« Si la grande région est une mise bout-à-bout de revendications territoriales sans stratégie ni prise en compte de la réalité, on ne va pas s’en sortir, c’est un guichet… »
Il est 19h passé ce lundi en séance plénière du conseil régional, Alain Rousset soupire. Le président de Nouvelle-Aquitaine commence à douter d’une sortie par le haut du débat sur la nouvelle stratégie aéroportuaire. Celle-ci entend faire de la région l’ »acteur de référence » du secteur ; elle va consacrer 6,3 millions d’euros par an, contre 4,3 millions jusqu’à présent, et augmenter sa participation dans les syndicats mixtes de certains des 11 aéroport commerciaux de la région.
Mais aussi réduire ses interventions ailleurs, d’où la colère de nombreux conseillers régionaux (ou presque) prêchant pour leur tarmac. La constitution d’un groupe de travail pendant la plénière pour amender le texte et limiter ainsi les interventions n’aura pas suffi à déminer le terrain.
Agen compte pas pour des prunes
Particulièrement prolixe, le maire (UDI) d’Agen, Jean Dionis du Séjour, considère par exemple qu’avec 40001 (oui, c’est précis) passagers par an, le sien ne peut être classé comme un vulgaire « aéroport local de proximité », au même titre que Périgueux et Angoulême « qui n’en ont plus aucun » (en fait, 6122 par an pour la plateforme périgourdine).
L’édile demande – et obtient – le maintien de la subvention régionale (250000 euros par an) pour la ligne Hop ! Paris-Agen, sur une aide publique totale de 3 millions, représentant 75 euros d’OSP (obligation de service public) versés par les contribuables à chaque passager. Jean Dionis du Séjour obtient aussi gain de cause sur l’entrée de la région au syndicat mixte de son aéroport dans un an, si le trafic se maintient et ne subit pas l’effet LGV, qui met Agen à 3 heures de Paris.
Même participation de la région à l’OSP pour la ligne La Rochelle-Poitiers-Lyon (un million d’euros d’aides publiques annuelles pour 35000 passagers, tout de même), et même « clause de revoyure » arrêtée à Poitiers, où la Nouvelle-Aquitaine ne veut pour l’instant pas prendre de participation « compte tenu de la desserte de Poitiers par la LGV ».
La vice-présidente (PS) de l’agglo (et vice-présidente du syndicat mixte de l’aéroport local), Anne Gérard, concède que seulement 108845 passagers ont transité par Poitiers-Biard. « Il est certes fragilisé » (depuis le désengagement de la CCI, à laquelle la région refuse de pallier), « mais il peut accueillir trois fois » plus de voyageurs, enchaîne l’élue, selon laquelle l’avenir du centre hospitalier universitaire, de l’université, voire du Futuroscope, se joue dans les airs.
« Combien de visiteurs viennent au Futuroscope en avion ? fait mine de demander Alain Rousset. 1%. 80% arrivent en voiture et le reste en train ».
« Mais 1% de 4,6 millions de visiteurs (en 2012), ce n’est pas anecdotique, surtout qu’ils restent dormir », rétorque une conseillère poitevine, Véronique Abelin (UDI).
A vol d’oiseau
Gronde également du côté de Guillaume Guérin, premier adjoint (LR) au maire de Limoges, à propos cette fois de la baisse initialement annoncée de la participation de la région de 49,7% à 25% – mais dans 10 ans, et à condition « que la mise à niveau ne fasse pas supporter de charges supplémentaires aux collectivités locales » :
« Sur Limoges, le contribuable a payé pour des études pour une LGV qui ne verra jamais le jour et on attend encore les premiers coups de pioche pour la RN147 . J’attends de voir ce qui va se passer pour l’aéroport car même lissée sur 10 ans cette baisse m’inquiète ; si la région se désengage, ça fait un quart du budget de l’aéroport qu’il faudra aller chercher ailleurs. »
Mais jusqu’à la fin de la délégation de service public conclue avec la CCI, la Nouvelle-Aquitaine reste donc engagée à Limoges, et va par ailleurs augmenter ses participations de 10 à 25% dans les aéroports voisins – ou presque, ça se joue dans un périmètre de 150 kilomètres à vol d’oiseau -, de Brive et Bergerac, dont les trafics (respectivement 66870 et 305323 passagers par an en 2016) semblent donc essentiels, selon la région, au désenclavement du territoire.
En mettant sur pieds d’ici 3 ans un établissement public administratif (EPA) chargé du pilotage stratégique de des aéroports, le conseil régional assure pourtant vouloir mettre fin à la « situation concurrentielle » entre tous ces aéroports. Car celle-ci « profite aux compagnies aériennes », pour obtenir des avantages en vue de l’ouverture de nouvelles lignes, ou faire du chantage à la fermeture des dessertes. Les élus régionaux ont par exemple mentionné à plusieurs reprises la guéguerre entre les aéroports de Pau et Tarbes (qui ne figurera malheureusement pas dans le périmètre de l’EPA…).
Champions d’Europe
Ces aides publiques sont aujourd’hui très surveillées par la Commission européenne, qui a jugé illégales des subventions versées à Ryanair par les aéroports de Pau et Angoulême. Depuis 2014, les « lignes directrices » de Bruxelles visent les plateformes de moins de 700000 passagers par an. C’est le cas de tous les aéroports de Nouvelle-Aquitaine, à l’exception de Biarritz (1,1 million) et Bordeaux (5,8 millions, soit les deux tiers du trafic de la région).
Le maintien de l’aéroport de Bordeaux-Mérignac dans le giron public fait lui l’unanimité chez les conseillers régionaux, tout comme la sauvegarde des autres plateformes jugés bons pour l’emploi. Et quand Rue89 Bordeaux demande à Alain Rousset s’il n’y a pas trop d’aéroports dans la région (11, contre 19 pour toute l’Allemagne !), il balaye la question : « Posez la à Agen ou Brive. Et si c’est pour tout ramener à Bordeaux… »
Enfin, alors que l’avion est le moyen de transport le plus émetteur de gaz à effet de serre par kilomètre parcouru, il aura fallu attendre la toute fin de la séance pour que la question du changement climatique arrive sur le tapis – et encore, dans un brouhaha très significatif de l’intérêt des élus pour le sujet.
L’élue écologiste Christine Moebs se réjouit ainsi que la stratégie aéroportuaire « stoppe pour la première fois les investissements dans les aéroports en se consacrant sur les dépenses de fonctionnement », et que la création d’un EPA permette « de faciliter les relations avec les aéroports de Toulouse et Nantes, et conduise à moyen terme à la fermeture de certains aéroports régionaux. » Mais les élus écologistes voient les contradictions de politique avec les engagements environnementaux de la région :
« Nous ferons tout pour que la Région Nouvelle-Aquitaine affirme plus résolument une ambition de réduction drastique du financement du transport aérien. Celui-ci a des conséquences catastrophiques sur le dérèglement climatique, alors même qu’il bénéficie d’une exonération de taxe carbone et sur le kérosène, d’une TVA réduite, de très fortes subventions publiques des aéroports… Ces privilèges, profondément inégalitaires, encouragent artificiellement l’attractivité du transport aérien. »
Et d’appeler par exemple à la rénovation des lignes ferroviaires pour faire Poitiers-Lyon, ou Limoges-Lyon, en train. Autant dire un mirage.
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