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A vingt ans, « Les Monologues du vagin » se font toujours entendre

Une nouvelle adaptation, signée Coralie Miller, est présentée à la première édition du Festival Solidaire Causette. « Les Monologues du vagin » fêtent leurs vingt ans avec de nouveaux textes, de nouvelles comédiennes, et une nouvelle mise en scène. Entretien sur un phénomène théâtral.

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A vingt ans, « Les Monologues du vagin » se font toujours entendre

Même si vous n’avez pas lu le texte ou vu la pièce, son titre vous dit forcément quelque chose. « Les Monologues du vagin » est une référence théâtrale et bien plus. Pour fêter ses vingt ans, le texte a été revu et la pièce retravaillée en vue d’une première représentation au Rocher de Palmer, ce samedi 24 juin, dans le cadre de la première édition du Festival Solidaire Causette.

Nouvelle adaptation, certes, mais encore et toujours la même intensité. Cette pièce de théâtre signée Eve Ensler n’en finit pas, depuis sa création en 1996, de contribuer à défendre la condition féminine. Connue dans le monde entier, traduite en 46 langues et interprétée dans plus de 130 pays, elle constitue un pilier du féminisme, de sa naissance et tout au long de ses évolutions modernes.

Pour l’écrire, l’auteure américaine s’est entretenue avec plus de 200 femmes. Le résultat : une série de monologues qui défilent pour raconter abus, viols, mutilations génitales, et harcèlement. Des témoignages tragiques, voire insoutenables, mais aussi drôles et pleins de dérision.

Pour parler à tout le monde

La « version 2017 » est mise en scène par Coralie Miller (qui signe l’adaptation avec Alexia Périmony). Après une version « classique » en 2015 à Lille, où elle a su rendre « la pièce vive et rythmée » selon La Voix du Nord, elle promet « un petit coup de jeunesse pour parler au plus grand nombre, à un public plus large ». Entendez par là que les hommes sont concernés. « C’est important de saisir les choses intérieurs des femmes, physiquement et moralement. »

Âgée de 36 ans, Coralie Miller est passée par des études de sociologie politique à Sciences Po avant un parcours de journaliste. Un passage au festival d’Avignon lui donne le goût du théâtre, pratique à laquelle elle se consacre avec, en parallèle, plusieurs collaborations à des documentaires et la réalisation du sien : « Français juifs – Les enfants de Marianne ». Elle a écrit « Le Journal de ma fille », sa première pièce de théâtre attendue pour 2018.

Avant de voir la nouvelle adaptation sur les planches à Cenon, Coralie Miller a répondu aux questions de Rue89 Bordeaux.

Juliette Lamboley, Rachel Khan et Marie-Christine Adam (toutes les photos sont de © Nicolas Terrier)

Rue89 Bordeaux : La pièce « Les Monologues du vagin » a été créée en 1996, vous étiez âgée de 15 ans. Qu’est-ce que ce texte représente pour vous ?

Coralie Miller : En réalité, je devais avoir une vingtaine d’année quand j’ai découvert cette pièce. Elle est pour moi fondamentale parce que je suis assez clairement féministe, sans être une activiste ou engagée dans telle ou telle association. Disons que je suis une féministe au quotidien : dans ma façon d’aborder la vie, la société, mon couple et dans l’éducation que je peux apporter à mes enfants.

Cette pièce est constitutive d’un féminisme moderne qui se veut rassembleur, qui veut exprimer la liberté des femmes dans un combat positif, même si elle traite de sujets particulièrement graves. C’est une pièce qui évoque un féminisme qui rayonne. C’est là-dessus que je me suis vraiment retrouvée.

Cette pièce est considérée comme un pilier du féminisme. Vous pouvez faire un bilan de ce qu’elle a pu apporter aux femmes ?

CM : Ce que je sais de Marie-Cécile Renaud, l’agent d’Eva Ensler en France, est que, en 1996, il était extrêmement compliqué d’en faire parler dans les médias américains parce que le mot « vagin » était un mot totalement tabou. Elle a eu ensuite la même difficulté en France. Elle s’est retrouvée face à des portes closes parce que personne ne voulait d’une pièce qui emploie le mot « vagin » et qui traite du sujet.

Mais comme elle y croyait vraiment, et elle a eu raison, elle a décidé de la produire elle-même. Cette pièce a contribué à faire que ce mot ne soit plus tabou et à faire que le corps des femmes soit autre chose qu’un objet sexualisé ou considéré seulement pour enfanter.

20 ans après, est-ce que ce texte est toujours d’actualité ?

