Abdellatif Laâbi, poète et écrivain exilé en France en 1985 après huit ans d’emprisonnement au Maroc, parle de la création comme « faire des autres les complices de sa propre aventure ». Le prix Goncourt de la poésie 2009 et Grand Prix de la Francophonie de l’Académie française en 2011, définit la création dans un article publié en 1991 dans la revue Hommes et migrations comme « une forme d’anarchie ». Il précise :
« Si l’exil tient la création, la création tient aussi l’exil, en ce sens qu’elle est la tentative de son abolition. Car, s’il existe une passion du créateur, c’est bien celle de faire cesser la séparation en l’homme et entre les hommes, celle de ramener l’homme de son exil, de caresser ses blessures, de le mettre en situation d’amour de ses semblables, de la vie et du monde. »
L’exil rend-il créatif ?
La question de l’exil dans l’art est loin d’être récente. L’exil a été le moteur de nombreux courants artistiques qui ont marqué de leur force les arts tout au long des siècles, pour atteindre un paroxysme au XXe siècle.
De l’exil du penseur libanais Gibran Khalil Gibran aux États-Unis, auteur du Prophète, lequel fut écrit en anglais et édité en 1923, à l’exil perpétuel qui jalonne la vie de Saint-John Perse au point de devenir le fondement même de sa poésie, la littérature dite de l’exil semble s’être imposée avec les profonds changements de ce siècle où de nombreux auteurs ont été poussés à émigrer.
Léon-Gontran Damas (Guyanais), Aimé Césaire (Martiniquais) et Léopold Sédar Senghor (Sénégalais) se sont rencontrés à Paris dans les années 30 où ils ont fondé un mouvement littéraire et politique appelé la négritude. Ce mouvement puise ses préceptes dans leur vécu d’homme noir dans les colonies françaises, d’étudiants à Paris, et de leurs rencontres avec des artistes afro-américains fuyant la ségrégation aux États-Unis.
Au Maghreb, des écrivains quittent leur terre natale pour fuir la pression des islamistes. Mouloud Feraoun et Rachid Mimouni choisissent le français comme langue d’écriture, mais le subissent aussi comme un signe de déracinement. Mohammed Dib et Malek Haddad expriment ce déchirement linguistique. Ce dernier déclare :
« Je suis moins séparé de ma patrie par la Méditerranée que par la langue française. »
A la recherche de la liberté d’expression
Au début du XXe siècle, de nombreux artistes fuient leur pays pour rejoindre des capitales où il est possible de jouir d’une liberté d’expression. Certains y trouveront des courants stimulants en terme de création. Chagall et Picasso arrivent à Paris pour se confronter à l’avant-garde artistique.
Les événements donneront à leur exil de nouveaux sens. Chagall, d’origine russe et de confession juive, subit un double exil. En 1923, il quitte la Russie quand les gardiens de la Révolution s’orientent vers un rejet de la création avant-gardiste. Bien que naturalisé français, il fuit la France pour vivre aux États-Unis et s’éloigner de la menace nazie. De sa première expérience de l’exil, il peint ses souvenirs de jeunesse ; de sa deuxième, il évoque le sort des juifs en Europe de l’Est.
La guerre aura aussi une grande influence sur le choix de Picasso de rester en France pour éviter la dictature franquiste. Il ne reverra jamais sa terre natale. A Paris, il peint Guernica, une des œuvres les plus célèbres du peintre espagnol et un des tableaux les plus connus au monde qui retrace un bombardement ordonné par les nationalistes espagnols et exécuté par des troupes allemandes nazies et fascistes italiennes.
L’exil, vécu ou pas, source d’inspiration
Fuyant leurs pays en guerre, des artistes se retrouvent loin des enjeux de leur société, sources de leurs interrogations créatives. En exil, ils affrontent le traumatisme des départs forcés et questionnent leurs statuts de réfugiés.
D’un autre côté, ces réfugiés font irruption dans l’imaginaire des pays occidentaux. Depuis des décennies, des « boat-people » des années 1970 aux populations fuyant les conflits du Moyen-Orient, ces migrations ont été une source d’inspiration pour des scénaristes, des auteurs et des metteurs en scène.
Des tragédies collectives et individuelles sont traduites et interprétées, pour dénoncer, sensibiliser, ou s’insurger contre la politique des dictatures et la complicité des États dans les génocides et exodes.
Quelle place pour l’exil dans la création ? Quelle place pour la création dans l’exil ? Amre Sawah et Abdulrahman Khallouf, Syriens et hommes de théâtre ; Faizal Zeghoudi, chorégraphe et metteur en scène bordelais ; Faïza Kaddour et Jean-François Toulouse, de la compagnie bordelaise Tombés du ciel ; et Sophie Moulard, Bordelaise spécialiste de l’anthropologie « multi-située », répondent à l’invitation de Rue89 Bordeaux pour ce premier débat proposé dans le cadre de la programmation Bienvenue.
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