Entrer dans une prison n’est pas anodin. Je l’ai fait plusieurs fois, dans celle des femmes à Rennes, l’ancienne maison d’arrêt de Poitiers, la prison de la Santé à Paris où, pendant un an et une semaine sur deux, je rencontrais des hommes sans-papiers, et le 16 mars dernier la maison d’arrêt de Gradignan.
C’est chaque fois la même émotion, les mêmes couloirs déserts où les murs bruissent de silences douloureux, de blessures secrètes.
Hélène (des Ligneris, de la librairie La Machine à Lire, NDLR) et moi avons eu du mal à trouver l’entrée, nous tournions autour d’un mystère et je pensais que c’était ça aussi la punition, l’exil forcé, le retrait du monde. J’allais pénétrer une île presque clandestine, en quelque sorte perdue, habitée par des naufragés qui, comme tous les naufragés, ne l’avaient pas choisie, même s’ils en avaient pris le risque.
Ces rendez-vous s’avèrent toujours compliqués bien que prévus très à l’avance, comme si le soudain mouvement dans les murs immobiles troublait une paix mensongère. Puis, des silhouettes se profilent enfin. On serre des mains, on tente un sourire. C’est important le sourire, c’est comme ouvrir en grand les fenêtres, pour que les corps se détendent, se déploient dans le surgissement de l’extérieur, que les mots puissent venir.
Ce matin-là, ils étaient une quinzaine, femmes et hommes, tous jeunes sauf deux dont les visages accusaient les marques de la vie. Cette mixité provisoire était rassurante, elle mimait une sorte de retour à la vraie vie, créait un climat d’apaisement, même s’il serait de courte durée. Ne pas oublier la vraie vie, jamais.
Un lien à travers la lecture
Presque tous avaient lu un ou deux de mes romans, ainsi des liens étaient déjà tissés, avant même que viennent les mots. Ils savaient plus de choses sur moi que moi sur eux, mais l’essentiel était là, un lien à travers la lecture.
Ne rien savoir d’eux permettait cette spontanéité, c’était bien ainsi. Les échanges se déroulèrent avec beaucoup de naturel, une certaine empathie se tissait peu à peu. Un seul, en retrait, silencieux et le visage figé de douleur, a éprouvé le besoin ou l’envie de se confier à l’une d’entre nous juste avant la séparation. J’y ai vu le signe bouleversant de ce qui s’était installé lors de ce rendez-vous éphémère, la possibilité de n’être que ce que l’on est, la force de le dire, de s’entendre le dire. Mais écrire n’est-ce pas aussi un aveu permanent ?, un dialogue avec l’autre ?, une tentative de faire encore partie du monde même au fond de sa solitude ?
En fin de séance, les petits groupes spontanés auxquels nous participions, allant de l’un à l’autre, s’entretenaient sur la difficulté d’écrire puisque certains en avaient l’envie, voire le besoin, sur la solitude qui est notre lot à tous, mais la leur d’une violence singulière et permanente.
Lorsqu’ils sont repartis, le silence était encore rempli de tous ces regards, de tous les mots prononcés, de tous les sourires parfois proches des larmes.
Si j’accepte de participer à ces rencontres, ce n’est ni par compassion, ni pour glaner quelques idées d’écriture, simplement je crois avoir accès à la vérité fragile de nos vies. Eux, ont mis les leurs en péril. Leur difficulté est sans doute d’être face à des actes dont dépend désormais leur destin. C’est peut-être aussi leur chance, celle de se sentir responsables de leur vie. Je crois modestement que ces rencontres peuvent les aider.
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