C’est Boris qui me le fait remarquer – la houle lactée creusée par un vent contraire au courant balaye alors régulièrement le pont du kayak double, les embruns lumineux s’incrustent jusque dans nos bouches – ce goût familier qui chantait depuis quelques minutes sur mes lèvres sans trouver le chemin de ma conscience : c’est le sel !
Depuis combien de temps sommes-nous passés de l’estuaire tidal, étendue soumise aux mouvements des marées, à l’estuaire saumâtre, la zone saline ? Un jour ? Deux jours ? Davantage ? Les capteurs que nous remorquons depuis dix jours pour enregistrer l’activité photosynthétique, la présence de pesticides et l’évolution de la température, ne sauront nous le dire.
Mes propres senseurs l’auront situé quelque part entre Pauillac et Saint-Estèphe ; quelque temps après ce départ de rêve au point du jour, dans le chemin clignotant rouge /vert des Phares et balises et l’orange évanescent d’un ciel sans nuage. Le sel annonce de nouvelles perceptions : l’ouverture océanique, la possibilité d’un horizon circulaire sans berge ni littoral.
Car ici même la saveur de l’alose change. C’est ce que nous disent les frères Bosc, pêcheurs retraités de Saint-Christoly-du-Médoc auxquels nous sommes arrivés par l’enchainement heureux des rencontres qui nous porte depuis Pauillac. Albert et Jean-Louis ont connu cette grande époque où les mareyeurs avisés de Bordeaux envoyaient chercher chez eux le poisson, vif et gras, capturé dès la fin de son errance maritime. Au commencement de son jeune. A son entrée dans l’estuaire.
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