Rendre au moins 600 euros à chacun des 270000 abonnés de la métropole à l’eau potable : c’est l’objectif poursuivi par Trans’cub, qui conteste en justice la délégation de service public (DSP) confiée à Suez Eau de France. L’affaire, qui oppose l’association de défense à des consommateurs à Bordeaux Métropole, sera prochainement examinée par la cour administrative d’appel.
Trans’cub demande que la justice casse une délibération de la métropole votée en 2012, maintenant le contrat en vigueur avec l’ex Lyonnaise des eaux jusqu’à la fin de celui-ci, prévue fin 2021.
Motif : la société aura alors réalisé des profits « exorbitants », estimés à 259 millions d’euros sur les 30 ans de durée de ce contrat. Soit l’équivalent du coût du nouveau stade, pointe Trans’cub, qui, en faisant condamner Bordeaux Métropole, espère que celle-ci obtienne du délégataire une ristourne équivalente à au moins 160 millions d’euros.
« Racket des usagers »
Car Suez aurait bénéficié d’une rentabilité de 14,27%, « alors que la norme pour les contrats de l’eau en France est plutôt de 3 à 5% » (voire de 2,63% pour le contrat d’assainissement de la métropole), indique Patrick du Fau de Lamothe :
« Si la Saur (société qui distribue l’eau à Nîmes, NDLR) se gave grave, comme le reconnaît dans Cash investigation le président de l’agglomération nimoise, Suez Eau France se gave très très grave » à Bordeaux.
L’expert de Trans’cub et ancien conseiller régional avait analysé pour France 2 les chiffres de la Saur, évoquant une marge de 12,1%. Il cite également une rémunération du contrat de seulement 4,46% à Toulouse, pour une durée de 30 ans.
Bordeaux Métropole, selon les données fournies par la collectivité elle-même (chiffres d’affaires prévisionnels et bénéfices de Suez), ferait donc face à un « racket des usagers ». Car les marges de l’entreprise iraient croissant, s’élevant à 30% en 2017, poursuit Patrick du Fau de Lamothe, les investissements dans le réseau étant amortis de longue date :
« Le service est autofinancé par les usagers depuis 1998. Et sur les 511 millions d’euros de charges d’investissement en 30 ans, Suez Eau de France a apporté moins de 1% sur ses fonds propres, soit 4,9 millions d’euros. »
Océan de profits
La profitabilité de Suez Eau de France pourrait ainsi atteindre 206 millions d’euros de 2015 à 2021 et représenter 40% du chiffre d’affaire sur cette même période ! Rue89 Bordeaux a tenté de joindre l’entreprise pour confronter ces chiffres, sans succès à l’heure où nous publions ces lignes.
Trans’cub s’étonne du « silence honteux » de Bordeaux Métropole, et va jusqu’à dénoncer « une collusion entre élus et fonctionnaires pour cacher la vérité ».
L’association en veut pour preuve une note interne de la Communauté urbaine de Bordeaux (CUB), actuelle Bordeaux Métropole, qui demandait en 2004 de suspendre la diffusion des résultats d’un audit sur la gestion de l’eau, alors en cours. La CUB et l’association sont alors (déjà) en conflit sur le sujet. Argument de cette note, signée par un contrôleur de gestion de la collectivité :
« Il n’est plus possible avec les résultats de l’audit de contrer par des chiffres l’argumentation de Trans’cub : ceci suppose bien évidemment que Trans’cub n’ait pas accès aux résultats de l’audit », car « le taux de marge réel du contrat est celui qu’elle [l’association, NDLR] annonce ».
Noyer le poisson ?
Mais pourquoi exhumer dans la procédure judiciaire actuelle, et en deuxième instance, un document vieux de 14 ans, et évoquant un audit rendu depuis lors public ?
« Car c’est aussi la cour d’appel de Bordeaux qui s’est faite berner en 2004-2005, répond Denis Teisseire. Trans’cub tient à l’avertir des méthodes auxquelles Bordeaux Métropole peut recourir » »
L’association y voit une similarité de méthode, mais aussi de personnel politique : en 2004, c’est Alain Juppé qui préside la CUB, jusqu’à ce que sa condamnation judiciaire dans l’affaire des emplois fictifs de la ville de Paris n’entraîne son remplacement par Alain Rousset. Denis Teisseire demande au président de Bordeaux Métropole de réagir :
« Nous sommes ici à fronts renversés, c’est Bordeaux Métropole qui défend les intérêts et les profits du délégataire, et nous qui sommes obligés d’attaquer ! On ne comprend pas qu’Alain Juppé ne se réveille pas et ne remette pas tout à plat avant le jugement. »
Il n’en est pas question, répond le maire, interrogé ce lundi par Rue89 Bordeaux :
« La dénonciation de l’avenant en cours couterait une fortune à la métropole. Et nous avons vérifié la jurisprudence, l’argument de Trans’cub ne tient pas la route. L’association est coutumière des recours qui n’aboutissent pas. »
Aux ordres des majors
Celle-ci est au contraire persuadée que la justice lui donnera raison. Elle se fonde sur les lois Sapin et Barnier, limitant à 20 ans les durées de contrat de l’eau et de l’assainissement, sauf dans le cas où les charges n’auraient pas été amorties – ce qui avait obligé Bordeaux Métropole à décider en 2012 de prolonger son contrat au delà du 2 février 2015 et de lui conserver sa durée initiale jusqu’au 31 décembre 2021.
Pour Trans’cub, deux jugements récents peuvent mettre à mal un tel choix politique. Le tribunal administratif de Lille a ainsi prononcé la caducité de deux contrats de distribution d’eau, « condamnant une position en tout point identique à celle de Bordeaux Métropole », analyse l’association :
« Cette position justifiait la poursuite du contrat (avec une autre entreprise, filiale de Veolia, NDLR) au delà de 2015 par les seules investissements réalisés et leur durée d’amortissement comptable, sans avoir une approche globale du contrat, de ses recettes et de ses charges, et de sa capacité à absorber les investissements réalisés. »
Bref, tout ce que Trans’cub reproche à la métropole de ne pas avoir fait. La cour administrative d’appel devrait se prononcer dans les prochaines semaines. Ce n’est pas encore la fin de l’épopée du buveur d’eau.
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