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Mais qui transforme du vin du Midi en grands crus de Bordeaux ?

Fin novembre, Vitisphère révélait une enquête en cours aux services des douanes : 4200 hectolitres de vin du Languedoc frauduleusement « transformés » en Bordeaux, Pomerol, Margaux… sans réaction des acteurs du secteur. Ce lundi, lors de l’assemblée générale du CIVB, la Confédération paysanne a brisé le silence, en annonçant avoir déposé plainte.

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Mais qui transforme du vin du Midi en grands crus de Bordeaux ?

Le 23 novembre dernier, nos confrères du site d’information sur le vigne et le vin Vitisphère qui révèlent l’affaire :

« 4 200 hectolitres de vins auraient ainsi été modifiés frauduleusement entre 2012 et 2014, dont 1 300 hl de vin transformés en AOC Bordeaux, 700 hl en Bordeaux supérieur, 700 hl en Pomerol, 600 hl en Margaux, 350 hl en Pauillac et 100 hl en Saint-Julien, écrivent-ils. Le tout à partir de vins Pays d’Oc IGP ou de Vins de France, achetés pour leurs cépages bordelais et leurs coûts bien moindres. Cette transformation astucieuse pourrait multiplier jusqu’à dix la valeur d’un lot. Pour donner un ordre de grandeur, les tonneaux de Margaux et de Pomerol s’échangeaient en janvier 2017 pour 890 et 1 000 euros l’hectolitre selon le Conseil National des Courtiers de Marchandises Assermentés, quand les prix moyens d’un vin rouge de cépages en Vin de France et IGP étaient respectivement de 82 et 90 €/hl selon FranceAgriMer. »

Une triche d’ampleur non négligeable (420 000 litres de rouge, soit 560 000 bouteilles – un peu moins d’un millième de la production annuelle du vignoble, qui s’élevait à 5,77 millions d’hectolitres en 2016 selon le CIVB), qui aurait permis une sacrée culbute aux négociants concernés. Et contribuerait à casser l’image du bordelais et la confiance des consommateurs en son vin.

Une « grosse affaire »

« Même s’il ne s’agissait que de la moitié ou d’un tiers du volume, on est face à une falsification. Or la chose la plus précieuse que nous avons à défendre à Bordeaux, c’est la confiance des amateurs » réagit Claire Laval, porte-parole de la Confédération paysanne de Gironde et vigneronne à Pomerol.

A croire nos interlocuteurs, la rumeur courrait qu’une « grosse affaire » allait sortir. Depuis l’article de Vitisphère, l’affaire a vite été connue de l’ensemble du milieu du vin bordelais. « Les vignerons, cavistes, tous les gens qui s’intéressent au vin sont au courant » affirme Claire Laval. Et pourtant, personne ne bouge :

« Ce qui nous interroge, c’est la non réaction, ce silence : pas de dépôt de plainte, pas de signalement demandant l’ouverture d’une enquête judiciaire. En creux, cela finit par ressembler à une certaine indulgence vis-à-vis de pratiques qui mettent en cause l’authenticité des appellations », pense la vigneronne.

C’est donc la Confédération paysanne qui a dégainé, seule, le 6 décembre dernier, via un communiqué sur son site internet :

« On assiste à un drôle de manège, une course où chacun rivalise d’ingéniosité pour faire traîner l’affaire et surtout les poursuites. On pourrait presque croire que ce qui est recherché, c’est la prescription des faits. Les Douanes, parfois si diligentes pour sanctionner le petit viticulteur sans relations, ne semblent pas se presser pour saisir le procureur de la République. »

« Manœuvre préélectorale »

Ce lundi, lors de l’assemblée générale du Conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux (CIVB), la même Claire Laval a ramené le sujet sur la table, interrogeant l’attitude de l’institution.

