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Haskell Junction de Renaud Cojo, de front contre les frontières

Avec Haskell Junction, Renaud Cojo entame une série de représentations signées par des Bordelais et programmées au TnBA pour la saison 2017-2018. A Bordeaux jusqu’au 21 octobre, avant une tournée nationale, cette fable moderne dévoile l’absurdité des frontières.

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Haskell Junction de Renaud Cojo, de front contre les frontières

On ne voit pas vraiment où il veut en venir Renaud Cojo, passée la première heure de sa dernière création, Haskell Junction. Au point que l’on s’impatiente vite, surtout quand on a en tête le texte de la présentation par le Tnba, et autant dire qu’il met l’eau à la bouche, en attendant l’alcool de patate :

« […] À l’heure où tant de migrants fuient leur pays, son “odyssée paysagère”, ancrée dans une scénographie étonnante, dévoile les absurdités et les traumatismes provoqués par les limites frontalières, politiques, philosophiques ou intimes… »

C’est le metteur en scène bordelais lui-même qui évoque l’odyssée paysagère. Avec une telle étiquette, on s’attend à un voyage en forêt en tenue de bûcheron, surtout quand on sait qu’il revient avec ce projet dans ses valises d’un voyage au Canada. A nous les steppes canadiennes on se dit, à nous les chevauchées sur les contrées du 45e parallèle.

Le 45e parallèle ?

Oui, le 45e parallèle. Là où un John Collins et un Thomas Valentine sont venus, contre vents et tempêtes de neige, bourrés au whisky frelaté, dessiner la frontière entre le Canada et les États-Unis. De 1771 à 1773, ces deux arpenteurs qui représentaient respectivement l’un (probablement) l’Angleterre et l’autre la colonie de New York, entreprenaient des travaux visant à délimiter la frontière entre les deux pays, provinces à l’époque. Là, à Stanstead, ils se sont juste gourés de quelques centaines de mètres. Et c’est là que ça commence.

C’est le sujet de la toute première scène bluffante de Haskell Junction. Avec effets spéciaux et VO sous-titrée, on plonge dans ce qu’on pourrait appeler le film. Car les premiers codes sont là et ils annoncent la suite. Chez Renaud Cojo, c’est bien connu, mêler théâtre et cinéma est un savoir-faire. Son Low/Heroes en est l’exemple parfait.

S’ensuit une longue série laborieuse de ce qui semblent être des mises en situation de notes prises lors du voyage du metteur en scène. Les clins d’œil s’enchaînent : des gilets de sauvetage tombent du ciel (vous l’avez ?), une interprétation au banjo de « Black Bird » des Beatles… Les Beatles ? Oui, les Beatles. Faut être patient, l’explication arrive – You were only waiting for this moment to arise. Sans oublier Pikachu. Pikachu ? Oui Picachu, le pokémon, faut être patient on vous dit.

« Les bons murs font les bons amis »

Il se trouve qu’au bout d’un moment, les frontières se dessinent enfin. Dans tous les sens du terme. Renaud Cojo, qui, lors d’un échange avec les journalistes a parlé d’ « organicité » et d’ « une démarche onirique et non géographique », prend enfin la main. Sur un grand écran pendu au-dessus de la scène, il projette son film (réalisé avec Laurent Rojol), limite un documentaire, qui remet les idées en place.

« Ça fait 2 ans et 4 semaines qu’on travaille sur cette pièce. C’est la première fois que j’ai un temps de préparation aussi long. Ce sont des conditions hyper confortables. »

Ces conditions ont abouti à une création bien dosée entre théâtre et cinéma. Il y a certes les performances de Catherine Froment et la musique jouée en direct par Christophe Rodomisto, sans oublier Elodie Colin et François Brice, mais il y a aussi Renaud Cojo lui-même sur les planches. Signe que l’histoire est la sienne, jusqu’au moindre détail, celui d’un fauteuil n° 13 dans un théâtre à cheval sur la frontière américano-canadienne ; celui d’un regard critique sur un monde où « les bons murs font les bons amis ».

Mais Renaud Cojo ne nous laisse pas en plan comme ça au milieu de nulle part. Il marque la scène du TnBA par un final inédit – qu’on ne décrira pas ici –, qui constitue une juste réponse à ce qu’il rapporte d’une habitante de Stanstead : « Chez nous, la frontière ne sépare pas les pays, elle les unit. »


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