émotionnelle aux arrangements synthétiques et à la formidable énergie, qui ont su parler à un large public et le toucher dans ce qu’il a de plus intime.
SINCABEZA : « Edit Sur Passage Avant Fin ou Montée d’Instrument », album vinyle, 2007 (Distile)
Très sophistiqué mais toujours accessible, ce post-rock (musique instrumentale aux influences allant de la pop music au jazz) s’est montré aussi ludique et dansant que ses structures furent alambiqués et novatrices.
KAP BAMBINO : « Save », 45 tours, 2008 (Alt-Delete)
Un duo unique. A la fois cas d’école et maître étalon ! Parfois plagiés. Jamais égalés – car inégalables ! Kap Bambino est le plus punk des groupes électro, dans l’attitude comme dans le son. Car les instrumentaux d’Orion (Groupgris) n’ont aucun équivalent dans leurs folles combinaisons. Qu’ils tabassent grave, qu’ils soient drôles ou inquiétants – et parfois les trois à la fois – c’est toujours le même bonheur inattendu. Transcendés encore d’avantage par une Caroline (Khima France) à la présence scénique furieuse et habitée. Ces deux-là sont parmi mes préférés des préférés.
KISS KISS KARATE PASSION : « My Baby don’t Care », 45 tours, 2008
Un accent anglais à couper à l’opinel, et pourtant c’est le chant qui fait la différence. Celui du dessinateur Jean-Louis Marco, avec ce je-ne-sais-quoi d’insolite dans la voix. Une musique proche des Modern Lovers, dans ses rock desserrés, tricotés avec goût, où les orgues glissent sur des guitares slide et où le travail, évident, ne nuit en rien à la spontanéité joviale de l’entreprise.
MAGNETIX : « Nulle autre que Toi », 45 tours, 2009 (Slovenly)
Du garage punk minimal et radical. Un couple batterie/guitare. Le rock’n’roll réduit à sa plus simple expression. Beaucoup de tenue. Même dans leurs moments les plus éthyliques sur scène, les Magnetix tiennent bon le cap d’une musique primitive aussi classe que brutale. Une nette préférence de ma part pour les morceaux chantés en français. Avec l’ajout de deux membres supplémentaires (basse et clavier), ils deviennent Avenue Z, un projet punk synthétique « rétro futuriste ».
JC SATAN : « Satan », 45 tours, 2009 (Shit Music For Shit People)
Premier essai (réussi) d’un duo bordelais/turinois démarré comme une blague. Devenu groupe-machine de guerre, il parcourt les scènes françaises et internationales, fort de son rock épique et unique, marqué par la scène garage, mais développé de manière saugrenue comme une éponge sonique avalant tout sur son passage : Gainsbourg, Sonic Youth, le Gun Club, les Beatles… Quitte a devenir aussi énorme et majestueux. Tel un Tetsuo musical. Le côté sexy en plus.
HELLO SUNSHINE : « s/t », 45 tours , 2009 (Les Disques Steak)
Le temps de deux saisons, cet autre duo guitare/batterie a retourné comme des crêpes tout ceux qui ont croisé sa route. Non pas que leurs amplis étaient plus puissants que ceux des copains, mais la fougue et l’intention mise dans le projet n’a jamais été aussi extrême avant ou après eux.
LE PINGOUIN : « Patinage », maxi vinyle, (Platinum) 2009
Issus du riche vivier Iceberg (Les Malicieux, Cranes Angels, Lonely walk, Strasbourg…), Le Pingouin furent toujours mes favoris du lot : Hip hop/electro pop saugrenu et poétique, il témoigne de l’état de grâce de Pere Dodudaboum, Petit Fantôme et Monsieur Crâne, trio ahuri et inspiré, dont Odezene pourrait bien, aujourd’hui, ramasser les fruits de cet authentique travail de défricheurs.
IL FULGURANTE : « Ragazzze Al Dente », album vinyle, 2009 (Amertume)
Une fois encore, l’album ne rend peut être pas vraiment justice à ce rock malotru, éructé dans dans un italien approximatif, mais complètement fascinant. Ils étaient l’équivalent des Dwarves. Ian, le chanteur fou, vit désormais à Saragosse où il est artiste peintre.
Les années 1990
DECHE DANS FACE : « Zuzu », 45 tours, 1995 (Action Box)
Une batterie faite de cartons, de fût de bière et de caisse de pinard, une guitare archaïque et furibarde. Au-delà du blues, du rock’n’roll primitif, de la country ou du punk, ce duo d’énergumènes mettait d’accord tous les publics. La déglingue universelle. Jérôme, le chanteur, s’est mué au fil du temps en gentleman farmer. Il prêche aujourd’hui le boogaloo et le rhythm’n’blues sous le pseudo Decheman & the Gardener.
FREAKS : « Touch My Tooter »/ »Four Ween Songs », 45 tours, 1996 (Total Heaven)
Seule trace discographique de ce quatuor de rock chaotique, échevelé et fantasque. Aussi bruyant que brillant, il fut bien installé dans son époque. Celle où les maîtres guitaristes se nommaient Sonic Youth et surtout Truman’s Water.
TV KILLERS : « Playing Bad Music Since ’92 », compilation vinyle, 1999 (Dead Beat)
Ces charentais installés à Bordeaux furent les premiers français du revival garage punk instaurés par les américains New Bomb Turks ou les japonais Teengenerate. Rapidité. Mélodies. Maximum Rock’n’Roll. Aujourd’hui les survivants sévissent sous le nom Heartbeeps.
KIM : « Lola on a Bag », 45 tours vinyle, 1999 (Maya label)
Choix très arbitraire, car il est impossible de retenir un disque précis dans la somme incalculable des enregistrements de cet artiste solo. On ne peux plus curieux, Kim s’est penché avec beaucoup de gourmandise – et un grand sérieux – sur à peu près tous les styles musicaux existants. Il a toujours été très inspiré. Il est aujourd’hui installé à Paris et malheureusement, n’a jamais été reconnu à sa juste valeur.
Les années 1980
GAMINE : « Julie Julie », 45 tours, 1984 (Surfin’ Bird)
Revival sixties pop par des dandys précieux, armés de guitares rickenbacker, vêtus de chemises aux motifs paisley, vénérant les Byrds comme les Barracudas. Classe.
KID PHARAON & THE LONELY ONES : « Walking my Way », 45 tours, 1986 (Fu Manchu)
Pour moi, le vrai héros bordelais. Ce fan de Jonathan Richman a conjugué simplicité et sincérité, évidence et talent. Formant et déformant les groupes à la vitesse de l’éclair, faisant peu de cas des modes, tournant délibérément le dos au succès, Thierry Duvigneau a été de la partie pour la seule raison qui compte vraiment au fond, à savoir : les chansons !
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