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Orange équipera la Gironde en fibre optique « plus vite, plus loin et moins cher »

Le Conseil départemental vient de choisir Orange pour installer la fibre optique sur son territoire dans le cadre de Gironde Haut Mega. Entretien avec Matthieu Rouveyre, vice-président du Conseil départemental chargé de la Citoyenneté, de la relation avec les usagers, de la communication et des accès numériques.

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Orange équipera la Gironde en fibre optique « plus vite, plus loin et moins cher »

Rue89 Bordeaux : Comment est né le projet Gironde Haut Mega ?

Matthieu Rouveyre : En 2007, le département de la Gironde a décidé de créer un syndicat mixte appelé Gironde numérique. Il a été constitué avec les établissement publics de coopération inter-communale, donc les communautés de communes pour l’essentiel. Le but était de tenter de résorber la fracture numérique, en prenant à sa charge le fait de commencer à déployer des infrastructures permettant d’irriguer la Gironde en très haut débit.

A partir de 2009, via un contrat de partenariat public/privé avec une filiale d’Orange créée pour l’occasion, Gironde Haut Débit, nous avons voulu le réseau de première génération ou Réseau d’intérêt public première génération (RIP1G). Ce réseau a permis à la fois d’amener la fibre optique à certaines grosses entreprises pour qui le coût était prohibitif, le ticket d’entrée étant à partir de 400€/mois pour un petit débit jusqu’à plusieurs milliers d’euros pour certaines entreprises. Ce réseau était le premier squelette qui préfigurait également d’une montée en débit pour un certain nombre de Girondines et de Girondins.

Ce réseau avait quelle ampleur ?

Il s’étendait sur 1100 kilomètres. C’était surtout un réseau de collecte, c’est-à-dire qu’il n’allait pas jusqu’à l’abonné. Tout l’enjeu de ces dernières années était de savoir comment faire pour porter le très haut débit dans les campagnes et les milieux suburbains.

Les territoires les plus pauvres et les plus ruraux sont les plus abandonnés

Ce n’était pas le rôle des opérateurs privés ?

Ce qui s’est passé, et on le regrette, est que l’état a laissé aux opérateurs privés le choix des zones. En Gironde, ils ont décidé de déployer sur l’ensemble du territoire de la métropole, les 28 communes, plus la ville de Libourne – seulement la ville, pas la communauté de commune. 509 communes ont été délaissées par ces opérateurs parce que ce n’était pas rentable pour eux. On n’avait aucun moyen de les forcer à le faire. Leurs investissements allaient là où un kilomètre de fibre pouvait atteindre plusieurs abonnés, or pour certains coins reculés, il faut 15 km de fibre optique pour une habitation !

Dans la mesure où l’État offrait aux opérateurs privés une manne financière intéressante en leur confiant le monopole, on n’a pas compris pourquoi il ne faisait pas peser dessus une obligation de péréquation. Ou alors de donner au secteur public les zones rentables, dans la mesure où il aura à couvrir les zones non rentables, pour essayer de trouver des équilibres d’autant qu’il n’a pas de fiscalité propre.

Est-ce que la Gironde a été particulièrement délaissée ?

C’est partout pareil. La logique a été la même sur toute la France. Les territoires les plus pauvres et les plus ruraux sont les plus abandonnés.

En 2015, nous avons demandé officiellement aux opérateurs privés s’ils voulaient investir, ils ne nous ont pas répondu. On a vite compris que, en dehors de la métropole et de Libourne, les choses ne se feraient pas. Donc, on a pris notre bâton de pèlerin et, avec l’ensemble des communautés de communes de la Gironde, nous avons commencé à diagnostiquer les besoins. C’est un travail qui a pris un an. Début 2016, nous avons obtenu un diagnostic très précis des zones complètement déshéritées appelées les zones blanches.

Lors de la présentation Gironde Haut Mega, « opération coup de poing » pour Jean-Luc Gleyze (WS/Rue89 Bordeaux)

Un diagnostic et un plan d’urgence

Quels étaient les problèmes concrètement ?

On a des armoires appelées des Nœuds de raccordement abonnés (NRA) et des armoires appelées Nœuds de raccordement abonnés zones d’ombres (NRA ZO). Jusqu’aux NRA, l’installation était majoritairement « fibrée » par le réseau de première génération. Pour les abonnés directement connectés aux NRA, tout allait bien. Entre les NRA et les NRA ZO, et entre les NRA ZO et les abonnés, les installations sont en cuivre sur lesquelles on ne peut faire passer que 40 mégas. Donc aux heures de pointes, la connexion est très faible. Lors de nos réunions, nous avons eu des témoignages de personnes qui étaient contraintes de travailler la nuit pour profiter d’internet.

Avec ce diagnostic, début 2016, nous avons identifié une quarantaine de zones où il fallait intervenir avant même de lancer la fibre optique à l’abonné. C’est notre fameux plan d’urgence avec 3,2 millions d’euros dégagés pour débloquer la situation. Ce plan, confié à l’opérateur SPI Orange, consistait à remplacer le cuivre par la fibre optique entre les NRA et les NRA ZO. Cette solution permettait de décoincer le trafic, mais après les NRA ZO, rien n’avait encore changé. Il y a eu 39 installations en tout et globalement tout s’est bien passé.

Quelle contrepartie demandée aux opérateurs ?

