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Une coopérative funéraire pour des enterrements laïcs et écolos à Bordeaux

Pour parler librement de la mort sans passer par la case psy, Edileuza Gallet anime des « Cafés mortels » à Bordeaux. Cette psychanalyste travaille désormais à la création d’une coopérative funéraire, qui veut proposer des cérémonies laïques, des enterrements écologiques et un accompagnement des familles.

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Une coopérative funéraire pour des enterrements laïcs et écolos à Bordeaux

Depuis 10 ans, Edileuza Gallet anime à Bordeaux des groupes de réflexion sur la spiritualité. Son association, Syprès, organise notamment les « Cafés mortels », ouverts à tous, qui permettent d’échanger sur les problèmes et angoisses liées à la perte d’un proche – l’un de ces rendez-vous se tient ce lundi, à 19h45, au Yoga Pop (7, passage des Argentiers, Bordeaux).

Psychanalyste, Edileuza Gallet veut désormais transformer Syprès en coopérative funéraire, qui proposera des cérémonies laïques, un accompagnement psychologique de la famille et un enterrement écologique. Ce modèle, importé de Suisse et du Québec, est encore peu répandues en France. Entretien.

Rue89 Bordeaux : Pourquoi vous êtes vous intéressée d’aussi près à la mort ?

Edileuza Gallet (DR)

Edileuza Gallet : Je suis originaire du Brésil, où la culture de l’oralité est très forte. On parle beaucoup des choses très  intimes, donc de la mort. Quand je suis arrivée en France, j’ai été choquée de voir à quel point c’est différent. Ici, mourir est scandaleux, insupportable, absurde. On veut repousser la mort, voire la faire disparaître. Donc on évite d’en parler en toutes circonstances. Mais cela devient un sujet qui nous hante. Avant, lorsqu’une personne mourait, on ne le disait même pas aux enfants pour ne pas leur faire peur. Mais on créait ainsi des angoisses encore plus horribles ! Les cabinets des psys sont pleins de gens qui viennent à cause de l’angoisse de la mort, de la dégradation du corps, des enterrements et de tout ce qui accompagne ce passage. Comme j’étais ainsi touchée de manière proche, dans mon travail, je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose.

Vous animez des « cafés mortels » depuis 4 ans. Quel est le principe ?

L’idée vient de Bernard Crettaz, un ethnologue suisse.  Certaines personnes ne veulent pas parler dans un cabinet psy ou dans un groupe de parole, mais aimeraient pouvoir le faire simplement. Dans des petits bistrots, au Garage Moderne, j’anime donc des discussions auxquelles participent des gens qui ont perdu des proches ou veulent parler de leur propre mort. Elles peuvent dire ce qui se passe pour elles quand elles perdent un père, une mère, un enfant. On évoque la souffrance, car la mort est souvent associée au désespoir. Mais on lève aussi ce tabou selon lequel c’est forcément quelque chose de terrible. Il peut même y avoir de la joie quand le départ est apaisé, quand les personnes meurent sans souffrance atroce, ou qu’elles ont le sentiment d’avoir bien vécu leur vie, quand la famille est préparée…

« Peu d’alternatives aux cérémonies religieuses »

Recevez-vous beaucoup de témoignages en ce sens ?

Une sage femme nous a raconté avoir tenu à faire la toilette funéraire de sa grand-mère qu’elle venait de perdre. C’était pour elle un moment magnifique, un important rite de passage.  Quelqu’un a témoigné de l’espèce de soulagement vécu lors de la mort de son père, qui était en grande souffrance psychiatrique et dont tout le monde savait qu’il n’en pouvait plus. Évidemment, c’est beaucoup plus compliqué quand les personnes perdent un enfant, la douleur est très grande. Mais quelque chose de différent se passe si elles ont le sentiment d’être accompagnées, qu’elles ne sont pas dans le vide. Je m’oppose à cette logique de « faire son deuil », comme si c’était une épreuve qui devait nécessairement être traversée.