« Je n’ai pas plus d’information à ce sujet que celles qui sont parues dans la presse. Et nous n’allons pas porter plainte sur la foi de quelques rumeurs », lui a répondu Allan Sichel, négociant et président du CIVB, cité par France Bleu.

« Le CIVB combat sans hésitation, sans complaisance et avec beaucoup de détermination, tout ce qui peut porter atteinte à l’image et à la réputation des vins de Bordeaux, nous a confirmé Christophe Château, directeur de la communication du CIVB. Dès que la justice sera saisie, nous nous porterons partie civile. Pour l’instant, nous sommes dans le temps de l’enquête. »

Même son de cloche du côté de la Fédération des grands vins de Bordeaux :

« Notre politique consiste à attendre que l’affaire soit mise à l’audience, qu’il y ait nomination d’un juge d’instruction, pour se constituer partie civile, affirme son directeur, Yann Le Goaster. On l’a déjà fait 3 fois en 2 ans. Mais on ne peut pas porter plainte sur base d’un article de presse écrit au conditionnel ».

La procédure pourrait donc être très longue. Lui, comme Christophe Château, soupçonne le syndicat paysan de « manœuvre préélectorale », alors que les élections pour la chambre d’agriculture doivent avoir lieu dans un an.

En retour, la syndicaliste s’appuie sur des « précédents scandaleux ». En 2002, le président d’alors du CIVB, Christian Delpeuch, avait été condamné dans l’affaire « Hemmer » pour « délits de publicité mensongère et tromperie » après que la société dont il était le dirigeant, Ginestet, avait vendu du saint-estèphe coupé avec du vin du midi. Après quoi, relate Claire Laval, « il était resté en poste, tranquillement. Être représenté par un négociant condamné pour fraude, ça donne une ambiance. Je pense que l’ambiance n’a pas complètement changé. »

Bordeaux bashing

Cette fois, la société de négoce soupçonnée de fraude s’appelle Signes de Terres. Quant aux acheteurs de ce « faux bordeaux », il s’agirait entre autres de Castel, des Grands Chais de France, des Grands Vins de Gironde (GVG), et du Cellier Vinicole de Blayais (CVB). Or lundi soir, d’éminents membres de ces groupes siégeaient à l’AG du CIVB : Lionel Chol (Castel), Stéphane Héraud (président des Vignerons de Tutiac, dont le CVB est une filiale), et Philippe Castejat (PDG de Borie-Manoux, auquel appartient GVG, ex-président du CIVB).

« Ces gens là, ils les voient tous les jours. Ils savent parfaitement s’ils ont acheté de la came bonne ou pas bonne », réagit Dominique Techer, de la Confédération paysanne.

« Le CIVB nous parle de combattre le ‘Bordeaux bashing’, mais là tout le monde est au courant qu’une enquête est menée par les douanes, et on voit bien qu’il n’y a pas de réaction. Si Alexandre Abellan n’avait pas sorti l’histoire, ni vous ni moi n’en aurions rien su », avance Claire Laval.

Lundi soir, le directeur régional des douanes, Laurent Vénot, a confirmé à Vitisphère qu’une enquête était en cours dans ses services :

« Si les faits dont il a été question sont avérés, ils sont d’une très grande gravité. Ils donneraient lieu à une enquête judiciaire, soit par le biais d’une information judiciaire, soit par le biais d’une citation directe ».

Contacté par Rue89 Bordeaux, le groupe Castel reconnait faire partie des négociants « fraudés », mais refuse d’en dire plus pour l’instant. Également sollicités, Cellier vinicole du Blayais et GVG n’ont pas encore donné suite à nos demandes d’entretien.

Préférant ne pas attendre, la Confédération paysanne de Gironde a déjà déposé plainte, « contrainte d’user de son droit à se substituer à des institutions officielles défaillantes » selon son communiqué. « Nous invitons ceux qui veulent défendre la viticulture honnête à se joindre à cette plainte. Ces fraudes récurrentes ne sont pas acceptables », estime Claire Laval.


#CIVB

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