Immobile malgré le coupé-décalé qui résonne derrière lui, un cerbère garde l’entrée d’une boîte de nuit. Quelques attitudes – palpations de clients, bises à une habituée, moue d’ennui profond –, suffisent au duo d’acteurs – Limengo Benano-Melly et Kokou Namo Ehah – pour mimer le quotidien d’un vigile, et en tirer sa substance comique.
Plus tard, il y aura cette course-poursuite effrénée sur les Champs-Elysées, qu’interrompt l’agent de sécurité de chez Sephora lorsqu’il mesure l’absurdité de la situation : pourquoi au juste arrêter le voleur d’un flacon produit par la 1ère fortune de France, Liliane Bettencourt, et dérobé dans le magasin de la 2e, Bernard Arnault, alors que lui-même est payé une misère ?
Entre ces moments d’hilarité, la gravité revient souvent à la surface de Debout-payé. Créée par la compagnie bordelaise Yakka, et proposée par La Boîte à Jouer, la pièce est à l’affiche jusqu’au samedi 24 mars à la Halle des Chartrons. C’est la première adaptation pour la scène du roman éponyme et marquant, paru en 2014, de Gauz, qui s’appuyait sur son vécu.
« Peut-être parce que je suis né d’un père congolais, peut-être parce que je suis né d’une mère française… Debout-payé m’a parlé, m’a touché, explique le comédien bordelais Limengo Benano-Melly. Quand je l’ai lu, le style direct, la simplicité (apparente) de l’écriture et la richesse d’évocation des images et des situations m’a tout de suite donné envie d’en faire une adaptation théâtrale. »
Gardien de but
Diplômé en biochimie en Côte d’Ivoire, Gauz s’est retrouvé sans-papier en France, exerçant de nombreuses activités « militantes ou rémunératrices » – scénariste, jardinier, rédacteur en chef et, donc, vigile. Cette histoire hélas banale d’homme immigré cultivé et entrepreneur, ravalé à un métier évité par les Blancs, devient sous sa plume drôle et poignante.
« Debout-payé désigne l’ensemble des métiers où il faut rester debout pour gagner sa pitance, écrit-il. Exemple, vigile. Être vigile, c’est comme être gardien de but: on reste debout à regarder les autres, et de temps en temps, on plonge pour attraper la baballe. »
Curieusement, relève Gauz, ces métiers de videur au Macumba et de physionomiste chez Leader Price semblent réservés aux hommes d’origine africaine (surtout à Paris…).
« Les noirs sont costauds, les noirs sont grands, les noirs sont forts, les noirs sont obéissants, les noirs font peur. Impossible de ne pas penser à ce ramassis de clichés du bon sauvage qui sommeillent de façon atavique à la fois dans chacun des blancs chargés du recrutement, et dans chacun des noirs venu exploiter ces clichés en sa faveur. »
De Michel Leeb à Saint-Bernard
Mise en scène par Kokou Namo Ehah, la pièce démarre ainsi par un extrait sonore de « L’Africain », ce sketch de Michel Leeb si glaçant tant il enfile les stéréotypes racistes. Elle se poursuit par une cordée d’immigrés dans l’escalier d’une agence de sécurité, dont le premier (de cordée) ne ruissellera guère sur les suivants (mais un peu pour sa famille, via Western Union).
Dans une succession de saynètes parfois un peu bordélique, mais toujours bien interprétées, les deux comédiens incarnent successivement des prolos ou des experts ronflants à lunettes colorées – vous apprendrez par exemple ce qu’est le syndrome PSG (pour Pigmentation de la peau, Situation sociale et Géographie).
A travers le parcours de deux étudiants ivoirien venus vivre en France, et exerçant dans ces métiers de la sécurité, Debout-payé esquisse ainsi une histoire politique d’un immigré et de son regard sur l’Hexagone, du ministère des colonies de François Mitterrand à la Françafrique, de la crise pétrolière au boom du consumérisme, de Giscard au 11-Septembre, en passant par l’église Saint-Bernard… C’est ambitieux, mais le tout vu par la lorgnette d’un vigile sonne juste.
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