Actuellement, vous mettez sur pied une coopérative funéraire. De quoi s’agit-il ?

Je suis partie à Genève me former auprès d’anthropologues car il y a en Suisse beaucoup de célébrations laïques. Aujourd’hui la plupart des personnes sont non pratiquantes. Mais, si elles ne souhaitent pas de cérémonie religieuse, elles doivent faire face à l’absence de propositions alternatives. Il existe bien sûr des cérémonies laïques, proposées par les sociétés de pompes funèbres. Mais beaucoup de gens pensent que ce n’est pas suffisant, que tout est déjà prêt et artificiel. Cela dure 10 minutes, et les personnes en sortent avec un sentiment de sidération impressionnant. En outre, ce ne sont en France que des entreprises privées.

Nous voudrions ouvrir la possibilité d’organiser des cérémonies pour des coopératives funéraires, comme elles existent au Québec (NDLR : une entreprise de ce genre a récemment démarré près de Nantes). Nous préparons donc avec 5 associés la constitution d’une SCIC (société coopérative d’intérêt collectif), une formule qui favorise l’engagement des collectivités et des citoyens. Le projet est porté par l’incubateur d’entreprises de l’économie sociale et solidaire Atis, en relation avec la métropole et le conseil régional. Nous en sommes à la levée de fonds, et avons besoin de 50000 euros. L’objectif est d’ouvrir notre coopérative en septembre 2018.

Enterrements verts

Que proposeriez vous de différent du modèle actuel ?

D’abord, une vraie cérémonie, visant simplement à honorer la vie de celui ou celle qui est partie, en faisant un travail avec des textes, de la poésie, de la musique, tout ce que la personne aimait. Cela peut être simple, mais aussi très élaboré, on ne va pas plaquer un modèle standard mais trouver celui qui correspond le mieux à la famille. Nous aimerions mettre de la beauté dans ces lieux de mort, dont la plupart des personnes témoignent de leur laideur, en intégrant des artistes à notre travail. Nous voulons aussi offrir un accompagnement psychologique pour les familles qui en ont besoin lorsqu’elles perdent un proche, et proposer des enterrements écologiques.

C’est-à-dire ?

D’abord, cela suppose d’éviter l’utilisation de produits chimiques pour l’embaumement du corps. Puis, pour les funérailles, de proposer un cercueil écologique, se décomposant naturellement (en carton, bambou, osier ou papier mâché), et, pour marquer l’emplacement de la tombe, des stèles en bois, cuir, papier ou parchemin, ou encore de planter des arbres ou des fleurs.

De familles réalisent aujourd’hui des cérémonies telles que celles que vous décrivez, avec des témoignages, des chansons… Pourquoi alors passer par une entreprise, même une coopérative ?

Il y a aujourd’hui un éclatement de la famille, et beaucoup n’ont pas les moyens de s’organiser, ou sont sous le choc. Quand les familles sont très soudées, elles se prennent en main, oui. Mais ce n’est parfois pas très bon non plus. J’ai une amie très proche qui a perdu son mari à l’âge de 40 ans, et a organisé la cérémonie. Mais elle n’était pas à la bonne place : elle devait tout coordonner, et ne pouvait pas s’effondrer, être dans sa douleur. L’aide d’un tiers dans ce cas là peut être très importante.

En quoi la dimension laïque vous semble-t-elle importante ?

Faire une cérémonie dans une église quand cela ne correspond pas à ses valeurs c’est à mon sens triste et dommage. Les mots sont vides de sens, et les proches deviennent spectateurs de quelque chose qui ne provoque aucune résonance intérieure. Je connais très bien les textes bibliques, et je sais que cela peut même être très violent d’entendre parler de résurrection, ou de poussière redevenue poussière. Aujourd’hui, nous avons des formes de spiritualité très différentes, mais avons malgré tout besoin de la parole, car nous sommes des êtres parlants.


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