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Je suis SDF, en fauteuil roulant, je veux bouger et vivre

Depuis plusieurs années, Anthony vient en train de Toulouse pour profiter des manèges de la Foire aux Plaisirs, place des Quinconces. Rue89 Bordeaux rapporte son témoignage et son besoin d’un logement adapté, pour rester « libre ».

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Je suis SDF, en fauteuil roulant, je veux bouger et vivre

Je m’appelle Anthony. J’ai 25 ans. Je suis né à Agen et je vis à Toulouse depuis 8 ans. Je suis venu à Bordeaux en train comme je ne le paye pas trop cher. Je viens depuis quelques années, à cette période, pour la Foire aux Plaisirs et pour retrouver des amis forains.

Quand je parle, je regarde le ciel. Parce que j’ai du mal à me concentrer, à me redresser, je suis handicapé moteur à 80% et je me déplace en fauteuil roulant.

Depuis l’âge de 18 ans, je suis à la rue. SDF. Je ne veux pas être dans une structure spécialisée. Je ne veux pas être enfermé. Je veux vivre. Libre. J’ai passé mon adolescence sur un lit d’hôpital. Je partais le vendredi pour revenir le lundi. J’ai eu plusieurs opérations. Aucune n’a réussi. J’ai même perdu 8 cm à une jambe.

Aujourd’hui, je n’ai plus la CMU (couverture maladie universelle). Je n’ai plus mon allocation handicapé. Pourquoi ? Parce que quand t’es à la rue, tu perds tes papiers ou on te les vole. Et, quand t’es à la rue, c’est compliqué de refaire tes papiers. J’ai le RSA, 450€ par mois. J’ai un livret A parce que je suis interdit bancaire. Je passe à la banque régulièrement pour retirer de l’argent. Un peu, pas trop. J’ai peur qu’on me le vole.

Sur les manèges, je suis libre

Je suis arrivé à Bordeaux le 19 février. Je compte rester jusqu’au 28 mars. Je connais des gens à la foire. Comme j’adore les manèges, je me suis dit pourquoi pas venir ici. De toute façon, que je sois à la rue à Toulouse ou à Bordeaux, c’est pareil.

J’aime les manèges parce que ça me procure des sensations de liberté, des sensations aux jambes que je ne peux pas décrire. C’est particulier. Tous les manèges ne sont pas autorisés aux handicapés, mais moi j’insiste. Je vais voir les propriétaires et je leur dis que les handicapés aussi ont le droit de faire des tours de manège. Certains ont fini par faire des aménagements pour accueillir les handicapés. C’est ma petite guerre à moi. J’en suis fier.

D’autres me disent oui, mais ne veulent pas m’aider à aller dessus. Ils me disent qu’ils n’ont pas le droit de m’aider. Alors je demande aux gens. Ou je rampe pour y aller, je m’en fous, j’adore ça. Une fois dessus, ils me laissent faire plusieurs tours. Même si je n’en paye qu’un. Les gens sont épatés. J’entends certains se dire : « Toi tu n’oses pas y aller, et lui le fait ! » Ça me fait rire. Plus ça fait peur, plus j’aime les faire. Mon père n’a jamais compris, mais pour moi, je suis comme un fou, je suis libre.

Dans la rue, on te fait la misère (WS/Rue89 Bordeaux)

Pas de pitié, même si tu es en fauteuil

Les forains que je connais, je les vois deux fois pas an. Ils m’offrent à manger mais pas d’hébergement. Je ne leur demande pas. Je dors à même le sol, par terre, à côté des fontaines, à côté des forains. On m’a tellement fait de misères à la rue que je préfère pas trop m’éloigner. J’ai appris des choses à la rue, à force tu apprends. On m’a volé le fauteuil, on m’a tapé dessus. Même des choses plus graves. Les gens n’ont pas de pitié parce que tu es en fauteuil roulant.

J’ai dormi une fois chez quelqu’un, j’ai fini aux Assises. Pourquoi ? Je me suis fait agresser sexuellement. C’était un papy de 70 ans, sympathique et tout. Je devais passer la nuit à la gare pour prendre un train le lendemain. Quand il m’a dit de venir dormir chez lui, j’étais jeune, j’étais naïf, je me suis dis : « Qu’est ce que tu risques ? ». Voilà. Je ne veux pas rentrer dans les détails. Ça ne devait pas se passer comme ça, c’est tout.

