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Expéditions légères : #16 Dévorée

Rassemblant une scientifique, une réalisatrice, un écrivain et deux accompagnateurs, l’expédition Alosa alosa, utilise le kayak pour suivre le parcours migratoire des aloses entre leur lieu de naissance et l’océan.

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Expéditions légères : #16 Dévorée

(© Mélanie Gribinski)

On a mangé la grande alose. Cette alose-estuaire, cette alose-fleuve, ce paysage splendide et fragile dont il ne reste que l’arête. On l’a dévorée à coups de pagaie, constatant kilomètre après kilomètre, témoignage après témoignage, l’accumulation vicieuse des facteurs aggravants : obstacles artificiels, disparition des gravières, pompages agricoles, température de l’eau élevée, niveaux et débit anormalement bas, ruissellements chimiques, surpêche, nouveau prédateur.

Seul le bouchon vaseux, cette masse de limon floculé en suspension dans une eau appauvrie en oxygène – dont la tendance est plus à l’expansion qu’à la résorption – ne se sera pas montrée, n’aura été que brièvement évoqué par nos interlocuteurs. On s’étonnera difficilement de ce que, dans la continuité Garonne-Gironde, Alosa alosa ne soit pas la seule espèce menacée de disparition.

Les bulls reproductifs sont devenus rarissimes, la rivière ne s’argente plus des montaisons d’avril, et les quelques milliers d’individus restants dans le Golfe de Gascogne semblent déroutés par leur faible nombre, hésitant dans la trace à suivre dès leur arrivée à BXA – la bouée d’atterrissage mouillée au large de Royan. Comprendre mieux cette dissolution brutale, démêler ses causalités, tenter peut-être d’en limiter les derniers effets, est la tâche douloureuse de Françoise Daverat et de ses coéquipiers de l’Irstea.

S’il subsiste un brin d’espoir pour la préservation, ce n’est pas en Adour, Garonne, Dordogne ou Loire, relève Françoise, mais dans des cours d’eau plus septentrionaux comme la Vire, en Normandie, où elle pourrait se réfugier en attendant des jours meilleurs pour, un jour peut-être, se redéployer.

On a mangé l’alose alose. Au temps de l’abondance, en Gironde, on en faisait des bocaux, huile et citron, pour l’année, ou des barbecues aux sarments ; on la fêtait comme une sainte. Il y a quelques semaines, juste avant de partir pour l’expédition, j’ai eu la chance de me délecter d’une alose farcie d’oseille et bardée de lard. Il s’agissait probablement d’une alose feinte, d’une alosa fallax, d’une gâte comme on dit en gascon, avec des arêtes plus nombreuses, des branchies moins fournies et dont la capture est encore autorisée dans l’Adour.

Son goût, l’association avec l’oseille, avait alors réveillé un triple souvenir remontant au début des années 2000 : le spectacle inattendu de cette barque dérivant avec son filet à aloses devant Cap Sciences, en plein Bordeaux ; le bel et grand spécimen que m’avait offert Jean-Claude Pénichon, l’un de ces dernier pêcheurs, à l’issue d’une journée de travail partagée avec lui ; le succès (sans lendemain) que la pièce, cuisinée selon les conseils du professionnel, m’avait valu au repas de quartier. Saveurs perdues.


#Alosa alosa

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