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Expéditions légères : #3 En battue

Rassemblant une scientifique, une réalisatrice, un écrivain et deux accompagnateurs, l’expédition Alosa alosa, utilise le kayak pour suivre le parcours migratoire des aloses entre leur lieu de naissance et l’océan.

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Expéditions légères : #3 En battue

J’écris ce billet en léger différé. Ma première tentative, à minuit, après une longue journée de  chaleur et de navigation, l’arrivée vespérale à Colayrac-saint-Cirq, le montage du bivouac sur l’épaisse moquette herbue de la berge, le bain moussant dans la Garonne, le repas bio, savoureux, généreux, chez Tilda Cassan, s’était soldée par « hfdsngtqpàartbnQ G » : ce que produit une tête échouée sur un clavier.

Le sommeil est un adversaire Janus aussi intraitable dans son refus à se donner – la veille au soir par exemple dans la tente d’Éric et de Françoise – que dans ses injonctions narcoleptiques. Et sans doute n’avons-nous pas les mêmes armes pour lutter contre la fatigue. Au réveil, un peu amer, la marque des touches sur le front, je me souviens de Théodore Monod, de son récit, dans Méharées, des heures conquises sur la nuit, pour la tenue du journal, le classement des échantillons soustraits jour après jour au désert.

Pour ce qui nous concerne, ce ne sont pas les prélèvements qui auront ralentis notre progression ou alourdis nos kayaks. Aucun cadavre de grande alose – mortes, comme le veut leur destin après un dernier effort reproductif – n’aura été récolté sur les six frayères traversées dans la journée. Les visons, les hérons, les corbeaux, les courants auront été plus prompts à se saisir des quelques dépouilles encore confiées par l’espèce au linceul fluvial. Seuls trois silures en état de décomposition avancée auront capté notre attention. Un regret pour Françoise.

Certes, comme nous l’avait rappelé Christelle Pezet, chargée de mission à la Réserve naturelle de la frayère d’alose lorsque nous l’avions suivie deux semaines plus tôt pour une nuit de comptage des bulls – quinze recensés – à Aiguillon : « zéro est une valeur ».  Mais une valeur de peu de poids en l’occurrence face à la richesse des données qui auraient pu être extraites des migrateurs défunts. De leur otolithe, plus précisément. En analysant cette concrétion d’aragonite située dans leur oreille interne, Françoise sait en effet reconstituer une bonne partie de leur parcours de vie, les étapes de leur aller-retour de sept ans entre frayères et océan. Ceci sans devoir occire d’individus vivants ou les équiper de coûteux émetteurs.

Zéro bull, zéro sommeil, zéro cadavres, zéro blog, l’expédition s’ouvrirait-elle par un fiasco ? La bonne mine de l’équipe au moment du départ, le matin du troisième jour, laisse à penser qu’il n’en est rien. Il a dû se passer autre chose.


#Alosa alosa

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