Le tourisme va bien à Bordeaux, mais la gestion par son office de tourisme peut laisser à désirer. Tel est le constat dressé par la Chambre régionale des Comptes (CRC) dans un rapport que Rue89 Bordeaux s’est procuré. Ce document étudie les années 2012 à 2016, c’est-à-dire avant et après la métropolisation de 2015 quand la compétence tourisme a été transférée des communes à la Métropole. Et la cour choisit de s’arrêter sur l’organisation interne de l’office et sur sa stratégie de développement.
Anomalies et coquilles
Une somme importante d’ « anomalies » administratives sont relevées par la cour notamment parmi les ressources humaines. La grille salariale est respectée, le plan de formation est adapté mais les contrats de travail de l’office ne font pas mention de l’emploi de langues étrangères – une « méconnaissance » de la convention collective nationale des organismes de tourisme pour la chambre. Aucune délibération n’a été produite non plus concernant les primes de fin d’année et d’ancienneté, ni concernant leur attribution.
Et la cour note :
« Une absence de respect de la règlementation (…) particulièrement en matière d’information sur les avantages en nature des cadres dirigeants. »
Par ailleurs, un ancien directeur a reçu des majorations horaires à rebours des dispositions de son contrat de travail. Des rapports annuels d’activités plutôt bien ficelés selon la CRC n’affichent pourtant aucun volet social et comportent des erreurs d’additions ou de reports de données qui altèrent « certes à la marge, mais néanmoins » la fiabilité des données touristiques présentées aux instances décisionnelles.
Rien dans les statuts de l’assemblée générale n’indique qui est habilité à signer les contrats de travail, conventions ou tout autres documents engageant l’office. Les différentes instances n’ont pas acté le même budget prévisionnel 2015 : le conseil d’administration a proposé 4 420 000 millions d’euros, l’assemblée générale qui aurait dû en tenir compte a voté un budget de 4 450 000 euros et un troisième budget non daté établi un budget à 4 545 000 d’euros. Des « coquilles » que déplore la Chambre.
Dans sa réponse, le président de l’office et adjoint à la métropole et mairie de Bordeaux Stéphan Delaux explique que l’écart entre les budgets n’est que 0,67 % et qu’aucun texte ne réclame la présence du volet social dans le rapport d’activités.
Une nomination qui pose question
Encore un peu plus problématique, la chambre régionale des comptes « s’étonne » de la procédure de nomination en 2012 du directeur de l’office de Tourisme – en l’occurrence Nicolas Martin, fils de l’adjoint à la mairie de Bordeaux Hugues Martin et lui-même ancien président de l’office de tourisme. En 2012, les soupçons de favoritisme avait dû être écartés comme le mesurait Sud Ouest. La chambre tique et remarque :
« Le jury (était) constitué de deux élus de la ville et de deux membres de l’administration communale et (n’a) pas été l’émanation du conseil d’administration, ce dernier n’ayant été que simplement informé de la procédure de recrutement et de son résultat. »
L’office jouit enfin d’une situation financière « accrue », du simple fait de la métropolisation et de l’intégration du tourisme d’affaires dans son giron. Malgré ses réserves confortables, le fonds de roulement est progressivement absorbé par deux déficits consécutifs en 2014 et 2015. Logique vu la métropolisation répond Stéphan Delaux comptant les « investissements humains et matériels ».
Côté recettes, le secteur commercial est dynamique, les cotisations des adhérents à l’office ont augmenté mais les résultats annuels sont négatifs. Alors, il n’y a pas péril mais la chambre appelle à la « vigilance ».
Echec du CityPass ?
Sur la stratégie touristique, la Chambre régionale des comptes indiquent que de 2000 à 2014, Bordeaux et son agglo ont vu un « quasi triplement du nombre de visiteurs » passant de 2 à 5,8 millions.
Les retombées économiques sont estimées à 926 millions d’euros entre mai 2014 et avril 2015 selon l’étude du cabinet Protourisme dont 148 millions de retombées directes (hôtels, activités culturelles, loisirs), 213 millions indirectes (restauration, transports, achats divers) et 564 millions induits (dépenses des salariés dans l’économie locale, dépenses fournisseurs…).
Malgré ces résultats élogieux, la Chambre critique une absence de statistiques qualitatives sur les visites qui desservirait la stratégie touristique. Sur la notation qualité, l’office de tourisme dit se satisfaire des données transmises par les plateformes telles qu’Airbnb, Booking et Tripadvisor plutôt que de dépenses de dispendieuses études.
L’arrivée de la LGV Paris-Bordeaux aurait été mal préparée concernant la clientèle ciblée et les produits touristiques à décliner. Les données du tourisme fluvial, des visites patrimoniales ou dans les vignobles sont en hausse mais les objectifs du CityPass n’ont pas été atteints. Cette carte unique pour visiter les musées, utiliser les transports en commun et V3 est apparue en 2014 avec un objectif : 50000 ventes d’ici 2019.