A la rue, tu apprends vite. A moins de 18 ans, je me suis retrouvé à Matabiau (la gare de Toulouse). Alors qu’on ne vienne plus me raconter d’histoires.

J’ai des droits. Je le sais. Ça fait des années que je cherche un appartement adapté. On me dit il faut attendre. Les listes sont longues. On me dit, « vous êtes prioritaire ». Mais je ne suis prioritaire que sur le papier. En réalité, c’est pas vrai. Il y a toujours quelqu’un qui te passe devant. Ça fait 8 ans que j’attends. En attendant, il faut que je me débrouille.

Je fais la manche. Je fais des petits boulots. Quels boulots ? Tout ce qu’on me propose. Je ne refuse rien. Quitte à galérer, au moins je travaille et la monnaie rentre. Quitte à ramper, je veux des sous. Quand j’ai de l’argent, je prends une chambre d’hôtel. Au moins je suis au chaud. Au moins je me lave. Mais attention, c’est pas tous les jours. Les hôtels pour handicapés, c’est hors de prix.

Dans les foyers, on me frappe et on me vole

Dans la rue, des fois les gens s’arrêtent, me donnent des sous, discutent un peu et repartent. Chacun fait ce qu’il peut et j’essaie de passer un bon moment avec tous ceux qui veulent m’apporter quelque chose. C’est bien de pouvoir oublier ses soucis aussi.

Parfois, il y a des maraudes. Mais je n’y vais pas, c’est trop loin. On m’a volé ma couverture et hier j’ai appelé 22 fois le 115, je les ai eu à minuit. Ils me disent : « Il y a une maraude aux Galeries Lafayette qui distribue des couvertures, allez-y ! » Mais le temps d’y arriver, avec mon fauteuil roulant que je pousse avec les coudes, ils avaient fini ! Il y en a plus !

Ce qui m’énerve, c’est les mecs qui viennent te voir pour te demander si tu as besoin de quelque chose. Mais depuis trois jours, je demande une couverture et on me répond que c’est à moi de me déplacer pour venir en chercher une !

On me propose des fois une place dans un foyer, je refuse. Je me méfie trop. Même si je me tiens tranquille. Il y en a qui boivent, ils s’énervent et il faut qu’ils se défoulent sur quelqu’un, ben c’est toujours moi. Ils commencent par se moquer de moi. Je ne suis pas violent mais je ne me laisse pas faire, je réponds. Et ça se termine mal. Tu peux te faire voler tes affaires. Si c’est pour me faire voler mon fauteuil, c’est pas la peine.

Des fois la police vient me voir. Ils me demandent ce que je fais là. Je leur dis : « Vous voulez que je dorme où ? » Ils ne savent pas quoi me répondre. Alors ils me foutent la paix.

A la foire aux plaisirs, je suis libre (WS/Rue89 Bordeaux)

Ce matin, j’étais dans un squat, la police m’a mis dehors

Je ne suis pas là pour rien. Si je suis là, c’est que je peux compter sur mes copains forains. Si je ne peux pas payer, ils me donnent à manger et je paye le lendemain. C’est pas un problème. Si je les gène, je le sens.

J’ai de la chance de les connaître. Ils me gardent les affaires, je n’ai que le minimum sur moi. D’abord pour pouvoir me déplacer plus facilement et aussi pour ne pas me faire voler.

Des fois, je vais plus loin prendre un café. Ça fait du bien de sortir un peu des bruits de la foire. Ils me connaissent là-bas aussi. Je peux recharger mon téléphone, prendre un chocolat chaud avec une tartine de Nutella. Après, je donne ce que je peux. C’est des employés. Ils ne peuvent pas décider de ne pas me faire payer. On s’arrange.

Grâce à des personnes qui sont venues me voir samedi, j’ai pu ces derniers jours rejoindre un squat à Bordeaux. Le lendemain, je suis allé dans un autre. Le matin, la police est venue l’évacuer. J’étais tout seul et je me suis retrouvé dehors, à la rue. Et la vie continue.


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