CM : Il y a dans cette pièce des textes sur le viol dans les pays en guerre. Et on sait combien c’est d’actualité aujourd’hui pour les pays en guerre comme la Syrie. Ça touche toujours une actualité très forte. D’une manière générale, même si le combat de la femme a évolué, il reste beaucoup de choses à faire sur la place de la femme dans les sociétés et sur le rapport au corps.

Pour cette adaptation, on a voulu la réactualiser, avec l’accord de l’auteure bien entendu. On a enlevé quelques textes et on en a ajouté d’autres qu’elle a écrits et qui n’ont jamais été joués en public. Ces textes visent à aborder des sujets qui sont d’actualité aujourd’hui avec, notamment, un texte sur la mini-jupe. Ce texte parle du fait que chaque femme devrait pouvoir porter une mini-jupe sans que cela soit perçu comme un appel au viol. D’ailleurs, il y a une dizaine de jours, c’était la journée de la jupe dans les lycées !

Vous avez réalisé une première représentation à Lille en 2015, est-ce la même que verrons les Bordelais ?

CM : Non. En fait, à Lille, c’était le point de départ de ma création. Marie-Cécile Renaud voulait qu’on redonne à ce texte une nouvelle jeunesse. Comme elle connaissait mon engagement, elle m’a demandé de faire ce travail. On a fait un test à Lille avec une vingtaine de représentations. A partir de ce coup d’essai, on a décidé de prendre le projet à bras le corps, de le coproduire, et de le resserrer et de réintégrer de nouveaux passages. C’est donc la première fois à Bordeaux que cet ensemble est montré, dans une mise en scène qui a aussi été revue.

Qu’est ce qui a changé ?

CM : On a enlevé trois textes, et on les a remplacés par trois nouveaux. Il y a des nouvelles actrices. On a fait passer des auditions et on a eu des centaines de candidatures ; c’est pour dire à quel point ce texte suscite un intérêt. Au final, on a auditionné une cinquantaine de personnes qui nous ont permis de constituer ce trio.

Pourquoi ce trio ? Marie-Christine Adam, Rachel Khan et Juliette Lamboley.

CM : Ce qu’il faut savoir, à la base, l’auteure demande d’avoir 3 femmes de 3 générations différentes, de 3 énergies différentes. Elle a demandé aussi que ce ne soit pas ethnocentré ; c’est-à-dire qu’il y ait une personne qui représente une diversité. Rachel Khan est cette personne, issue d’un métissage très intéressant puisqu’elle est d’une mère d’origine polonaise et d’un père d’origine africaine.

Pourquoi ces trois comédiennes ? J’ai envie de vous dire que ç’a été une évidence. Nous avons d’abord auditionné chacun candidate en solo. Après, ce trio est arrivé sur scène et ce fut une évidence. Il y a eu tout d’un coup quelque chose qui s’est fait entre ces trois femmes, bien qu’elles soient d’âges, de parcours, et d’horizons extrêmement différents. A la première seconde, elles ont su jouer ensemble comme si elles se connaissaient.

A Lille, on a parlé de mise en scène « vive et rythmée ». Qu’en sera-t-il à Bordeaux ?

CM : La mise en scène, j’ose espérer qu’elle soit tout aussi dynamique. Nous avons mis en scène le texte sur la jupe sur une musique de Ganood qui nous a permis de faire le texte en rap. C’est le genre de choses qui n’existait pas et qui contribue à une certaine modernité.

Après, la vraie différence est sur l’esthétique du spectacle. J’ai veillé à ce que chaque texte soit conçu comme un tableau visuel. Il y a eu un très gros travail sur les lumières, et aussi un travail sur les costumes, les décors, et les postures de chaque comédienne. Nous avons fait aussi un très gros travail sur la musique. J’ai choisi d’insérer des musiques sur les textes comme on peut le faire au cinéma. Pour créer de l’émotion. Je ne veux pas intellectualiser, je veux faire ressentir.

Le spectateur ressentira quoi alors ? De la gravité et du tragique, ou de la dérision et de la légèreté ?

CM : On est moins dans la légèreté qu’avant. Ce qui est du au choix de textes engagés. Nous avons ajouté celui sur les mini-jupes comme je l’ai dit, il y a aussi un texte sur les transsexuels et un texte sur les femmes battues. Nous avons enlevé les textes qui étaient un peu plus légers. Ç’a été un choix d’aller plutôt dans une direction qui pousse à l’engagement et l’émotion, plutôt que de rester dans le rire. D’habitude, on dit qu’on passe du rire aux larmes, ce passage est un peu plus fort dans cette nouvelle adaptation.


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