Aucun mécanisme légal ne nous permettait, à ce niveau là, des contreparties. Sur ce plan d’urgence, nous avons construit un réseau public à l’attention d’abord des usagers. Il a été loué à un prix dérisoire qui ne nous permettait pas de rentrer dans les frais.

Ensuite ?

Pendant l’année 2016, nous avons affiné notre cahier des charges pour notre plan Haut Méga que nous avons lancé en novembre de la même année. Nous avons reçu les candidatures début 2017. Six en tout : Orange, SFR, Axione, NGE et Altitude, Covage et TDF. Nous sommes ensuite entré en négociation. Nous leur avons annoncé, au regard du diagnostic, un budget de 230 millions d’euros, appelé subvention de premier établissement, une somme publique définie avec les intercommunalités de Gironde pour lancer le projet.

Au regard de nos estimations, il y avait 410000 prises/foyers à équiper. Avec cette somme, on avait prévu d’en faire 270 000. Très vite, on s’est rendu compte qu’on allait avoir de bien meilleures réponses que nos estimations.

Comment ?

Beaucoup de candidats estimaient alors que c’était tout naturel pour nous de continuer avec Orange déjà là pour le réseau de première génération. Or, ce premier réseau n’était pas rentable. Nous en avons profité pour résilier le contrat et nous l’avons récupéré en proposant de payer exactement le montant des loyers d’investissement qui étaient prévus jusqu’au 2029. Avec cette résiliation, nous avons rebattu les cartes et tous les autres opérateurs se sont positionnés sur le marché.

Un ton révolutionnaire pour le campagne de communication de Gironde Haut Mega (WS/Rue89 Bordeaux)

Plus vite, plus loin et moins cher

Comment vous avez effectué votre choix ?

Début 2017, nous avons reçu les premières offres. Nous en avons sélectionnées d’abord trois : Orange, SFR et Axione.

Nous avons passé les six derniers mois de 2017 à challenger les candidats au maximum. Notre but était de faire baisser la contribution publique, sachant que dans tous les cas le réseau couterait environ 650 millions d’euros. C’est un prix qui ne change pas. Ce qui change est de savoir combien la puissance publique met pour lancer le chantier. Après les négociations, ce qu’on avait imaginé à 230 millions d’euros, a été finalement plus bas. Le deuxième élément que nous avons réussi est de pouvoir réaliser les 410 000 prises/foyers alors que seulement 270 000 avaient été budgétisées. On fera plus vite, plus loin et moins cher. Le délai, prévu de 20 ans, ensuite de 10 ans, est ramené à 6 ans. Et on fait prendre le risque de la croissance démographique sur le délégataire et pas de surcoût pour la puissance publique.

Comment faire tout avec moins ?

Le réseau sera public et il aura une délégation de service public (DSP) affermo-concessive. C’est-à-dire le premier réseau sera en affermage et les 23000 kilomètres à construire seront de la concession.

Nous mettrons de l’argent public pour démarrer les travaux et Orange fera une avance de trésorerie également de son côté qu’il récupérera sur les recettes générées pendant la phase de DSP, notamment pendant la phase d’exploitation.

Là-dessus, trois choses importantes sont à noter:

Premièrement, on va créer un réseau dans le réseau, c’est le Groupement ferme des utilisateurs (GFU). Nous avons négocié pour avoir la fibre optique gratuitement pour les sites publics. On n’aura plus à payer des abonnements pour les collèges, les Maisons départementales de la solidarité et de l’insertion, les centres routiers, les SDIS…

Deuxièmement, nous avons réclamé une redevance usage à l’opérateur retenu pour financer nos actions d’inclusion numérique en mettant à contribution le privé. On considère qu’il y a 15 à 20 % de la population en situation d’illectronisme. Cette redevance servira à faire de la formation, de l’accompagnement, et pourquoi pas des aides à l’équipement. Dans cet esprit, nous allons lancé en novembre 2018 les assises des solidarités numériques.

Troisièmement, nous avons fait mettre une clause, appelée entre nous clause de retour à meilleure fortune. C’est-à-dire que l’opérateur, au bout des 25 années d’exploitation, devra rembourser sa mise de départ et faire des profits. Le but est d’en récupérer une partie. Nous sommes en train de négocier le pourcentage.

Pour finir, entre les économies qu’on réalise, la redevance sur les usages et la clause d’intéressement, on devrait faire financer quasi intégralement ce réseau public par le privé.

Comment s’assurer que la technologie sera toujours valable dans six ans alors que les progrès vont vite ?

Aujourd’hui, on travaille en fonction de l’état des connaissances scientifiques. La technologie reine est la fibre optique. On est à peu près certain qu’il n’y aura pas de technologie révolutionnaire dans les années à venir. Ce qui pourrait changer et évoluer, ce sont les équipements actifs ou passifs des deux côtés. C’est prévu dans le contrat pour que le délégataire les prenne en charge, maintenance comprise. La DSP porte sur la conception, la réalisation du réseau et son exploitation pendant 25 ans, avec charge de nous rendre un réseau qui fonctionne.

Pourtant la 4G se développe et les opérateurs viennent de signer un accord avec l’État pour la couverture des zones blanches ?

Le problème de la 4G est son partage. Or dans les fibres optiques, le débit est illimité. Nos besoin en internet augmente de 30% chaque année. La 4G peut être une solution alternative sur certains territoires. Même si la technologie évolue, les tuyaux restent fiables.


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