Pas de quoi remettre en cause ce système selon le directeur de l’office de tourisme. Nicolas Martin développe :
« On était la dernière grande ville en France à le lancer. En 2017, nous avons vendu plus de 21000 CityPass. Une des plus grosses ventes de France. Quant à l’objectif affiché au lancement, je savais bien qu’on n’en vendrait pas 50000. C’était un objectif ambitieux pour motiver les équipes. Ce n’était pratiquement pas atteignable. »
Plus globalement, la chambre régionale des comptes note que les clientèles ciblées par l’office de tourisme sont surtout les « citybreakers » ; des visiteurs présents pour un court séjour urbain. Or, les limites géographiques déterminées par l’office pour les séjours sont de plus en plus larges (vers le littoral, la grotte de Lascaux en Dordogne…) et ne « correspond plus » à la cible initiale. « On connaît notre métier » rétorque Nicolas Martin.
Guides übérisés
Enfin à la croisée de l’organisation interne et de la stratégie touristique, la Chambre rapporte l’évolution des contrats des guides conférenciers – de plus en plus précaires :
« L’office a indiqué que désormais les guides-conférenciers n’étaient plus recrutés en CDI, mais pour une prestation particulière, soit en CDD de courte durée (paiement à la vacation), notamment pendant la saison estivale, soit en qualité d’autoentrepreneur payés sur facteur, à la prestation, limitant ainsi les charges de structure. »
Les CDI, déjà à temps partiel, laissent place au CDD de courte période (2 à 3 heures) voire à l’autoentrepreneuriat (qui représente 32% du coût global de la rémunération des guides en 2015 contre 7,2% en 2012). Un sujet dont devrait se saisir les communistes ce vendredi en conseil métropolitain comme l’indique le blanquefortais Jacques Padie :
« En 2015, 21 guides employés par l’office de tourisme avaient ainsi une durée de travail inférieure à 300 heures, 10 seulement au-dessus. 300 heures annuelles, c’est-à-dire 25 heures mensuels et 6 heures hebdomadaires… Parmi ces guides, une grande majorité avait même effectué moins de 100 heures annuelles. Ce sont en réalité des petits CDI ou CDD de quelques heures qui sont contractés avec ces guides, “CDD d’usage” pour beaucoup qui ont l’immense avantage de ne pas donner droit au versement de la prime de précarité et font réaliser des économies de gestion… Ces pratiques sont qualifiées d’irrégulières par la chambre des comptes. Je la qualifierai pour ma part de scandaleuses, au regard de la richesse produite par le secteur du tourisme que la chambre évalue à 926 millions d’euros sur 2014. »
Le président de l’office de tourisme invoque « le caractère très aléatoire » des visites empêchant « une organisation stable régulière ». Le directeur de l’office de tourisme, Nicolas Martin renvoie ce dossier au plan national :
« Il n’y a pas de statut juridique des guides-conférenciers. Le contrat préconisé est le CDD d’usage par mon syndicat professionnel même si des autorités disent que nous n’avons pas le droit. Il y a un flou juridique. Il serait tant de saisir nos autorités de tutelle pour clarifier cela. Aussi, de plus en plus sont autoentrepreneurs. C’est tout à fait légal, les guides eux mêmes préfèrent car la plupart sont multi-employeurs et c’est plus souple. »
« Comme un audit »
D’une manière générale, le directeur de l’office de tourisme estime que :
« Le rapport est plutôt satisfaisant et servira comme d’un audit pour améliorer les process. La CRC n’a pas observé de choses ahurissantes ou de gaspillage d’argent public. L’association a plus de 100 ans, au fil de l’eau, des choses se sont rajouter et rajouter. Il y a des domaines où nous pouvons être perfectibles. »
Ainsi, il évoque la prise en compte des remarques faites sur la notion des langues étrangères dans le contrat de travail, les primes, les avantages en nature, les délibérations et délégations de signatures qui, désormais, sont formellement inscrits. Ce vendredi, la métropole doit voter la subvention annuelle allouée à l’office de tourisme. En commission des finances, un report de ce vote avait été demandé pour permettre un approfondissement des critiques émises par la CRC mais la commission économique n’a pas donné suite.
En commissions des finances, l’élu socialiste talençais Arnaud Dellu avait indiquer regretter que les collectivités soient plus regardantes avec des petites associations qu’avec des structures plus imposantes et proches d’elles. Les communistes déplorent « la gestion peu rigoureuse ». Le socialiste tempère :
« On n’est pas à Levallois-Perret. Il y a une transparence des comptes. C’est surtout dommage que ça soit à la CRC de faire ce travail. Ça aurait dû être à la métropole ou, par le passé, à la mairie. »
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