Après Cognac, voila que Bordeaux donne la gueule de bois aux acteurs de Brâme. Lors du festival Coup de Chauffe, en septembre dernier, le très droitier syndicat de police Alliance avait jugé dans la presse locale « inadmissible » certaines scènes de la déambulation situationniste. Il réclamait même l’intervention du préfet contre ces artistes qui aiment bien mettre le bordel dans l’espace public, histoire de dénoncer « L’État sécuritaire et autoritaire »…
Brâme était donc attendu au coin du bois (désolé…) à Bordeaux. Samedi, une soixantaine de spectateurs se sont élancés des quais de Queyries pour une déambulation entre le jardin Botanique et Darwin. Et la compagnie AlexM a de nouveau reçu la visite de policiers, suite à la plainte d’un voisin pour attentat à la pudeur. Il faut dire que la performance contient quelques scènes de nus (qui ne peuvent cependant être pénalisées, puisque le public et les riverains sont censés en avoir été informés).
Mais ce n’est pas la maréchaussée qui inquiétait le plus Alix Montheil, le responsable de la troupe corrézienne. Après 18 représentations dans les festivals de théâtre de rue de la France entière, Brâme a pour la première fois dérangé au delà des espérances de la compagnie. Et celle-ci a décidé d’annuler la représentation prévue dimanche après-midi, pourtant complète – 150 personnes (dont Rue89 Bordeaux) devaient y participer pour « débusquer le sauvage en eux ».
« Samedi, on s’est fait caillasser, et on a reçu des tomates pourries et des œufs sur plusieurs scènes, raconte Alix Montheil. C’est la première fois que cela nous arrive. Quel les gens n’aiment pas, OK, mais on n’avait encore jamais rencontré une telle hostilité. Personne n’a été blessé, mais on a pris peur, d’autant que notre régisseur, qui habite le quartier, nous a dit que cela risquait d’aller plus loin demain (dimanche). »
Vision étriquée
Programmateur de la performance, le FAB (festival des arts de Bordeaux) assure pourtant avoir fait du porte à porte et de l’affichage pour prévenir les riverains de la tenue dans les rues du quartier d’un spectacle un peu particulier. Le public est en effet littéralement invité à chasser les comédiens, avec de (fausses) armes, tirant de fausses balles…
Un habitant nous montre d’ailleurs un panneau « battue en cours », le jugeant « un peu provocateur », sans voir toutefois de problème à la tenue du spectacle, malgré les coups de feu entendus et les questions que ça suscite. Un autre avoue s’être engueulé avec une personne chargé de fermer sa rue à la circulation, au moment où il devait accompagner son enfant à une activité, et refusait de le laisser passer.
« On a senti qu’on dérangeait, poursuit Alix Montheil. On coupait partiellement la route, et les gens ne se sont pas demandés pourquoi. “Je rentre du boulot, je veux accéder à mon parking, le reste je m’en fous”. Moi c’est quand mon quotidien est dérangé que j’avance, d’autres personne ont une vision plus étriquée. »
Un point de vue que confirme une riveraine, évoquant la pétition lancée par les habitants d’une résidence contre les concerts d’ « Allez les filles ! » quai de Queyries – un dérangement qui intervient deux ou trois fois dans l’été. Mais selon le responsable d’AlixM, « beaucoup de bénévoles du spectacle ont aussi ressenti ces tensions ».
Broche à connards
Et celles-ci se sont exacerbées lors de la scène de la « broche à connard », où la troupe fait griller un de ses personnages – un CRS, une Femen, un Arabe ou un clown. Samedi, c’est ce dernier qui y est passé, comme un symbole de la culture en train de brûler. C’est à ce moment là que les sept comédiens ont essuyé des jets de cailloux et des graviers. Puis, plus loin, envoyés à une dizaine de reprises depuis une haie, des œufs et des tomates, « comme ceux qu’on jette sur les mauvais comédiens », sourit amèrement Alix Montheil :
« J’ai cru que c’étaient des blagues du public, mais pas du tout. On n’a pas bien vu qui faisait ça, sans doute des jeunes du quartier qui s’ennuient et n’appréciaient pas qu’on vienne sur leur territoire. On s’est aussi fait voler quelques trucs, en guise de représailles. »
Le crève-cœur pour le metteur en scène, c’est surtout de ne pas avoir pu échanger avec ces habitants, « qui ne comprennent pas qu’on a les mêmes choses à défendre » – il évoque notamment ces graffitis contre la gentrification du quartier sur une maison vouée à la démolition.
« A quoi bon jouer dans cette situation, pour un cercle de gens qui ont payé leur place, si on n’a pas de relation avec le quartier ? On s’est senti téléportés ici, alors que les organisateurs du FAB pensaient qu’il n’y aurait aucun problème. On est donc venus les mains dans les poches. Ce n’est pas la première fois qu’on se frotte avec des riverains, mais on n’avait joué jusqu’ici que dans des lotissements : on avait affaire à des réactions individuelles, pas collectives. »
Rideau
Alix Montheil s’interroge donc sur le choix du lieu par le festival, et sa préparation du terrain. « Mais le FAB n’existe que depuis 2 ans et la propension à investir l’espace public est très nouvelle », reconnait-il par ailleurs. Il n’était en outre pas question d’encadrer le spectacle par un imposant service d’ordre, voire par la police, un remède qui aurait été pire que le mal dans le quartier, et tellement contraire au message du spectacle.
« On n’avait pas de service de sécurité car ce n’était pour le coup pas obligatoire, ajoute Sylvie Violan, directrice du FAB. On vit une époque très sécuritaire en ce moment, et quand par hasard il n’y a pas d’obligation, je ne l’impose pas. Et cela n’aurait pas changé grand chose. »
Sylvie Violan aurait cependant souhaité que la deuxième représentation prévue ait eu lieu, dans un contexte qui aurait selon elle été forcément différent.
« Mais ce qui s’est passé lors de cette représentation super tendue les a angoissé, et face à ce qu’ils ont pris comme un sentiment d’hostilité générale, on n’a pas voulu retenter. »
Pour la directrice du FAB, l’affaire n’a rien à voir avec celle du QG du festival, initialement prévu au Hangar 27 des Bassins à flot, mais dont les commissions de sécurité de l’Etat ont refusé l’ouverture au public. Après l’annulation de Sous la toile de Jheronimus, suite à la blessure d’un artiste, c’est toutefois un nouveau coup dur pour le festival. Mais c’est aussi le revers d’une programmation osée, qui n’hésite pas à bousculer le public, et dont les spectacles auxquels nous avons pu assister jusqu’à présent sont (presque) tous d’une qualité remarquable.
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